David Lorenté (doctorant, commissaire d'exposition), Bernard Andrieu (professeur, philosophe), Hélène Débat (vice-présidente, organisatrice de l’évènement) et le comité de gestion de PHYSIOPOLIS ont le plaisir de vous convier à l'exposition d'archives parrainée par Sophie Durville et avec le concours de Danielle Bolhuis-Zerner-Suschitzky
La fête du Soleil
En juin 1932, en région parisienne, une représentation publique, nommée la fête du Soleil, fut donnée sur l’île des naturistes, dans une clairière nommé « l’Arcadie ». Qualifié par les organisateurs de premier Théâtre d’Art Naturiste en plein air, cet événement a été relaté par des témoins oculaires, des écrits, des photographies et des images filmiques. Les spectateurs nombreux ont pu observer différents tableaux vivants : la danse d’Artémis devant le soleil, le grand prêtre au temple déclamant les Vers d’Or de Pythagore, la parade du Pan et des Nymphes, l’évocation du paradis terrestre couronné par un hymne naturiste orchestré. La redécouverte de l’Antiquité grecque a affermi de nombreux courants de pensée naturiste français durant les années 20 et 30.
Le metteur en scène George O’Messerly restera le grand maitre d’œuvre de cette fête. Les Durville lui ont renouvelé leur confiance. Il avait été, avec le concours de Jean Dréville, celui qui avait porté à l’écran le film Physiopolis en 1930, documentaire qui eut un franc succès. Sa proximité avec Raymond Duncan et son Akademia a contribué à façonner la mise en scène. La note hellénique est donc ici sans conteste centrale dans la fête. Seul le premier tableau, Adam et Eve, fait figure d’exception. La mise en scène est riche de par ses nombreux tableaux qui la composent et de par le nombre de figurants, danseurs et athlètes mobilisés. Les costumes de scène ont été confectionnés avec beaucoup de soin. La musique et le chœur apportent une coloration vivante aux différents tableaux qui se succèdent. La sobriété du décor se fond parfaitement dans le cadre naturel de l’Arcadie, espace scénique au nom si évocateur. George O’Messerly a donné à Amélia Béatrice et ses élèves tout le loisir d’exprimer la danse Duncaniene où sont réactivés harmonieusement les gestes antiques. Quant à Karla Suschitzky, formée aux techniques de danse les plus récentes en Allemagne, elle a insufflé une coloration expressive et expérimentale dans ses tableaux dansants. Les nombreux Physiopolitains enthousiastes, venus gracieusement prêter main-forte aux organisateurs, ont joué un rôle décisif dans le bon déroulement de la fête. On soulignera un point amusant. Dionysos (Bacchus), dieu du vin et du théâtre, est le grand absent de la fête du Soleil. Nulle mention de son nom. Il faut rappeler que le vin était proscrit par les naturistes !
La fête du Soleil est bien l’évènement de l’année 1932 pour les naturistes que l’on peut qualifier de théâtre d’agit-prop. Pour la fratrie Durville, tous les moyens sont bons pour asseoir leur notoriété et sensibiliser les pouvoirs publics à leur cause. « (...) C'est en plein air, c'est sous le ciel qu'il faut vous rassembler et vous livrer au doux sentiment de votre bonheur (..) que le soleil éclaire vos innocents Spectacles ; vous en formerez un vous-mêmes, le plus digne qu'il puisse éclairer » Ce « théâtre sous le ciel » libéré du cadre étriqué de la scène à l’italienne, sous les bons auspices du dieu soleil, a pu se concrétiser à Physiopolis. Le souvenir de cette fête s’est transmis de génération en génération.
Archives film © Buart / Sophie Durville, musique additionnelle Claude Debussy
Accompagnée de son frère Willy au piano, Karla Suschitzky donne sa dernière soirée dansante viennoise le 22 janvier 1931 à l'Urania lors d’une soirée consacrée à la « Köperkultur » (culture physique). Karla n’a que 24 ans lorsqu’elle quitte l’Autriche pour se rendre à Paris. Elle exerce comme danseuse et professeur de gymnastique. Dès le mois de novembre 1931, elle commence à enseigner au légendaire Studio Wacker, puis elle ouvre sa propre école, le Studio Lamballe. Avec ses élèves, elle participe à des spectacles de gala pour des institutions culturelles françaises. Elle suit par ailleurs des cours à distance auprès de l’école Jooss Leeder School of Dance en Angleterre. A partir de l’année 1932, elle publie de nombreux articles sur l'éducation physique, notamment dans le magazine Votre Beauté (revue d’Eugène Schueller, le fondateur de l'Oréal).
La rencontre avec les frères Durville n’est pas connue. Karla est la professeure de gymnastique rythmique attitrée de l’île des Naturistes (Physiopolis). Chaque semaine, dans la section « la page de la femme » de la revue Naturisme, elle prodigue des exercices physiques accompagnés de photographies pour les lectrices. Les qualificatifs sont nombreux pour présenter la méthode Suschitzky : « la grâce, la beauté, la souplesse…, nouvelle méthode unique au monde, donne de l’intelligence, de l’expression, de la vie à chaque mouvement ». La gymnastique basée sur la psychologie est aussi enseignée, elle fait la couverture de la revue Naturisme.« Si l’on pouvait avoir des doutes sur l’efficacité de sa méthode, il suffirait, pour les effacer, de regarder le corps de Mlle Suschitzky », dira tout à l’heure le docteur Gaston Durville, c’est vrai » relate ici Pierre Audebert dans un article de la revue Naturisme. Il souligne son « splendide corps d’athlète féminine, au corps bruni, aux muscles longs et fins. Des épaules puissantes, un thorax large, une taille bien sanglée, des jambes magnifiques. Abondants, les cheveux, qui semblent s’envoler à chaque pas, à chaque bond, encadrent le visage énergique. Telle nous apparaît Karla Suschitzky ». Lors de la fête du Soleil, événement marquant de l’année 1932 à Physiopolis, Karla dirige la partie chorégraphique et exécute un solo de danse très remarqué, « la danse d’Artémis devant le soleil ».
En 1935, elle épouse l'entrepreneur viennois Walter Zerner, et prend le nom de Karla Zerner. Elle acquiert une reconnaissance publique lorsqu'elle reçoit les médailles d'argent de la Fédération Nationale des Sociétés d'Éducation Physique et de la Ligue Républicaine du Bien Public. En 1936, Pathé sort le disque Au Rythme du Jazz: Culture physique. Huit exercices par KARLA (Musique Irving Berlin / Willie Lewis). L'occupation de la France contraint Karla à prendre un faux nom et à se cacher. Après la guerre, le studio Lamballe réouvre et perdure jusqu'en 1972. Elle passe les dernières années de sa vie à La Haye avec sa fille Danielle Bolhuis-Zerner.
Hélène Débat et Jérôme Delleaux (mise en scène Edwine Fournier), images © Olivier Lambert
"Remontons un peu le temps où le Platais était l’île des Naturistes. C’est ici que s’exprima un courant de pensée qui prenait sa source dans la Grèce antique et où les corps libres recherchaient l’harmonie avec la nature. Venez danser dans les airs, laissez-vous emporter par les flots, osciller dans les vagues et poursuivez dans les galeries souterraines à la rencontre des êtres élémentaires puis triomphez du feu crépitant, au rythme de la Fête du Soleil "
Extraits musicaux : Charleston, Carleston Kids Voix d'André et Gaston Durville, Physiopolis 1930 Humoresque Op, 101, no 7 Antonín Dvořák, Kim Dami, Egoisme, Zuluville, Václav Korinek et Pavel Kotzian, Dance of Elements, Zuluville, Václav Kořínek et Pavel Fajt, Tímto Cubano, Sabor Africando
Chorégraphie d'Habi Diabagate , images © Olivier Lambert