L'Hebdo Lettres de mars 2021 est consacré à la nouvelle épreuve du baccalauréat : le Grand Oral. Comment les professeurs de spécialité Humanités Littérature Philosophie, en cette année de pandémie et de première session du Grand Oral, ont-ils préparé l'épreuve avec leurs élèves ?
Voici le témoignage d'un professeur de Lettres en charge de l'enseignement de spécialité "Humanités, Littérature et Philosophie" . Karine Girard explique, décrit, revient sur les étapes de cette préparation au Grand Oral avec sa collègue professeure de philosophie.
Je suis Karine Girard. J’enseigne au lycée Monge de Chambéry où j’ai en charge la spécialité H.L.P. en classe de Terminale. Je travaille aussi en tant que formatrice sur le grand oral avec un groupe académique de formateurs.
Quelles sont les particularités de l’enseignement HLP par rapport au français en première et en seconde ?
L’enseignement de la spécialité H.L.P. entretient évidemment des similitudes avec l’enseignement du français en classes de Première et de Seconde : dans les deux cas, il s’agit d’amener les élèves à construire des interprétations en s’appuyant sur une analyse précise des textes, de développer leur autonomie de lecteur, et de leur permettre d’acquérir la culture générale nécessaire à la construction d’une réflexion personnelle solide. Les exercices proposés lors des examens sont assez similaires à ceux proposés en français en classe de Première, même si le format et les attentes diffèrent. La question d’interprétation entretient des similitudes avec l’exercice du commentaire et l’essai a de nombreux points communs avec la dissertation. Ces ressemblances facilitent grandement l’entrée des élèves dans les exercices. Pourtant, l’enseignement de la spécialité H.L.P. se distingue de l’enseignement du français. Tout d’abord parce qu’elle met en jeu deux disciplines. Elle suppose donc un travail en concertation avec l’enseignant de philosophie et elle oblige à aborder des objets nouveaux pour la professeure de français que je suis : des textes philosophiques. Ces textes, vers lesquels je ne me serais jamais tournée spontanément, obligent à revoir la façon dont on aborde les choses. L’enseignement en spécialité H.L.P. se distingue également de ce qui se fait en classe de français parce qu’il ne s’agit pas d’entrer dans l’analyse de détails d’œuvres mais bien plutôt de d’aborder les textes dans l’optique des entrées proposées par le programme.
En tant qu' enseignante HLP, vous devez aider vos élèves à préparer l’épreuve du Grand oral en terminale : comment avez-vous mis en place cette préparation sur l’année ?
Le travail de préparation du Grand Oral s’est bien sûr fait en concertation avec la collègue de philosophie. Nous avons fait le choix de préparer le Grand Oral dès le début de l’année scolaire et nous avons travaillé selon deux axes :
- Un travail régulier et progressif de l’élaboration des questions à présenter au jury.
• A l’issue de chaque séquence thématique, nous avons réservé un temps pour établir un bilan des acquis et une mise en relation de ces acquis avec le projet d’orientation de chacun (environ deux heures chacune). Ainsi, nous réussissons à conjuguer les exigences de la préparation du Grand Oral et des temps de réactivation des acquis importants pour la préparation de l’examen de la spécialité. Les élèves ont travaillé en groupes et sont arrivés, systématiquement, à l’élaboration d’une question problématisée pour chaque élève et pour chaque séquence. L’idée était de les familiariser avec la notion de question problématisée et de fournir assez tôt dans l’année, pour ceux qui le souhaitaient, des questions réemployables le jour du Grand Oral.
• La deuxième phase dans laquelle nous nous trouvons actuellement (même si nous continuons à travailler l’élaboration de questions en lien avec les séquences « hors programme limitatif » que nous travaillons désormais), est la phase d’élaboration de la réponse : construction du plan, élaboration d’une introduction qui mette bien en valeur les raisons du choix, et recherche de références pouvant enrichir la présentation. Là encore, le travail se fait en grande partie en groupe : la validation s'effectue par les pairs et nous n’intervenons que pour guider les réflexions.
2. Une préparation régulière et progressive de l’oral
• Il a consisté, jusqu’au mois de février, principalement en la réalisation d’exposés témoignant de lectures cursives en lien avec le programme, avec des consignes s’approchant de plus en plus de celles du Grand Oral. La progressivité permet la réalisation d'un exposé « ordinaire » durant lequel l’élève avait droit à tous les supports qu’il souhaitait, puis un exposé sans autre support que l’œuvre dans le courant du mois de novembre, et enfin, un exposé sans aucun support dans le courant du mois de janvier. Pour les élèves volontaires, les exposés ont été suivis de courts temps d’entretien.
• Des oraux en classe ont également été réalisés au gré des exercices :
- le plan d’un essai travaillé de façon individuelle avec mise en commun, chaque élève ayant pour consigne de présenter son essai dans un oral en continu de quelques minutes ; un exercice complet.
- une question d’interprétation ou un essai, dont chaque paragraphe était réalisé par un groupe : un élève « rapporteur » présentait ensuite à la classe le résultat .
• Systématiquement, les temps consacrés à l’oral ont donné lieu à des évaluations des compétences vocales (articulation, débit, intonation…) soit par les enseignantes soit par les élèves. Ces évaluations ont été reportées, par les élèves, sur un fichier collaboratif : chacun peut donc suivre à chaque instant son niveau d’expertise et ses progrès dans tel ou tel domaine et revenir sur les conseils qui lui ont été donnés. Des temps de remédiation suivaient ces entraînements lors desquels chacun devait reprendre un court passage de sa présentation orale en tenant compte des conseils donnés par ses pairs. Ces séances ont été l’occasion de fournir aux élèves des outils (vidéos, logiciels) pour parfaire leur maîtrise de l’oral en toute autonomie.
Votre formation initiale et continue vous- a-t-elle préparée à travailler sur l’oral ? Que vous manquerait-il ?
Enseignante de français, je m’estime privilégiée dans la mesure où l'oral est déjà un objet d'étude dans ma discipline. Néanmoins, les grilles d’évaluation sont sensiblement différentes et celle proposée comme matière à réflexion pour l’épreuve du Grand Oral met plus en avant les compétences liées à la maîtrise de l’oral que ne le fait la grille d’évaluation pensée pour l’E.A.F. Penser la préparation du Grand Oral m’a donc obligée à repenser le travail de l’oral en lui-même. J’étais finalement assez démunie et il a fallu chercher et inventer des ressources.
De quoi vos élèves avaient-ils besoin de façon urgente en septembre ? Y a-t-il des compétences ou des éléments qu’il leur faut travailler sur le temps long ?
En septembre, les élèves nous ont semblé tout à fait perdus face à l’échéance du Grand Oral : ils n’avaient qu’une idée assez vague de ce qui les attendait. La première chose que nous avons faite a donc été de présenter l’épreuve et ses attendus.
Néanmoins, ce sont évidemment les compétences liées à la maîtrise de l’oral qu’il nous a semblé important de voir en priorité parce qu’elles sont finalement assez peu travaillées pour elles-mêmes au cours de la scolarité d’un élève et parce qu’elles sont ce qui nécessite le plus un travail au long cours puisqu’elles dépendent de facteurs sociaux-culturels propres à chacun.
Vos élèves Ont-ils eu des difficultés à élaborer les questions qu’ils présentent au jury ?
Assez étonnamment, les difficultés ont été assez rapidement résolues pour la grande majorité des élèves. Nous avions fait le choix, lors de la première séance, d’aborder les choses de façon décalée, en proposant une réflexion à partir d’une orientation que nous ne pensions pas correspondre à celle de nos élèves, de façon à dédramatiser les choses. Même si l’orientation que nous avions choisie n’était pas la plus pertinente (puisqu’elle correspondait au choix d’un élève) : la réflexion « à vide » a permis à l’immense majorité des élèves de comprendre les attendus avant de s’engager dans un travail véritablement personnel.
Les élèves se sentent-ils anxieux à l’idée de présenter cet examen ? pourquoi ?
Les élèves se sentent très anxieux et c’est une chose qui a été mentionnée lors de plusieurs conseils de classes (niveaux Première et Terminale). L’épreuve est nouvelle, elle est l’une des deux seules épreuves finales qui demeurent pour cette année très particulière…
Avez-vous eu des difficultés à intégrer la préparation de l’oral parallèlement à celle de l’épreuve écrite de spécialité qui devait se dérouler en mars ?
Dès la rentrée, il nous a semblé évident que le temps manquerait pour préparer le Grand Oral s’il s’agissait de le faire en marge de la préparation à l’épreuve écrite. Le choix a donc été fait de considérer la préparation au Grand Oral comme un moyen de préparer l’épreuve écrite de la spécialité : travailler la structuration de la pensée à l’oral, s’appuyer sur des bilans de séquences envisagés comme des temps de réactivation des acquis en lien avec les questions à présenter... en d’autres termes, la préparation du Grand Oral est venue nourrir l’enseignement de spécialité.
Nous sommes en février, où en êtes-vous ? avez-vous pris du retard par rapport à ce que vous prévoyiez de faire ? A quel stade en sont vos élèves ?
A ce stade de l’année, nous sommes assez satisfaites du travail mené sur l’oral qui doit bien évidemment être poursuivi. Nous commençons, depuis la fin janvier, à mettre l'accent sur la phase 2 de l'épreuve : l’interaction orale.
En ce qui concerne les questions, chaque élève a déjà, au brouillon, trois questions problématisées. Il s’agit maintenant de poursuivre ce travail d’élaboration de questions et, en parallèle, de travailler sur la construction des réponses. Nous en sommes donc là où nous avions prévu d’en être.
Qu’est-ce qui vous a surprise chez Vos élèves quand vous avez commencé à préparer le grand oral ?
Deux choses ont été très surprenantes pour moi. La première est la difficulté que rencontre une majorité d’élèves à travailler sur une question aussi personnelle que l’orientation. Il est alors très important de dédramatiser les choses, de les amener à prendre un peu de recul et à gagner en sérénité. La deuxième est le sentiment, - assez généralement partagé par les élèves, qu’il y avait de « bonnes orientations » à présenter et de « mauvaises orientations » à cacher. Cela peut concerner des filières ou métiers dont les élèves ont le sentiment qu’ils ne peuvent « pas dire ça au jury » ou bien l’indécision qui leur paraît difficile à avouer. Là encore, il a fallu préciser les attentes de l’examen qui n’est en aucun cas un tribunal des choix de vie.
Un outil : "G.O" !
Un livret conçu par :
- Nicolas Bargin, Professeur de Philosophie, Lycée Leonard de Vinci, Villefontaine
- Agnès Berthet, Professeure de Sciences Physiques et Chimiques, lycée Les Eaux Claires, Grenoble
- Katioucha Maincourt, Professeure d' Allemand, lycée Gabriel Faure, Tournon sur Rhône
- Raphaëlle Bostvironnois, Professeure d' Histoire géographie, lycée Hector Berlioz, La côte Saint André
- Béatrice De Bortoli, Professeure de Mathématiques, lycée Aristide Berges, Seyssinet Pariset
- Céline Dulin, Professeure d' Histoire Géographie, lycée Marcel Gimond Aubenas
Vous êtes formatrice dans le groupe académique Grand Oral : quel enseignement tirez-vous de votre expérience de formatrice ? Vous a-t-elle aidée, cette expérience, à mettre en place l’enseignement de l’oral dans vos classes ?
L’expérience dans le groupe académique Grand Oral a été, et est encore, très riche parce qu’elle a permis de mutualiser des expériences et les questionnements. On avance toujours plus vite à plusieurs et les réflexions qui ont été menées sur la problématisation comme sur la maîtrise de l’oral m’ont obligée d’une part à questionner des pratiques que je mettais en place sans toujours les conscientiser (forcément, certaines d’entre elles ont évolué) et, d’autre part, à tenter d’autres expériences, assez variées, que j’ai conservées ou non dans mes pratiques quotidiennes.
J’ai aussi été amenée, dans le cadre de cette participation au groupe académique, à enregistrer et à filmer mes élèves. Regarder les vidéos tournées en classe m’a notamment alertée sur deux choses :
• Le fait que la qualité de la phase d’entretien dépend de la posture de l’enseignant tout autant que de la posture de l’élève : le type de questions, la formulation de celles-ci, l’insistance que l’on peut mettre ou ne pas mettre à vouloir guider l’élève, le ton employé, sont déterminants pour la réussite de l’entretien. De très « bons » élèves peuvent perdre tous leurs moyens face à des questions trop insistantes ou formulées de façon trop complexe.
Lorsque nous évaluons à l'oral, nous devons faire face à des biais que l'on appeler également des filtres ou des effets d'attentes que ce soit lors de l'évaluation ordinaire en classe ou lors de l'examen."
• En regardant, « hors contexte », des élèves que je connais déjà bien (je les suis depuis trois ans pour certains), j’ai vu ou entendu chez eux des tournures langagières ou des postures qui sont de véritables marqueurs sociaux; marqueurs que je n’avais pas vraiment identifiés jusque-là ou que j’avais « oubliés ». Il m’a donc semblé qu’il était important de travailler en amont sur cette question afin de ne pas transformer le Grand Oral en une épreuve de validation d’acquis sociaux « normés ».
Il existe un parcours Magistère ouvert à tous les enseignants : l'avez-vous fréquenté ? qu’avez-vous apprécié dans le parcours ?
J’ai bien sûr consulté ce parcours Magistère. J’ai particulièrement apprécié sa clarté et sa facilité d’utilisation (avec des rubriques clairement définies). J’ai aimé aussi tout ce qui concerne le travail de l’oral, qui a nourri ma réflexion : une vidéo passionnante sur la respiration guidée comme outil pour gérer l’émotion que j’entends mettre en place avec mes élèves après l’avoir mis en place avec mes propres enfants et une autre, tout aussi passionnante, présentant les conseils de trois artistes (cantatrice, danseur et comédienne) en matière de posture et de voix.
Les liens vers les ressources Eduscol et le parcours M@gistère sont à retrouver à la fin de l' Hebdo Lettres.
Travaillez-vous avec l’autre enseignant ou les autres enseignants de spécialité ? comment ?
Le travail de la spécialité H.L.P. ne peut se faire que dans une grande collaboration entre l’enseignant de Philosophie et l’enseignant de Lettres. Nous avons construit l’ensemble de notre enseignement de concert. Au mois de juin, nous avons choisi, chacune, les textes que nous souhaitions étudier pour chacune des séquences et nous nous les sommes soumis. Certains textes ont été écartés parce que l’autre enseignant ne s’y retrouvait pas. A partir de ce choix initial, nous avons construit un calendrier annuel (une semaine par texte) et nous sommes mis d’accord, pour chaque texte, sur la problématique que nous travaillerions. Durant l’été, nous avons, chacune de notre côté, avancé dans l’élaboration de nos séances et nous nous sommes envoyé nos travaux au fur et à mesure pour être certaines d’éviter les redites et les oublis. Nous avons pu constater que nous ne fonctionnions pas de la même façon : j’avais besoin de mettre le texte étudié en lien avec d'autres d’autres textes ou d’autres œuvres, quand ma collègue de Philosophie passait davantage de temps sur l’extrait. Cela ne nous a pas gênées : il était convenu que chacune d’entre nous garderait une grande liberté d’action à l’intérieur des séances ainsi délimitées. Nous avons aussi travaillé ensemble les évaluations écrites et orales.
Mon regret, pour cette année, est de ne pas avoir réussi à collaborer avec les enseignants des autres spécialités sur la question du Grand Oral. C’est quelque chose que j’aimerais mettre en œuvre pour les années à venir.
Quel document aimeriez- vous partager avec vos collègues ? pouvez-vous nous le présenter ?
Plus qu’un document, c’est une façon de faire que j’aimerais partager : le fait de garder une trace des exercices réalisés dans un fichier collaboratif accessible à tous.
Dans notre cas, nous avons tout simplement créé un fichier Excel constitué d’autant de pages qu’il y a d’élèves dans la classe et mis à disposition de tous dans un espace de travail en ligne. Sur ces pages, se trouve un tableau qui reprend les compétences que nous travaillons. A l’issue de chaque séance de travail, chaque élève remplit celui-ci : il indique la nature de l’exercice, la date, coche les cases correspondant aux niveaux d’expertise qui sont les siens, et reporte les conseils que ses camarades lui ont donnés.
Cette façon de faire n’a rien de révolutionnaire mais me semble présenter des avantages conséquents : il est complété par les élèves (ce qui facilite les choses pour l’enseignant et incite l’élève à revenir sur l’exercice réalisé à tête reposée), il permet à chacun de voir clairement apparaître les progrès réalisés et il facilite la communication entre les différents enseignants.
Mon regret, pour cette année, est de n’avoir utilisé ce tableau qu’avec ma collègue de Philosophie, au sein de la spécialité H.L.P. Mon espoir, pour l’année prochaine, serait de pouvoir étendre son utilisation au niveau de l’établissement pour faciliter la communication entre les différentes spécialités.
Eduscol propose une série de ressources en ligne pour accompagner la formation des enseignants au Grand Oral.
Des ressources présentées lors du Séminaire "La prise en compte de l'oral au lycée : travailler les compétences orales avec les élèves." à consulter également sur M@gistere.
concernant
- l' épreuve dite du « Grand oral » de la classe de terminale de la voie générale
- l' épreuve dite du « Grand oral » de la classe de terminale de la voie technologique
Pour aller plus loin : Une ressource pour la classe
Mon-oral.net est une plateforme simple et fonctionnelle qui peut permettre un travail régulier de l'oral dans le cadre de la préparation à un examen (DNB, EAF et Grand Oral).
Une plateforme réalisée et pensée par des enseignants, Laurent Abbal et chrystèle gademer.
La plateforme est libre, gratuite et RGPD compatible. Elle permet de créer des entraînements à l'oral avec une récupération simple des capsules audio. Elle permet aux élèves de s'enregistrer donc de réaliser des entrainements libres au format MP3 sans création de compte. Deux autres modalités sont proposées avec création de compte pour l'enseignant avec une adresse courriel académique. L'enseignant propose des sujets d'entrainement à ses élèves ou les met en situation d'examen en jouant sur les paramètres temporels de la plateforme. Un autre atout de l'outil est la mémoire des sujets déposés par l'enseignant d'une année sur l'autre. L'application est visuellement très sobre ce qui la rend accessible au plus grand nombre. Elle est lancée en version béta, elle devrait donc encore évoluer pour répondre au mieux aux besoins des enseignants.
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Laila Methnani Pixabay