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La solidarité citoyenne à l'épreuve du politique Dès leur arrivée à Bruxelles, les migrants illégaux du Parc Maximilien font face à la politique "ferme mais humaine" du gouvernement de Charles Michel. Pour pallier au désengagement de l'Etat, un formidable élan de solidarité citoyenne a émergé en Belgique. Par Gabriel del Castillo.

Un silence de mort pèse sur la scène, tandis que l’imam récite la prière. Au milieu, entouré de plus d’un millier de personnes vêtues de blanc, un petit cercueil pas plus grand qu’un coffre à jouet. Tous les regards sont rivés sur les deux parents, dont les yeux hagards reflètent la catastrophe qui s’est abattue sur eux. Ils fuyaient la guerre au Kurdistan irakien, ont mené un périple ô combien dangereux pour arriver jusqu’en Europe avec l’espoir d’une vie meilleure, et voilà qu’ils se retrouvent à contempler incrédules le trou devant eux qui servira de dernier abri à leur petite fille de deux ans. Le père, accroupi aux côtés de sa femme, le visage fermé. La mère, elle, n’arrive pas à contenir ses larmes et couvre son visage d’une salopette pour enfant, dont on devine l’appartenance. A leurs côtés, un petit garçon, l’air perdu et triste. Les pelles passent de main en main, tous se succèdent pour déposer une poignée de terre en guise de soutien. L’instant est emplie de solennité, de respect et d’une colère retenue. "Comment une chose pareille a-t-elle pu arriver dans notre pays ?", s’interrogent les quelques personnes qui acceptent de témoigner. Honte, le mot revient souvent dans la foule, tout comme dans la bouche d’un représentant de Médecins du Monde, qui brise le silence avec un mégaphone défaillant. Quelques sourcils se froncent à l’écoute de ce discours, qui leur rappelle un peu trop à leur goût la récupération qui a eu lieu les jours suivant la mort de la petite Mawda Shawri. Le cirque politique avait démarré avec le ministre de l’intérieur N-VA Jan Jambon, qui avait twitté le 18 mai que la mort de l’enfant était due aux réseaux de trafiquants. Il justifiait ainsi sa propre gestion alors qu’aucune preuve n’indiquait à ce moment-là qu’un trafic d’êtres humains était en cause. Certains partis d’opposition lui avaient rapidement répondu, la co-présidente d’Ecolo Zakia Khattabi ayant tiré la première cartouche : "Non Monsieur Jan Jambon ! Le trafic prospère à cause de VOTRE fuite en avant dans une politique de plus en plus répressive qui ne laisse d’autre possibilité à des hommes et des femmes que de recourir à des passeurs. La responsabilité politique du gouvernement belge est engagée !". L’intervention qui avait soulevé le plus d’indignation était venue du président de la N-VA Bart de Wever, qui avait estimé le 24 mai sur VTM, en référence au parcours de la famille Mawdi en Europe, qu’il "est permis de souligner la responsabilité des parents. Ne parler de ces gens qu’en termes de victimes, je trouve que ce n’est pas correct".

"Ce n’est pas une crise de l’asile, c’est une crise politique", Mehdi Kassou

Ces propos sont autant d’exemples qui illustrent la radicalisation du discours entre deux camps : une partie de la gauche francophone, Ecolo et PTB en tête, garants d’une vision humaniste du problème migratoire, et la droite nationaliste, partisane de l’ordre et de la sécurité. Ces deux pôles s’alimentent mutuellement et trouvent dans l’autre une caisse de résonance : chaque drame, chaque soupçon épinglé bruyamment par le premier déclenche une provocation du second. L’ensemble est amplifié par les réseaux sociaux, sur lesquels les citoyens sont invités à prendre position en faveur ou contre. Entre les deux, peu de place pour une voie médiane. Ce sont ces prises de positions avant tout idéologiques qui avaient amené à des prises de parole qui s’embarrassaient peu des faits : les parents de Mawda n’avaient pas à monter dans la camionnette et auraient une responsabilité dans la mort de leur fille, qu’ils auraient utilisée comme bouclier humain lorsqu’ils avaient été pris en chasse par la police. Ou bien à l’inverse c’est l’État belge qui est mis en cause, et c’est sa politique migratoire inhumaine et racisme qui aurait mené au coup de feu.

La marche blanche a attiré près d'un millier de personnes pour l'enterrement de Mawda Shawri

Ce mercredi 30 mai 2018, aucun dignitaire politique n’est présent à l’enterrement de Mawda Shawri. A la demande de la famille, aucun journaliste n’a été autorisé dans l’enceinte du cimetière d’Evere. Les rares qui osent sortir leurs appareils photos récoltent une marée de regards désapprobateurs. L’événement se veut sobre et apolitique, aussi il n’y a qu’une poignée d’associations présentes, dont la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés. C’est cette dernière qui a organisé le cortège blanc pour accompagner les obsèques de la petite Mawda, qui s’est acheminé jusqu’ici à partir de "son" centre d’accueil de la Porte d’Ulysse, à Haren. Mehdi Kassou, le porte-parole de la Plateforme, se tient aux côtés de la famille Shawri habillé comme eux d’un costume noir. Le regard impassible, il parcourt la foule en scrutant le moindre écart de conduite, tout en se montrant d’une diligence extrême auprès des parents en pleurs. A la fin de la cérémonie, les marcheurs blancs se rangent naturellement en ligne et viennent un par un présenter leurs condoléances. Mehdi profite de cet instant d’accalmie pour éclater enfin en sanglots dans les bras de sa compagne, Adriana Costas Santos, coordinatrice de l’hébergement citoyen pour la Plateforme. Enfin la multitude s’éloigne. Elle laisse derrière elle un lopin de terre fraîchement retourné, recouvert de fleurs blanches.

Mawda Shawri est la dernière victime en Belgique d’une crise de l’asile européenne qui dure depuis 2015, lorsque 1,2 million de personnes ont demandé l’asile sur le continent, pour la plupart en provenance de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. Pourtant, au plus fort de la crise, un peu moins de 40.000 personnes ont déposé un dossier en Belgique, loin des 890.000 enregistrés en Allemagne. "Ce n’est pas une crise de l’asile, c’est une crise politique", déclare Mehdi Kassou. Et pour cause : le gouvernement fédéral mène depuis 2015 une politique particulièrement dure envers les migrants qui franchissent illégalement la frontière. La crispation se concentre essentiellement sur le parc Maximilien à Bruxelles, où 600 d'entre eux errent tous les soirs entre le froid et les intimidations de la police. Non reconnus comme réfugiés, leur droit à un logement ou un emploi leur est refusé. Pour pallier au désengagement de l’État, un vaste mouvement de contestation et de solidarité citoyenne a ainsi émergé, qui prend forme dans différents projets : Belgium Kitchen, Tout autre chose, "Communes hospitalières", Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, ainsi que de nombreuses initiatives spontanées à travers le pays.

Plus de 3000 citoyens ont formé le 21 janvier 2018 une chaîne humaine entre la gare du Nord et le parc Maximilien pour protester contre une intervention de la police. © Frédéric Moreau de Bellaing
Le même événement s'est produit à nouveau le 13 mai. Entre 1000 et 1500 personnes étaient présentes cette fois-ci. © Frédéric Moreau de Bellaing

Pour les citoyens et les associations mobilisées, l’affaire Shawri a été le scandale de trop. Une forme de permissivité s’est installée dans les rangs de la police. La lutte effrénée contre les passeurs, présentée comme la solution pour freiner l’arrivée d’étrangers illégaux, a provoqué une stigmatisation de ces derniers. Lors d’une manifestation ayant eu lieu une semaine après les faits devant le palais de justice de Bruxelles, l’avocate de la famille Shawri Selma Benkhelifa s’est indignée devant une foule conquise : "Comment en est-on arrivés à dire à des parents d’un enfant de deux ans, qui est mort, qu’ils auraient dû mieux faire par rapport à nos politiques migratoires ?". Avant de continuer : "On en vient à inverser la logique complètement, et on est arrivés à confondre trafiquants d’êtres humains et êtres humains. Les trente personnes entassées dans une camionnette étaient des victimes du trafic d’êtres humains, et pourtant ils ont été traités comme si c’était eux les trafiquants. Si nos politiques migratoires n’étaient pas ce qu’elles sont, il n’y aurait pas de drames pareils". La prise en charge de la famille Shawri après le drame ne fait que nourrir l’indignation de l’avocate. Trois jours après les faits, les parents de Mawda ont reçu l’ordre de quitter le territoire. Le soir même, ils n’avaient pas été autorisés à monter dans l’ambulance qui devait mener leur enfant à l’hôpital et, au lieu de cela, avaient été incarcérés 24 heures au commissariat de Mons-Quevy. C’est depuis leur cellule qu’ils ont reçu la nouvelle tragique. A leur sortie, ils ont été emmenés dans un refuge de nuit pour sans abris, duquel ils ont été obligés de partir le lendemain. Ils auraient tout de même disposé d’une aide psychologique fournie par le service d’assistance policière, version que mettent en doute les associations : quand les membres de la Plateforme Citoyenne sont intervenus pour proposer une aide matérielle, les Shawri portaient toujours les mêmes vêtements tâchés de sang.

La réponse du gouvernement a été tout aussi décevante quant à la régularisation de la famille. Interrogé en commission de l’Intérieur, le Premier Ministre Charles Michel s’est cantonné au cadre légal prévu par la loi, à savoir : la régularisation pour circonstances exceptionnelles, l'obtention du statut de victime de la traite des êtres humains ou la procédure classique de demande de protection internationale. "C’est n’importe quoi, s’étouffe Mehdi Kassou. C’est la preuve d’un manque d’empathie, de compréhension et de réflexion".

La réponse du Premier Ministre au drame de la famille Shawri laisse apparaître une ligne claire de conduite, qui fait grincer les dents des associations : celle d’une politique "ferme mais humaine", basée sur l’application stricte du cadre légal dans le respect des droits humains fondamentaux.

Une politique plus ferme qu'humaine

Le traitement de l'affaire Mawda par le gouvernement fédéral illustre l'intransigeance de sa politique migratoire. Cette dernière s'abat particulièrement sur les 600 migrants de passage (1000 selon une estimation de la police) qui squattent quotidiennement le parc Maximilien à Bruxelles, à quelques pas de la gare du Nord, et qui attendent pour la plupart de réunir suffisamment d’argent pour tenter de rejoindre l’Angleterre. "Historiquement le parc est un point de référence pour les exilés, car il se trouve juste en face l’Office des Etrangers, explique Gaia Calligaris, coordinatrice des bénévoles de la Plateforme citoyenne. A cette population peuvent s’ajouter les 15.373 premières demandes d’asile introduites en 2017 principalement par des Syriens (3 823), des Afghans (997) et des Irakiens (601). Bien loin de l’Allemagne (198 255 demandes ), de l’Italie (126.550) ou de la France (91.070), qui trustent les premières places. L’État craint cependant la formation d’un second Calais au parc Maximilien, surtout après l’arrivée supplémentaire de 300 personnes suite au démantèlement de la jungle en septembre 2016. "Soit les gens acceptent la procédure d’asile, soit ils doivent s’inscrire dans une procédure de retour, estime Gaëlle Smet, responsable de la cellule politique pour le Mouvement réformateur (MR). Il n’est pas question qu’au niveau belge on puisse permettre à des personnes qui viennent sur le territoire de ne pas s’identifier, d’être en situation illégale. La loi est très claire et la loi est la même pour tout le monde". Il est d'autant plus nécessaire pour les migrants de demander l'asile que, sans cela, aucune protection juridique ne leur est accordée.

Sur le terrain, la réalité n’est pas aussi simple. Le manque d’informations concernant leurs droits, combiné aux intimidations régulières de la police, n’incitent pas les primo-arrivants à déposer une demande. "L’Office des Etrangers, qui dépend en quelque sorte du gouvernement, ne donne pas d’informations, observe Gaia Calligaris. Du coup c’est facile de dire ‘demandez l’asile’, mais si les gens ne savent pas qu’ils ont le droit de demander l’asile… Et puis, les gens qui sont à la gare du Nord, la police les réveille en plein milieu de la nuit pour les faire partir… Vas-y, va demander l’asile ! C’est pas évident". "Il y a une stratégie perverse de privation de sommeil, analyse quand à elle Adriana Costas Santos. Des policiers vont à la gare du Nord pendant que les migrants sont là-bas, et ils leur disent d’aller au parc. Au parc, la police leur dit de retourner à la gare. Entre-temps la gare a fermé, donc ils doivent retourner au parc. Il y a un jeu violent !". Pour les bénévoles de la Plateforme Citoyenne, cette stratégie de la police consiste à déstabiliser les migrants pour les pousser à partir.

Les migrants qui déposent finalement un dossier à l'Office des Etrangers se voient rapidement confrontés à un problème de taille : la procédure Dublin III. Ce règlement, signé en 2013 entre les pays membres de l’Union européenne ainsi que par la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein, délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays dans lequel il s’est enregistré. Souvent l’Italie et la Grèce, deux pays débordés par le nombre d’exilés qui arrivent chaque jour sur leur territoire. Le premier a vu arriver 119.369 migrants en 2017 et, la même année, le second en a accueilli 35.052. La Grèce, en particulier, a été épinglée en 2011 par deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, qui constataient des défaillances systémiques dans son régime d’asile. Concrètement, un exilé entré sur le territoire européen par l’Italie ou la Grèce, et ayant continué sa route jusqu’en Belgique, ne peut y demander l’asile. S’il enregistre sa demande auprès de l’Office des Etrangers, il sera automatiquement placé en "procédure Dublin", et renvoyé dans le pays d’entrée afin d’y présenter sa demande d’asile.

Bien au fait des obstacles qui dissuadent les migrants du parc Maximilien à demander l’asile, la Plateforme Citoyenne milite pour l’application de la clause de souveraineté prévue par l’article 17 du règlement Dublin III. Celle-ci permet à un Etat de renoncer au transfert d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande. Une solution loin d’être envisagée par les responsables politiques. "C’est absolument hors de question, tranche Gaëlle Smet. On a un accord Dublin, et il n’est pas question qu’on décide unilatéralement, du jour au lendemain, de ne pas respecter cet accord. On a toujours été au MR pour le respect des règles". La crainte formulée par la conseillère politique et par son parti abrite celle de la formation d’un appel d’air : attirés par l’application de la clause de souveraineté, de nombreux exilés présents sur le sol européen seraient tentés de rallier la Belgique, qui ne pourrait plus ainsi répondre à l’explosion du nombre de dossiers. "C’est faux, parce que la clause de souveraineté prévoit des critères l’éligibilité, rétorque Mehdi Kassou. Qui veut ne peut pas décider de venir en Belgique et demander l’asile. Il y a par exemple la présence sur le territoire pendant une période donnée. On pourrait estimer que toutes les personnes qui ont été prises en charge au travers du dispositif, entre telle date et telle date, peuvent potentiellement demander l’asile sans être renvoyées dans le pays par lequel elles sont arrivées. Ça évite qu’il y ait un afflux massif ".

Mais le chemin est long avant d’obtenir un statut de réfugié. Un premier entretien attend le requérant à l’Office des Etrangers pour enregistrer sa demande, une rencontre déterminante pour savoir s’il peut échapper à la procédure Dublin ou pas. Si tel est le cas, de longues entrevues de quatre ou cinq heures chacune l’attendent ensuite dans les locaux du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), qui examine la demande d’asile. L’administration opère un tri sélectif entre migrants - terme générique qui n’a aucune définition juridique - qui ont fui leur pays pour raisons économiques et migrants politiques. Ce sont ces derniers à qui l’on accordera le statut de réfugié, selon les critères établis par la convention de Genève de 1951 : il peut être acquis par toute personne "craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". Un exilé (terme plus précis employé par les associations de Calais) peut aussi se voir accorder la protection subsidiaire, dans le cas le cas où il viendrait d'un Etat qui applique des discriminations sans distinction. Les personnes qui viennent d'un pays en guerre, comme la Syrie, ont donc toutes les chances d'obtenir ce statut renouvelable chaque année.

"On veut faire passer un message selon lequel la Belgique n’est pas une terre d’accueil", France Arets (CRACPE)

Mais avant d’accorder le précieux sésame, le CGRA s’attelle à une vérification pointilleuse des informations qui lui parviennent. Hélène Stevens, diplômée d’un master de relations internationales et action humanitaire, travaille pour le pôle social de la Plateforme Citoyenne. Depuis le Hub humanitaire, à la gare du Nord, elle s’occupe de l’information de première ligne. Son rôle est d’expliquer à toute personne qui le souhaite les procédures qui existent en Belgique pour demander l’asile. "S’ils ont laissé leurs empreintes en Italie, on les prévient d’abord de l’éventualité d’être ‘dublinés’ et d’être renvoyés, explique-t-elle. Puis vient l’entretien au CGRA, un passage difficile qui laisse les exilés désarmés face à la précision des questions des agents.

France Arets, du Collectif de Résistance aux Centres pour Etrangers (CRACPE) fait un constat encore plus amer. "Ils essayent à force de poser des questions de vous mettre en contradiction avec des choses que vous avez dites lors de l’entrevue précédente. Les gens ne s’y retrouvent plus à un certain moment". Le CRACPE s’est formé au moment de la construction du centre fermé de Vottem à Liège en 1999, et lutte depuis pour la fermeture du centre et la régularisation des sans-papiers. Bien que les sans-papiers soient dépendants de l’Office des Etrangers pour l’examen de leur dossier, la situation est similaire à celle du CGRA. "L’office des Etrangers n’est qu’une courroie de transmission, opine France Arets. C’est une administration qui fonctionne comme elle l’entend, mais qui quand même fonctionne différemment selon les injonctions qu’elle reçoit du secrétaire d’État à l'Asile. Quand ces injonctions sont de régulariser le moins possible, c’est ça qui se passe".

France Arets est habituée aux refus de l’Office des Etrangers. Peu de dossiers sont acceptés selon la procédure normale de régularisation, qui permet d’obtenir une autorisation de séjour exceptionnelle pour raisons humanitaires ou médicales : "Le premier argument utilisé est de dire que vous pouviez demander un titre de séjour à partir de votre pays d’origine pour raisons humanitaires. Ce qui n’est pas possible, parce qu’en général les gens fuient un pays dans une situation de problème". Une personne sans-papiers a encore moins de chances d’être régularisée pour raisons médicales : "Prenons une maladie comme le VIH : on va vous dire que vous pouvez vous faire soigner dans votre pays d’origine. Sauf que, si on est en Afrique subsaharienne, il n’y a qu’un ou deux hôpitaux qui soignent, et surtout avec des traitements hors de prix pour les gens. Mais ça non, du moment que le pays peut soigner là-bas on n’acceptera pas une régularisation pour raisons médicales. Il faut presque être à moitié mort pour obtenir une régularisation médicale en Belgique".

Pour France Arets, cette intransigeance envers les sans-papiers, et envers les exilés dans leur ensemble, est le résultat d’une volonté politique : "On veut faire passer un message selon lequel la Belgique n’est pas une terre d’accueil, et que si vous venez ici vous devez avoir de bonnes raisons, que ce n’est pas facile. Ce n’est pas le fait uniquement de ce gouvernement, mais celui-ci a la particularité de durcir encore les choses". Pour preuve, l’annonce en mars dernier de la fermeture de neuf centres d’hébergement temporaires ouverts en 2015, avec pour idée de revenir aux capacités d’accueil d’avant la crise de l’asile de cette année. Le réseau, qui comptait en mars 23.815 places, devrait être ramené à 16.629 places à l'horizon 2019. En 2016 et 2017, le gouvernement avait déjà fermé 30 centres temporaires et 13.750 places. Le raisonnement du gouvernement, purement budgétaire, s’appuie sur un taux d'occupation en baisse des centres d’hébergement. Il était selon l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile (Fedasil) de 74 % en mars, alors qu’il se situait à 99 % en octobre 2015. Dans le même temps, trois nouveaux centres fermés verront le jour d’ici 2021, dont deux en Flandre et un en Wallonie. Ce dernier, qui a ouvert le samedi 11 août, consiste en une extension du centre 127bis à côté de l’aéroport de Zaventem et est consacré à l'expulsion de familles en situation irrégulière.

Tout porte à croire que, sous la houlette de Théo Francken et de la N-VA, le gouvernement mène une politique orientée vers l’incitation à un retour volontaire au pays malgré l'exhortation lancée fréquemment aux exilés de régulariser leur situation. "La seule information qu’ils reçoivent à l’Office des Etrangers repose sur la distribution des flyers de retour volontaire, insiste Adriana Costas Santos. Il y a énormément de MENA (Mineurs Etrangers Non Accompagnés) qui ne connaissent pas leurs droits en Belgique. La seule chose qu’ils savent c’est qu’en Belgique on leur propose le retour volontaire". Depuis les bureaux du MR, Gaëlle Smet défend la politique du gouvernement : "Il y a des campagnes d’information à très grandes échelles qui ont eu lieu au parc Maximilien et qui ont été organisées, pas spécialement par l’Office des Etrangers, le CGRA et Fedasil, mais également par des ONG qui ont fait un très bon travail. Je ne peux pas garantir qu’il n’y a pas certaines personnes qui sont passées entre les mailles du filet de l’information, mais des informations ont eu lieu et ont eu lieu régulièrement". Un avis que les faits semblent contredire, et qui est contesté par les membres de la Plateforme citoyenne, eux qui sont au contact quotidien des problèmes que rencontrent les exilés : "Il n’y a aucune volonté politique, aucun courage", tranche Adriana Costas Santos.

"L’État se cache derrière la procédure d’asile en disant qu’ils n’ont qu’à demander l’asile et qu’ils auront alors une protection matérielle, légale et médicale, comme le prévoit la loi, analyse Mehdi Kassou. Il y a un déni des réalités, c’est-à-dire que le principe d’une société, et en particulier d’une société dite solidaire, c’est d’être progressiste par essence : de dresser un bilan de la société, puis de trouver des budgets pour répondre à une réalité sociale. De ce côté là c’est une politique de l’autruche : ils ne veulent pas accepter que la réalité migratoire est différente de celle qu’elle était en 51, quand la Convention de Genève a été rédigée". Critique, le porte-parole de la Plateforme citoyenne pointe du doigt un désengagement de l’État : "C’est une volonté politique d’accepter une réalité et ensuite de mettre en œuvre ce qu’il faut pour répondre aux besoins. De ce côté-là ils n’y répondent pas, et c’est le monde associatif et citoyen qui prend en charge. Normalement, quand le monde associatif s’y met, derrière le monde politique observe et constate ce qui doit être fait. Ici ce n’est pas le cas, et c’est une volonté littéralement politique, parce que 500 personnes dans Bruxelles a priori c’est relativement facile à prendre en charge. C’est vraiment une volonté de ne pas trouver des solutions".

Une débat qui polarise et, au centre, des citoyens engagés…

L’intransigeance de l’État belge en matière d’asile peut s’expliquer d’un point de vue politique par le poids combiné du MR (libéral) et de la N-VA (nationaliste) au gouvernement. Tous deux sont membres de la coalition dirigée par le Premier Ministre MR Charles Michel, dont fait partie également l’Open VLD (libéral) et le CD&V (chrétien-démocrate). Les deux premiers cités sont cependant les deux premières forces de la "suédoise", avec 20 sièges sur 150 à la Chambre des représentants pour le MR et 33 pour la N-VA. Le parti dirigé par Bart de Wever se trouve ainsi en position de dicter sa politique d’asile après avoir obtenu le ministère de l’Intérieur, occupé par Jan Jambon, et le secrétariat d’état à l’Asile et à la Migration, octroyé à Théo Francken. Dans une carte blanche parue le 24 janvier dernier dans le quotidien flamand De Morgen, Bart de Wever a tracé les contours idéologiques de cette politique et mis en garde contre l’accueil des migrants. L'intervention du président de la N-VA a constitué une réponse aux événements survenus le dimanche précédent, lorsque plus de 3000 personnes ont formé une chaîne humaine entre la gare du Nord et le parc Maximilien afin d’empêcher l’arrestation de migrants par la police. Selon lui, ces "bien pensants de gauche" doivent choisir entre accueillir tout le monde et ouvrir les frontières ou maintenir le système social Belge à flot. Pour le leader de la N-VA, le choix est vite fait, car "si nous rendons notre sécurité sociale disponible pour tout le monde, elle s’effondre". Avant de continuer : "Il y a 37 millions de Soudanais qui souhaiteraient certainement une vie meilleure. Avons-nous l’obligation morale d’accueillir ces 37 millions de Soudanais? Et qu’en est-il du reste de l’Afrique ?".

"Il y a une représentation médiatique et politique qui construit le migrant comme un ennemi identitaire", Carine Thibault, directrice des campagnes au CNCD 11.11.11

Cette position est discutable, dans la mesure où la plupart des déplacements se déroulent dans les pays limitrophes. L’Ethiopie, le Tchad, le Kenya, la République Démocratique du Congo et l’Ouganda sont les pays vers lesquels se dirigent la plupart des Soudanais. Ceux-ci ont accueilli, avec le Cameroun et le Soudan, 28 % du nombre global de réfugiés en 2016, soit 4,9 millions sur 22,5 millions. Dans l’ensemble, 85 % des réfugiés vivaient en 2017 dans les pays en voie de développement. Bart de Wever surestime tout autant le poids des migrants sur la sécurité sociale : les 13.833 réfugiés reconnus en 2017 représentaient 9,87 % des bénéficiaires du Revenu d’Intégration sociale (RIS), au nombre de 140.149. En réponse aux propos du bourgmestre d’Anvers, un article du quotidien L’Echo est venu rappeler le même jour que, bien que les exilés coûtent d’abord à la sécurité sociale, ces dépenses sont ensuite compensées par leur intégration dans le marché du travail. Se basant sur une étude réalisée en 2016 par la Banque Nationale Belge, le journaliste a souligné que les dépenses supplémentaires pour l’accueil des réfugiés se sont élevées à 134 millions d’euros en 2015, puis 308 millions en 2016 (au plus fort de la crise migratoire). A cela est venu s’ajouter 1,3 milliard d’euro en allocations sociales (chômage et revenu d’intégration) sur la période 2015-2020. Ces montants alourdissent le déficit public de 0,04 % du PIB, ce qui toutefois se transformera en 2020 en un excédent de 0,03 % du PIB grâce aux impôts et cotisations sociales des nouveaux venus. D’après les projections de la BNB, l’économie belge engrangera finalement, en 2020, une croissance supplémentaire de 0,1 % du PIB.

Le poids des migrants sur la protection sociale est donc relatif, contrairement à ce que prétend Bart de Wever. De surcroît, les réfugiés ne sont pas non plus éternellement dépendants de l’État, comme l’a démontré une étude menée en 2015 par des chercheurs de l’ULB et de la KU Leuven. Après avoir suivi sur plusieurs années la trajectoire des 108.856 personnes qui ont demandé l’asile entre 2001 et 2010, ces chercheurs ont conclu que, quatre ans après la reconnaissance de leur statut, 55 % des réfugiés étaient actifs sur le marché du travail. Soit un chiffre proche de la moyenne belge (65%).

S’il est indéniable que les paroles du leader de la N-VA correspondent à une conviction idéologique, elles répondent également à une dimension électoraliste non négligeable. Les déclarations de Bart de Wever contribuent en effet à instaurer un climat d’inquiétude concernant les conséquences potentielles des flux migratoires. Les sondages lui donnent raison : en novembre 2016, l’Institut IPSOS a indiqué que 50 % des belges considèrent que les immigrés pèsent trop lourdement sur la sécurité sociale des citoyens, et 37 % des interrogés jugent qu’ils leur prennent leurs emplois. Plus étonnant, un sondage de mars dernier a indiqué que 44 % des wallons considèrent Théo Francken comme "un bon secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration". Ce résultat a confirmé la popularité croissante du bourgmestre de Lubbeek dans une région où la politique droitière de la N-VA a traditionnellement du mal à s’implanter. "La popularité de Théo Francken est très partagée en Wallonie, il clive beaucoup, analyse Carine Thibault, directrice des campagnes pour le CNCD 11.11.11, une association qui relie les ONG francophones belges. Il y a une représentation médiatique et politique qui construit à la fois le migrant comme un ennemi identitaire et un danger pour notre économie et notre sécurité sociale. Ce qui n’est pas du tout représentatif du nombre de réfugiés qu’accueille l’Europe" . Pour la militante, ces discours construisent de façon erronée l'image de migrants pauvres et peu qualifiés: "Derrière cela se trouve un questionnement sur la façon avec laquelle l’Europe se perçoit dans le monde maintenant. Il y a aujourd’hui une tendance au repli sur soi, avec l’idée que l’avenir de ses enfants ne sera pas meilleur que le sien. C’est quelque chose de neuf pour les européens, et de là naît un élément d’angoisse, de peur et de préoccupation qui peuvent influencer une politique plus fermée pour les migrants. Cela correspond in fine à l’idée que le gâteau est de plus en plus limité, et donc que s’il y en a d’autres qui arrivent ils vont prendre leur part du gâteau".

Entre 10.000 et 15.000 personnes ont défilé le 25 février dernier pour réclamer une politique migratoire plus humaine. Au centre de l'écran se trouve Adriana Costa Santos. © Frédéric Moreau de Bellaing
De nombreux slogans ont affiché leur opposition au projet de loi autorisant les visites domiciliaires. © Frédéric Moreau de Bellaing

Alertée par les polémiques de Bart de Wever et de Théo Francken, Carine Thibault observe désolée la libération de la parole qu’elles induisent. Elle est cependant convaincue qu’il existe une majorité silencieuse en désaccord total avec la ligne politique du secrétaire d’État, responsable d’un "lâchage très fort dans le discours et dans les mots utilisés". C’est pourquoi le CNCD 11.11.11 mène depuis septembre 2017 un travail de réflexion sur la justice migratoire, dans laquelle s’inscrit la campagne "Rendons nos communes hospitalières". "La question des migrations est un débat qui polarise, dans lequel s’exprime de manière très forte une partie de l’opinion publique qui est pour une politique extrêmement restrictive sur les migrations, explique Carine Thibault. Une autre partie de l’opinion publique est plutôt solidaire et hospitalière, mais s’exprime relativement peu". Le but de la démarche est ainsi de mobiliser cette deuxième frange de la population afin qu’elle puisse peser sur les débats politiques. "Notre travail est de polariser l’opinion publique en lui donnant des cadres, des moyens d’action, et que l’indignation ne soit pas un abattement", conclut-elle.

Pour arriver à ses fins, la campagne s’est emparée du pouvoir d’interpellation du conseil communal, un dispositif qui existe depuis 2012 en région Wallonne et 2014 à Bruxelles (sans toutefois que cela soit le cas au niveau fédéral). "Les plus petits territoires ont quelque chose à dire sur des politiques publiques qui en général relèvent d’autres niveaux de pouvoir, précise la militante. Ce sont des lieux fertiles de création". L’objectif ainsi affiché est de pousser à l’élaboration d’une politique qui devrait permettre de sanctuariser l’espace public en rapprochant le le citoyen du pouvoir local et en protégeant les populations les plus discriminées, en particulier les sans-papiers. Une référence à peine voilée aux villes sanctuaires aux Etats-Unis, qui s’opposent au gouvernement fédéral en empêchant que les fonds municipaux servent à faire respecter les lois sur l’immigration, ou que la police ou les employés municipaux puissent interroger une personne sur la légalité de sa présence sur le territoire national.

Intervention de la brigade anti-agression le 18 novembre 2017 à la rue des Sables à Bruxelles, lors d'une nouvelle occupation d'un bâtiment désaffecté par 80 migrants de la Voix des Sans-Papiers. © Frédéric Moreau de Bellaing
Six personnes ont été blessées, dont trois qui ont reçu des tirs de projectiles en plastique dur. Ce n'est qu'après que la brigade anti-agression a appris qu’ils avaient affaire à un déménagement de la Voix des Sans-Papiers. © Frédéric Moreau de Bellaing

Après un long travail pour décrire les compétences communales et ce qui pourrait leur être demandé, Carine Thibault et son équipe ont mis en place une motion type, qu’ils ont ensuite distribué aux collectifs citoyens et associations qui souhaitaient s’organiser politiquement. En premier lieu, les communes s’engagent à travers cette motion à sensibiliser la population sur les migrations et l’accueil, via la mise en place de rencontres interculturelles et l’organisation d’événements. "Quand les gens reçoivent des informations qui nuancent leur position, en général leur opinion a tendance à changer", estime Carine Thibault. Ensuite, il s’agit d’améliorer l’accueil et le séjour des migrants. Parmi les revendications se trouvent pêle-mêle la mise en place d’informations sur les droits des migrants dans les administrations, la formation des agents communaux, l’accès à l’aide médicale urgente, ou encore la protection des sans papiers contre les discriminations de la police. Dernier enjeu de la motion, plus symbolique celui-ci, montrer sa solidarité envers les communes et les pays confrontés à un accueil de nombreux migrants.

En l’espace d’un an, la campagne a permis que 65 communes se déclarent hospitalières, avec à peine cinq motions rejetées lors du vote au conseil communal. Ce succès a poussé le CNCD 11.11.11 à étendre son action aux Universités, Hautes Ecoles et Ecoles supérieures des arts, ainsi qu’à d’autres niveaux de pouvoir : l’Union Européenne, avec une pétition lancée début mars qui a réuni pour l’instant plus de 40.000 signatures (elle a besoin d’en réunir au moins un million, provenant de sept pays de l’UE, pour être entendue en session plénière au Parlement Européen) ; ou encore la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec une résolution signée le 21 mars dernier, et qui a été lancée après l’arrestation en février dernier de sans-papiers dans les locaux de l’association culturelle flamande Globe Aroma. Le texte de ce projet comporte la demande au gouvernement de la Fédération de veiller à préserver l’inviolabilité des lieux culturels vis-à-vis des forces de police.

Le CNCD 11.11.11 a multiplié sa présence sur de nombreux événements pour faire connaître sa démarche: Festival Jam in Jette le 19 mai, United Stages le 17 juin, Journée des réfugiés le 20 juin... Ici, à un sit-nic au parc Maximilien le 1er mai dernier. © Frédéric Moreau de Bellaing

Cependant, le CNCD 11.11.11 se trouve confronté à plusieurs problèmes qui limitent la portée de la campagne. Il n’y a qu’un référent par province, et aucun des chargés de campagne n’a le temps de superviser efficacement l’application de la motion. Par ailleurs, la marge de manœuvre de la motion est limitée par les compétences de la commune en matière migratoire ainsi que par ses capacités budgétaires et administratives. Aucune commune ne peut s’opposer à l’arrestation de sans-papiers par la police fédérale, et nombreuses sont celles qui, par manque de moyens, ne peuvent garantir de promesses comme celle sur le paiement à l'heure des loyers par le CPAS. Résultat, un certain nombre de textes se limitent à inscrire ce qui peut être mis en place par la commune, rappellent ce qui l’est déjà, ou bien encore survolent certaines dispositions sans véritablement d’engagement précis. Pour ceux qui les portent, ils manquent donc d’ambition. La frustration est grande chez certains citoyens engagés, comme ceux du collectif bénévole à Molenbeek.

"On ne voulait plus que cette motion soit votée du tout, c'est une grande faillite du CNCD", Sarah Djebara, membre du collectif citoyen de Molenbeek

"On s’est sentis trahis, c’était impossible de discuter", s’exaspère Sarah Djebara, une jeune médecin spécialiste en médecine interne. Habitante de la commune la plus pauvre du pays, elle a dû faire face à des moyens limités et à la réticence du conseil communal. Molenbeek abrite une importante communauté d’immigrés (28 % des habitants sont étrangers), en majorité des maghrébins et des personnes d’Afrique subsaharienne, sans oublier les intra-européens. Attirés par cette mixité culturelle, plus de 1000 syriens sont arrivés depuis trois ans pour une population d’un peu moins de 100.000 habitants. Militante pour le droit à la santé des migrants, Sarah a intégré un groupe d’une dizaine de personnes aux profils variés. Parmi eux un prêtre, un cadre, quelques chômeurs, et beaucoup de médecins féminins en provenance des maisons médicales et de Médecins du Monde. Le groupe a travaillé sur la base du texte standardisé du CNCD 11.11.11, préalablement amendé par deux échevines - Sarah Turine (échevine Ecolo de la Cohésion sociale et du Dialogue Interculturel) et Ann Gilles-Goris (échevine CDH de l’Action sociale, la Santé et responsable du CPAS) - et la bourgmestre, Françoise Schepmans (MR). Les travaux préparatoires incitaient à l’optimisme, puisque de nombreuses réunions ont été organisées avec les deux premières afin de savoir ce qui pouvait être demandé. Deux pages de réclamations portant sur la santé, le logement, la scolarité et la police ont ainsi été ajoutées au texte initial.

Cependant l’affaire s’est corsée sérieusement lors du vote au conseil communal. Après avoir reçu le texte du collectif, la majorité MR/Ecolo/CDH a déposé sa propre motion remaniée, dont le contenu s’est inspiré de celle très imprécise de Saint-Gilles. Le travail du collectif est donc passé sous silence, puisque seule peut être votée la motion qui est présentée la première alors que, par ailleurs, celle-ci présentait un décalage important par rapport au travail du collectif. Rose-May Libaert, membre de la Voix des Sans-Papiers, témoigne : "Ils se sont basés sur notre proposition de texte mais ont changé la formulation de pas mal de phrases. Ils ont par exemple inscrit ‘continuer à informer', ce qui présuppose qu’ils font déjà beaucoup de choses. Mais ils ont laissé tomber tout ce qui concerne les personnes sans-papiers et la police. Pour les demandeurs d’asiles c’est correct, mais pour toutes les personnes qui sont déboutées et qui ont un ordre de quitter le pays, ils ne veulent pas s’avancer".

La question des illégaux est trop délicate pour le personnel politique, surtout pour les membres du MR, qui seraient alors rentrés en confrontation avec leur parti. Résultat, tout le chapitre sur les interventions de la police a été supprimé, remplacé par quelques phrases évasives sur les droits des sans-papiers, comme "respecter leurs droits fondamentaux", ou bien "continuer d’assurer l’accès à l’aide médicale urgente". "Pour la police, la bourgmestre a estimé que ce n’était pas sa compétence, qu’il fallait discuter avec le Conseil de police", se souvient Rosemay. Le zone de police Bruxelles-Ouest s’étend en effet au-delà de la juridiction de la bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean, et comprend plusieurs autres communes de Bruxelles : Jette, Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe et Koekelberg. "Elle aurait pu, s’il y avait une volonté politique, contacter le Conseil de police et discuter avec les différents bourgmestres", estime Rose-May.

En réponse à l’attitude de la majorité, le collectif a envoyé sa motion à l’ensemble de l’opposition, ce qui a eu pour effet d’aviver encore les débats. Dès lors aucune discussion n’est possible, ni avec les membres du collectif ni entre les élus communaux. L’indignation est à son comble lorsque la majorité fait défiler les amendements de l’opposition sans même prendre la peine de les voter. L’atmosphère de la salle devient assourdissante, un vacarme de cris et de protestations. L’opposition et le collectif crient au scandale et au déni de démocratie, sans obtenir gain de cause. Sarah Djebara et ses collègues reçoivent tout de même quelques jours plus tard une lettre d’excuses de Sarah Turine et de Ann Gilles-Goris. Un geste qui ne compense pas l’absence de considération du conseil communal.

Cet épisode a provoqué du dépit chez certains membres du collectif molenbeekois, confrontés pour la première fois à la réalité du jeu politique, et a remis en question la confiance qu’ils avaient dans la démarche du CNCD 11.11.11. "Le fait d’aller voir directement les politiques met en question la tactique de la campagne, estime Chris Depredomme, médecin qui officie depuis vingt ans chez Médecine pour le peuple. Ce n’est plus une motion ‘Communes hospitalières’ parce que c’est récupéré par le politicien, ce n’est plus citoyen". Certains pensaient pourtant qu’en portant directement la motion à la majorité, celle-ci aurait plus de chances d’être votée, et qu’il aurait fallu alors se contenter de ce qui avait été obtenu. "Nous on ne voulait plus que cette motion soit votée du tout, s’agace au contraire Sarah. C’est une faillite du CNCD 11.11.11 : Pour eux c’est une grande campagne qui lance des idées. Mais je trouve que c’est dangereux, parce que si avec un texte aussi nul et aussi faible vous vous appelez ‘commune hospitalière’, on ne va plus discuter ensuite : pourquoi discuter, diront-ils ? On est déjà ‘commune hospitalière’. Eux ils ont donc tout gagné : tout le monde, à droite comme à gauche, va pouvoir récupérer le label ‘commune hospitalière’, et derrière on va en rester là. Moi je préfère qu’on oublie la motion et qu’on continue de discuter, même si ça prend plusieurs années". Dans les locaux du CNCD 11.11.11, Carine Thibault exhorte à la patience : "Même si tout dans la motion n’est pas repris ou n’est pas parfaitement écrit, quelque part il y a un symbole. Le fait qu’il existe ce choix symbolique, qui a été pris par une entité politique, permet de revenir dessus ensuite. C’est ce qu’on appelle le rapport de force, on n’obtient pas tout tout de suite. C’est légitime d’être déçu et de demander plus, mais on ne va pas tout changer d’un coup. Pour l’avortement ça a mis des années avant d’obtenir des avancées, et ce sera pareil pour la question des migrations dans les années à venir. Je pense qu’il faut construire un agenda plus positif ".

"Pour l’instant il n’y a pas du tout un effet de sanctuarisation du territoire. Ce qui est sûr c’est qu’il y a une vigilance plus importante des citoyens", Elodie Vandenplas, chargée de campagne à Bruxelles pour le CNCD 11.11.11

Le cas de Molenbeek reflète les difficultés du CNCD 11.11.11 à obtenir des garanties de la part des conseils communaux. Le même cas de figure s’est produit dans d’autres communes bruxelloises avec une forte population d’immigrés, comme à Saint-Josse, Schaerbeek ou Anderlecht. Dans cette dernière, une interpellation est toujours en cours depuis début février, et les citoyens commencent à penser qu’ils n’obtiendront que la promesse de rencontres interculturelles. Un engagement appréciable, mais les militants attendent d’avantage l’apport d’une aide structurelle. "On ne connaît pas la marge de manœuvre des bourgmestres, analyse Elodie Vandenplas, chargée de campagne sur la région de Bruxelles. Il y en a qui sont très légalistes, mais il y a une volonté politique qui peut augmenter cette marge de manoeuvre". Mis à part l’obstacle d’un budget limité, les collectifs et associations qui s’emparent des motions se retrouvent confrontés à un agenda politique marqué par les élections communales à venir en octobre. Certains élus ne veulent en effet pas froisser des personnes avec qui ils seraient amenés à négocier de nouvelles coalitions. S’ils acceptent de discuter du projet, ils ne veulent pas leur donner trop de visibilité, de peur des retombées électorales. C’est ainsi que certaines communes se montrent timorées : une motion devient une "lettre d’intention", le mot "migrant" devient "ressortissant étranger". La démarche finit par brusquer les membres du collège communal, qui se sentent obligés de justifier leur manque d’enthousiasme et assurent être déjà très entreprenants pour les migrants présents sur leurs territoires.

Tout n’est pas cependant à déplorer. A Molenbeek, le rapport de force installé par les citoyens a permis qu’un des porte-paroles arrêtés du collectif de la Voix des Sans-Papiers soit libéré dans la soirée, après que la bourgmestre Françoise Schepmans et celui de Jette, Hervé Doyen, soient intervenus auprès du chef de corps de la police de Bruxelles-Ouest. Malgré les défauts de la campagne, treize communes bruxelloises sur 19 ont pour l’instant adopté une motion, et trois sont en cours d’interpellation. La campagne a tout de suite rencontré un relai citoyen, ce qui a surpris au premier abord les responsables du CNCD 11.11.11. La première réunion informative organisée en mai 2017 a attiré cent personnes au lieu des 25 espérées. Le même engouement a eu lieu lors de la seconde réunion, ce qui a convaincu l’ONG de l’intérêt des citoyens pour le thème migratoire. "Quand les élus voient débarquer tout à coup trente ou même cent personnes au conseil communal, c’est vraiment important, souligne Elodie Vandenplas. Normalement il n’y a personne lors des sessions au conseil, tout passe tout seul". La jeune femme, également chargée de la mobilisation citoyenne et de la sensibilisation auprès du grand public, assure que certains élus lui ont même avoué qu’ils n’avaient jamais vu ça de toute leur carrière. A Ixelles, la pression citoyenne a poussé le conseil communal à prendre des dispositions plus engageantes, et le texte a été voté quasi à l’unanimité. 110 personnes (ainsi qu’une chorale) ont fait le déplacement lors du vote à Watermael-Boitsfort. Encore 120 personnes se sont rendues à Woluwe-Saint-Lambert le 11 mars dernier pour une conférence sur les causes de l’exil au Soudan.

Ce dévouement ne s’est cependant pas autant fait sentir dans les communes périphériques de Bruxelles, comme Uccle, Woluwe-Saint-Pierre, Genshoren ou Koekelberg, dans lesquelles le problème de l’accueil ne se pose pas avec autant d’urgence. Pour les autres, la forte présence d’une communauté d’immigrés et de primo-arrivants augmente les attentes autour de la motion. "Pour l’instant il n’y a pas du tout un effet de sanctuarisation du territoire, tempère Elodie Vandenplas. Les rafles n’ont jamais été aussi importantes que ces derniers temps. Ce qui est sûr c’est qu’il y a une vigilance plus importante". Même si toutes les revendications n’ont pas été obtenues, "les citoyens sont invités à continuer ce combat, assure la chargée de campagne. On encourage la formation de comités de vigilance qui se réunissent au moins deux fois par an pour évaluer les progrès réalisés, voir si la commune a respecté ses engagements et s’il n’y a pas besoin de l’interpeller à nouveau".

Le bilan des "Communes hospitalières" peut donc sembler pour l’instant assez mitigé, tant par les difficultés politiques rencontrées par les citoyens que par la frustration qu'elles entraînent. Néanmoins, la campagne témoigne du développement d’un réseau de soutien actif envers les migrants, qui oppose un droit de regard sur la gestion pouvoir local. L'essentiel du mouvement de solidarité se manifeste cependant dans l'apport d'une aide matérielle urgente, qui s'est structuré autour de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés.

La Plateforme citoyenne face au désengagement de l'Etat

Le mercredi 23 mai dernier, un millier de personnes se sont rassemblées place Poelaert devant le palais de justice de Bruxelles pour pleurer la mort de Mawda Shawri. Sur place se trouvent des responsables politiques et syndicaux, des associations, des familles et des citoyens de tous bords idéologiques, tous venus apporter leur soutien. Quand la nouvelle est apparue, l’indignation a explosé. Toutes les pensées vont vers le parc Maximilien, où 600 personnes s’entassent tous les jours sans savoir ce qu’il en sera de leur avenir proche.

Une partie d’entre eux, ne pouvant rester les bras croisés devant cette réalité sociale bien présente, a fini par s’organiser autour de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés. Le mouvement porte bien son nom : plateforme, pour une organisation qui se veut horizontale et non verticale. Aucune tête ne dépasse mis à part celle de Mehdi Kassou, qui a bien dû s’emparer à reculons du rôle de porte-parole face aux sollicitations de la presse. Tous les sympathisants sont admis, toutes les idées bienvenues. "C’est un peu ça la force de la plateforme, déclare Gaia Calligaris, la coordinatrice des bénévoles. On n’a pas vraiment une structure pyramidale, hiérarchique. Evidemment on a une coordination, quelqu’un qui essaye de donner un peu la ligne des activités de la plateforme. Ce qui est important, c’est le contact humain entre les bénévoles de la plateforme et les exilés, et la possibilité pour chacun de proposer quelque chose". Si la Plateforme s’est constituée autour d’une ASBL, ce n’est que par nécessité, puisque ce statut juridique lui permet de percevoir les nombreux dons des citoyens à travers le pays.

Le 14 avril dernier, la Plateforme Citoyenne a lancé une seconde opération de récolte de sacs de couchage. Bilan: l'équivalent 4.995€ en sacs de couchage. L'association a aussi organisé des collectes aux festivals Couleur Café, LaSemo, Dour, Tomorrowland, Esperanzah, Ronquières et Pukkelpop. © Frédéric Moreau de Bellaing

Sa création a répondu à la base à un élan de solidarité spontanée. En 2015, face à l’incapacité de l’Office des Etrangers de traiter tous les dossiers – une attente d’une à deux semaines est nécessaire pour en déposer un, quelques centaines d’irakiens, de syriens et d’afghans installent leurs tentes au parc Maximilien. Des citoyens se rassemblent alors spontanément pour leur venir en aide à travers la distribution de repas, vêtements et sacs de couchages. Mais un événement vient déclencher la fondation de la plateforme. En décembre 2015, l’Etat belge est condamné à payer une astreinte de 125 euros par jour à un exilé afghan de 17 ans qui, étant donné l’affluence à l’Office des Etrangers, avait dû se résoudre à dormir dans la rue. Cette décision de justice revenait en pratique à contraindre le gouvernement belge à offrir un toit à tous les candidats à l’asile, avant même qu’ils aient déposé une demande. Or, le soir même de la décision du tribunal du travail de Bruxelles, Théo Francken annonçait que le jeune candidat réfugié avait été placé en centre fermé, avec pour objectif de le renvoyer en Allemagne. D’après le cabinet du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, il était apparu à l’administration lors de son enregistrement que le jeune homme était majeur, et qu’il avait déjà déposé ses empreintes digitales en Allemagne. Mais les bénévoles du parc Maximilien ne sont pas dupes, et restent persuadés que l’Etat a utilisé tous les moyens possibles pour ne pas avoir à payer l’astreinte du tribunal et à augmenter ses capacités de de pré-accueil. La Plateforme naissante décide alors de pérenniser ses activités afin de pallier aux manquements de l’État.

La Plateforme est depuis responsable de plus de 60.000 repas distribués et de 29.000 nuitées, et a dû se développer pour répondre aux besoins des exilés. Les tentes du parc Maximilien ont été démantelées, tandis que l’association a concentré ses activités à Jette. Elle mène à bien depuis son QG un accompagnement social et administratif pour la préparation des entretiens à l’Office des Etrangers. Après l’acceptation de la demande d’asile, elle les aide également à remplir les démarches administratives nécessaires, à trouver un logement, un travail et à inscrire les enfants à l’école. Le Hub Humanitaire a vu le jour à la gare du Nord, où la Plateforme travaille avec d’autres associations pour l’aide de première nécessité : distribution de vêtements et de repas, aide médicale urgente. Par ailleurs, un centre d’hébergement a ouvert à Haren en décembre 2017, surnommé symboliquement Porte d’Ulysse. Fermé le 30 avril dernier à la fin du plan hivernal, celui-ci a rouvert en juin dans le bâtiment adjacent. En parallèle, et ce depuis août 2017, une dizaine de personnes se rend au parc chaque soir pour mettre en contact les exilés avec des hébergeurs potentiels. Entre ces derniers, les chauffeurs, les bénévoles réguliers et ceux plus ponctuels, 5000 personnes viennent apporter leur aide. Un chiffre qui descend à quelques centaines si l’on excepte les hébergeurs. Tout cela sans compter les 47.290 adhérents sur la page Facebook ainsi que ceux inscrits dans les nombreux groupes du réseau social, à partir desquels les coordinateurs organisent les activités de l’association et font les appels aux dons.

Les "blouses blanches" coordonnent chaque soir l'hébergement depuis le parc Maximilien. Ils mettent en contact les migrants avec les hébergeurs et les chauffeurs qui les amènent à destination. © Frédéric Moreau de Bellaing
Un migrant attend au parc Maximilien de savoir s'il peut trouver un logement. Le cas contraire, il dormira au parc ou à la gare du Nord. © Frédéric Moreau de Bellaing

La plateforme peut ainsi compter sur le soutien sans faille de quelques centaines de fidèles qui, avec le temps, considèrent maintenant les exilés presque comme leur seconde famille. Françoise Klein, retraitée de l’enseignement supérieur artistique, est bénévole depuis septembre 2015, quand les Syriens sont arrivés au parc Maximilien. Au début, au milieu de toutes les tentes et associations présentes, elle venait avec une amie tous les matins faire la vaisselle. "Ce que j’ai beaucoup aimé c’est qu’il y avait tout de suite une grande liberté, il y a toujours eu une grande spontanéité dans la Plateforme. Si vous voulez prendre des initiatives, prenez-les, on vous fait confiance". Elle est de celle que l’on retrouve fréquemment à plaisanter et discuter avec les autres bénévoles comme avec les exilés. Son engagement l’amène partout où la Plateforme est présente : au parc les matins pour réveiller ceux qui dorment dehors afin de les prévenir de l’arrivée de la police ; au Hub Humanitaire pour distribuer des vêtements ; à la Porte d’Ulysse pour conduire le soir les exilés et les ramener au parc le matin. "Comme j’ai beaucoup de disponibilités, je fais un peu des dépannages en tous genres, avoue-t-elle. De fil en aiguille j’ai mis le pied dedans. C’était aussi une manière d’installer une relation de confiance avec tous ces gars qui sont un peu méfiants au premier abord".

Françoise a fini par développer une certaine intimité avec certains migrants, notamment un MENA qu’elle a rencontré en octobre dernier. Elle a été touchée par l’histoire de ce Sierra-léonais de 17 ans dont les parents sont morts lors de l’épidémie d’Ebola, et qui à 14 ans a traversé tout seul l’Afrique de l’Ouest pour arriver jusqu'ici. "Il fait partie de ceux qu’on invite dans la famille à Noël, aux réunions de famille ou aux anniversaires. Lui maintenant il a fait sa demande d’asile, mais il est dans un centre en Flandre. Les centres c’est quand même assez sinistre, donc en général il vient passer le weekend chez nous. Là-bas il est seul, c’est plein d’Afghans et de familles avec qui il ne communique pas. Chez nous c’est un peu une parenthèse, où il aurait un peu une vie normale dans une famille". On reconnaît dans les yeux de la bénévole un certain attachement maternel teinté de prudence. Son petit protégé veut s’installer en Belgique mais, avec une sœur et un oncle en Côte d’Ivoire, ainsi qu’un frère resté en Sierra Leone, elle sait parfaitement que l'Office des Etrangers pourrait l'obliger de partir.

Rosalie Mortier a également développé une réel attachement avec les migrants qu’elle a rencontrée. Elle nous reçoit pendue à son téléphone portable, guettant des nouvelles d’un ami Soudanais qui vient de traverser la Manche. Quand le message arrive, elle pousse un ouf de soulagement et décoche un grand sourire. Cette française, qui travaille dans la garde d’enfants à domicile, consacre tout son temps libre à la Plateforme. Elle a commencé à héberger des personnes vers la fin du mois d’octobre, quand le froid s’est installé dans les rues de Bruxelles. "Je voyais les demandes d’hébergeurs sur Facebook et j’insistais régulièrement auprès de mes colocataires, se souvient-elle. Ils étaient plutôt réticents. Un soir où il faisait vraiment froid, il restait plein de mecs au parc. Là pour moi ce n’était plus possible : J’ai vraiment dis à tous mes colocs que je m’en chargeais, que ça serait ma responsabilité". Rosalie a commencé en logeant deux jeunes Soudanais, dont un qui vient aujourd’hui régulièrement chez elle. Puis, une chose en entraînant une autre, elle a continué une fois l’hiver passé. En parallèle, elle a passé trois mois à la Porte d’Ulysse à coucher et réveiller les exilés, où elle s’est liée d’amitié avec un groupe de soudanais. Après la fermeture du centre, elle n’a pu se résoudre à les abandonner et les a accueillis chez elle.

Une grande partie des activités de la Plateforme consiste principalement, et ce malgré elle, à répondre aux besoins matériels urgents des exilés. "Il n’y a aucune volonté de la Plateforme de s’inscrire comme acteur de l’accueil d’urgence, insiste malgré tout Mehdi Kassou. Ce qu’on voudrait idéalement c’est de pouvoir offrir un dispositif d’accueil et d’orientation avec le Hub et l’hébergement qui n’a rien à voir avec l’accueil d’urgence. Je vais donner un exemple : Une personne qui est déboutée en première instance dans un autre pays, ou qui n’a pas terminé sa procédure d’asile, ou qui risque d’être dubliné, a toute une série de leviers qu’elle peut activer pour pouvoir demander l’asile en Belgique. Ça va de quatre semaines à parfois six mois de présence nécessaire sur le territoire. Un dispositif d’accueil et d’orientation doit pouvoir accueillir cette personne-là, alors qu’un dispositif d’accueil d’urgence a pour rôle de donner à manger, offrir un lit et le lendemain lui demander de partir. Ce n’est pas la même réalité, pas la même réflexion. Ça ne devrait pas être notre mission, même si on le fait, de structurer des dispositifs d’accueil quand on sait que ça existe déjà. On ne traverse pas aujourd’hui une crise humanitaire en Belgique, mais on est dans cette situation simplement parce que le gouvernement n’a pas voulu prendre ses responsabilités. 600 mecs dans Bruxelles ce n’est pas une crise humanitaire, c’est une crise politique".

Par la force des choses, une dizaine de bénévoles de la Plateforme sont ainsi tous les soirs au parc Maximilien pour trouver un logement de fortune aux exilés . "On ne va pas laisser des humains en danger par peur de remplacer l’État", estime Adriana Costas Santos. Les petits papiers, comme on les prénomme, arrivent à partir de 20h et commencent à appeller les hébergeurs potentiels après avoir noté les noms et les numéros de téléphones portables des exilés. Ils sont rejoints par d’autres citoyens qui viennent spontanément proposer un lit ou bien conduite ceux qui le souhaitent à destination. Malgré les difficultés, la Plateforme a réussi à trouver une place pout tout le monde pendant l’hiver. Mais les choses se sont compliquées à la fin du plan hivernal, lorsque de nombreux exilés se sont retrouvés à la rue avec la fermeture de la Porte d’Ulysse. Françoise Klein a été aux premières loges du drame qui se jouait : "Avec Ulysse ils avaient toujours un endroit où aller. Ils savaient que là ils étaient à l’abri, ils pouvaient souffler. C’est ça aussi qui tue les gens, c’est d’être tout le temps sur le qui-vive. Être chassé, être réveillé tout le temps pendant la nuit, ça use les gens, ça les rend fous. Quand la Porte d’Ulysse a fermé ils n’avaient plus d’endroit où aller la nuit s’il n’y avait pas assez de familles. Ils n’avaient plus d’endroit où prendre des douches, plus d’endroit où vraiment prendre un repas le soir et le matin. Je crois que le plus honteux pour eux ce sont les douches. Ils voient bien qu’ils vivent comme des clochards, qu’ils sont sales. C’est pour ça qu’on veut une structure qui soit vraiment un havre de paix".

La Porte d'Ulysse, située dans des bureaux à Haren, a rouvert le 12 juin dernier. Sa fermeture à la fin de l'hiver avait poussé des centaines de migrants illégaux dans la rue. © Frédéric Moreau de Bellaing

Les bénévoles du parc ont dû redoubler d’astuce pendant cette période où, souvent, 350 personnes à peine trouvaient un lit. Les malchanceux retournaient dormir sous un arbre ou bien dans la gare du Nord, risquant d’être chassés par la police fédérale le matin même. Les coups de fils étaient passés jusqu’à tard dans la nuit pour trouver des hébergeurs de plus en plus loin : Liège, Louvain-la-Neuve, Namur, Charleroi… Mais quand une personne répondait favorablement, il était difficile de trouver un volontaire pour parcourir la distance. En parallèle, des hébergements collectifs ont ouvert, encadrés par des équipes de dix à quinze bénévoles à Forest, Ixelles ou Boitsfort. D’autres, comme la maison du spectacle "la Bellone" situé non loin de la place Sainte-Catherine, ont mis à disposition leurs locaux aux migrants pour la journée.

L’ouverture le 12 juin de la Porte d’Ulysse 2.0 a été accueillie avec un grand soulagement. Le centre, situé dans les bureaux désaffectés de Citydev, a été financé par la région de Bruxelles à hauteur de 2,8 millions d’euros pour une capacité d’accueil de 300 personnes. 2,2 millions d'euros ont été consacrés au Samusocial pour gérer 270 familles, tandis que les 600.000 euros restants ont été alloués à la Plateforme Citoyenne pour professionnaliser la structure et embaucher onze personnes. Une équipe de 26 salariés de la Croix-Rouge, du Samusocial et de la Plateforme se rend chaque jour sur place, accompagnés de la trentaine de bénévoles qui viennent quotidiennement leur prêter main forte. La nouvelle Porte d’Ulysse s’est professionnalisée par rapport à la première version, selon les dires de Mehdi Kassou : "C’est un miracle qu’on soit passé au travers la première fois, mais c’était géré de main de maître par 150 bénévoles qui se relayaient chaque semaine. On a mis en place un système de badge, qui est en fait le même système de tickets amélioré et rendu nominatif. Ça permet un suivi socio-administratif plus précis. Y a aussi un nouveau système d’identifications via des tablettes pour les transferts entre le parc, la gare du Nord et la Porte d’Ulysse. L’idée ça a été de professionnaliser là où c’était absolument nécessaire : Avoir deux référents pour veiller la nuit, deux personnes pour accueillir la journée, un poste à la cantine, un poste de coordination générale, un poste de maintenance… Avant c’était impossible d’avoir tout le temps la même équipe, ça manquait de structure tout simplement".

Une bénévole de la Plateforme Citoyenne donne un coup de main pour aménager la nouvelle Porte d'Ulysse. © Frédéric Moreau de Bellaing
Les bénévoles se sont mobilisés pendant deux semaines pour l'ouverture du centre. Malgré la bonne ambiance, la fatigue se lit sur les visages.© Frédéric Moreau de Bellaing

Une telle organisation révèle cependant sur place quelques écueils assez naturels pour ses débuts. Anissa, une des référentes de la journée, est un peu nerveuse : avec sept personnes pour s’occuper de 300 migrants répartis sur six étages, elle craint qu’ils ne soient pas assez. Deux bénévoles à peine se sont présentés à 7h du matin, tandis que dans le bâtiment règne encore un silence matinal. A 8h30, la jeune femme monte seule aux étages pour réveiller tout le monde. "Sabah el kheir", prononce-t-elle d’une voix suave en guise de bonjour. "Breakfast until 10:30", annonce-t-elle. Les corps assoupis ne semblent pas réagir à la perspective d’un petit déjeuner, tout juste une tête dépasse parfois du drap dans un petit grognement plaintif. Les lits longent les murs de ces grands espaces de bureaux vides. Quelques personnes ici et là ont déposé leur matelas sur le sol en moquette bleue, tandis que d’autres ont bloqué l’accès des quelques espaces clos. "Avant il y avait des portes dans l’ancien centre, se rappelle Anissa. Ils les bloquaient avec les lits pour ne pas qu’on les réveille trop tôt".

Petit à petit certains se lèvent péniblement, d’autres réveillent leurs amis pour donner un coup de main à la bénévole. Pendant ce temps, celle-ci tire les rideaux pour forcer les paresseux : "Il y a des matins plus faciles", soupire-t-elle avec tendresse. Elle ne touche jamais les corps, de peur de recevoir un coup en échange. Néanmoins elle semble tenir son rôle avec aisance, ce qui était loin d’être le cas il y a quatre mois. "La première fois j’étais pas du tout préparée, confesse-t-elle. J’avais la boule au ventre, je suis restée au lit pendant deux jours après ça". Aujourd’hui Anissa plaisante avec ceux qui la saluent avec un grand sourire, même si elle prend des précautions avec certaines personnes plus difficiles. "Ils sont quand même contents d’avoir une structure avec des gens qui les réveillent et s’occupent d’eux, ça les cadre", analyse-t-elle.

Les référents montent à 8h30 pour réveiller les migrants. 300 personnes dorment chaque soir à la Porte d'Ulysse. © Frédéric Moreau de Bellaing

Au rez-de-chaussée, Sofia est en train de paniquer en cuisine. Cette brésilienne d’une trentaine d’années voit les premières personnes arriver et elle n’est absolument pas prête à les servir. Elle se plaint de n’avoir que deux personnes pour l’aider, alors qu’elle en aurait besoin de sept : une aux fourneaux et deux par réfectoire. Elle s’interrompt cependant alors que, à l’entrée du bâtiment, des éclats de voix résonnent. Une vigile essaye d’empêcher de passer un groupe de six exilés qui tente de s’infiltrer pour prendre une douche. Etant donné que l’espace est déjà bondé et l’équipe présente débordée, il n’est pas possible de les laisser rentrer. Mais ils ne veulent rien entendre et insistent. L’un d’entre eux, habillé d’un t-shirt vert délavé, a l’air particulièrement nerveux et agrippe la vigile par le bras. Après le départ des fauteurs de trouble, elle avouera avoir pris peur : "Je me suis retenue de pleurer". Il faut dire qu’elle a le mauvais rôle. Elle empêche des gens souvent exténués d’entrer alors qu’ils ont passé la nuit dehors. La tâche est d’autant plus compliquée que, comme souvent, elle n’a pas de binôme masculin. Comme elle ne peut selon la loi toucher des personnes du sexe opposé, elle s’adapte en mettant les bras en opposition autour des réfractaires.

Au même moment, les gens commencent à se bousculer devant Françoise Klein. Joviale comme à son habitude, l’ancienne enseignante tamponne les tickets que lui présentent les exilés et récupère en échange leurs draps roulés en boule, qui seront ensuite déposés dans des sacs plastiques afin d’être lavés. Les migrants se dirigent ensuite vers l’accueil, où ils pourront récupérer leur badge après avoir donné le ticket aux référents. Une foule de mains tendues s’abat sur la pauvre Anne-Sophie, qui a bien du mal à retrouver les cartes correspondantes. Sur sa gauche, un de ses collègues tente de contenir les personnes qui essayent de s’infiltrer dans la salle où sont déposés les sacs. Celle-ci en est remplie jusqu’au plafond et, vu le temps qu’il faut pour retrouver quoi que soit, les référents n’acceptent qu’une personne à la fois. De plus c’est un membre de l’équipe qui est normalement censé plonger pour récupérer les affaires, tandis qu’on lui crie depuis la porte le numéro qu’il faut retrouver.

La plupart des exilés partent ensuite aux réfectoires manger leur petit-déjeuner, même si une minorité préfère se diriger directement vers la sortie. A 11h30, la Porte d’Ulysse est déjà presque vide. Certains s’attardent pour discuter à la fin du repas ou bien fumer une cigarette dehors, accompagnés par une musique Soudanaise qui résonne depuis un téléphone portable. Ils ont jusqu’à 13h maximum pour paresser. La matinée n’est cependant pas finie pour l’équipe du centre, puisqu’elle doit encore inspecter les étages pour vérifier si rien n’a été oublié, aérer un peu et passer l’aspirateur. Pendant ce temps-là, Sofia et les deux bénévoles qui l’accompagnent débarrassent les tables et font la vaisselle. Un petit sourire égaie toutefois son visage. Elle peut enfin se détendre.

Des bénévoles prennent les badges des migrants pour enregistrer leur arrivée. Ces derniers les récupéreront à leur départ le lendemain. Cela fait partie des nouvelles dispositions prises depuis la réouverture du centre. © Frédéric Moreau de Bellaing

Cet engagement de tous les instants épuise inévitablement. La violence sociale dont ils sont témoins pousse certains bénévoles à consacrer la plupart de leur temps libre aux exilés. "C’est beaucoup d’énergie, admet Françoise Klein. C’est vrai qu’une fois qu’on commence on continue parce qu’on peut pas les abandonner. C’est lourd, c’est un vrai investissement". D’un tempérament naturellement altruiste, Rosalie Mortier cumule plusieurs casquettes: réveils au parc, distribution de vêtements, lessives, hébergement… Lorsqu’elle travaillait à la Porte d’Ulysse, elle s’imposait un rythme éreintant: "Je réveillais ou je couchais les mecs trois à quatre fois par semaine. Ça m’est arrivé d’y passer quelques nuits, mais c’était un peu compliqué parce qu’on ne dormait pas beaucoup, et puis c’est toute une organisation. Vu que j’ai des chiens j’avais besoin de rentrer chez moi pour les sortir, et du coup je rentrais après les shifts, dormais quelques heures, et repartais là-bas le matin. C’est quand même à une heure en transports de chez moi, donc il faut bien anticiper sachant que le shift du matin commence à 7h. Ça je le faisais les weekends et régulièrement les mercredi matin".

Françoise de son côté avoue que ses pensées se tournent inévitablement vers le parc : "Quand on entend la pluie dehors on se dit ‘merde, ils sont dehors’, quand il neige ou il grêle on se dit ‘zut, pourvu qu’ils aient tous un toit ce soir’. On essaye de voir un tel ou un tel : ‘t’as besoin de chaussures ? Un sac de couchage ?’". Mais elle retient cependant la force des liens qu’elle tisse avec ceux qu’elle côtoie: "J’ai laissé tombé d’autres engagements parce que c’est tellement fade nos soucis en comparaison de ce que c’est ici. C’est addictif, c’est tellement fort… C’est ça aussi la force : on se soutient, on se parle, ça nous lie avec les autres hébergeurs. Et aussi il y a les amis qu’on retrouve quand on conduit, quand on distribue des vêtements, quand on les loge chez nous, quand on les voit au parc, qu’on taille une bavette avec eux… C’est tellement plus fort". Il n’est alors pas rare de se croiser dans un couloir pour discuter de ses malheurs ou bien de se retrouver pour prendre un pot. "Tout le monde a conscience que c’est quand même épuisant moralement et psychologiquement, confesse Rosalie. On se retrouve des fois face à des situations très dures. Donc à tout moment quand on se croise on se raconte des choses, on se défoule, on se donne des informations sur une autre, on se donne des nouvelles. Ça fait du bien".

C’est en partant de ce constat et avec le volonté de combler un manque ressenti par les bénévoles qu’est naît le groupe de parole, écoute et soutien de la Plateforme. Yza de Burbure, hypnothérapeute de formation, a mis en place avec quelques collègues des séances où les bénévoles peuvent se retrouver deux fois par mois pour échanger leurs impressions. "Ce sont des séances pour savoir comment se protéger soi-même et ainsi pouvoir perdurer dans le temps", explique-t-elle. Elle compte également y adjoindre des formations pour apprendre à gérer sa colère et à se défendre face à la détresse de l’autre. Peu de séances ont pour l’instant eu lieu, puisque le groupe a été fondé au début du mois de mai. Celles-ci ont attiré peu de personnes, soit parce qu’elles ne connaissent pas encore leur existence, ou bien peut-être par réticence. "Qu’est-ce que moi je vais venir dire avec mes petits problèmes alors que je m’occupe de gens qui ont des problèmes tellement plus graves, résume Yza. Sauf qu’il y a une fatigue psychologique qui s’installe. Physique aussi, quand on voit comment les gens se sont démenés pour ouvrir en quinze jours la Porte d’Ulysse".

Quand la gêne est trop forte Yza fait le déplacement pour un rendez-vous en tête à tête. C’est un vrai travail de pédagogie qui consiste à légitimer les angoisses de l’autre. "Il faut les amener à leur faire comprendre qu’ils ont le droit aussi de parler de choses qui sont difficiles". Pourtant ces inquiétudes concernent tout le monde : "Mehdi, Adriana, et tous ceux qui sont autour d’eux travaillent depuis un an tous les jours sans aucun stop. Ils sont fatigués, physiquement et psychologiquement. C’est pas donné à tout le monde d’aller tous les jours se confronter à l’autre dans sa différence, d’aller confronter ses problèmes sous la pluie, la neige, le froid, la violence. Tu vas pouvoir trouver un logement à certains et à d’autres t’es obligé de dire ‘non, je suis désolé, il y a personne’, sachant que tu laisses sur le carreau 150 ou 200 personnes. Et ça t’y es confronté à nouveau le lendemain !".

"On dit tout le temps qu’on préférerait retourner vaquer à nos occupations citoyennes", Mehdi Kassou

C’est peut-être à cause de la fatigue des bénévoles qu’un roulement constant s’opère au sein de la Plateforme. Pourtant l’instabilité qui en découle nuit à une structure devenue un acteur incontournable de l’aide aux exilés. L’association ressent ainsi le besoin de basculer vers une professionnalisation et d’employer des personnes dans les postes clés. "Quand on passe à un dispositif qui accueille sept jours sur sept un service de distribution de vêtements, et qu’en plus de ça on doit gérer le dispositif matériel, il faut quelqu’un qui puisse gérer tout ça à temps plein", affirme Mehdi Kassou. Lui-même est salarié depuis juin, après avoir vécu pendant près d’un an sur le préavis de départ de son ancien emploi. "C’est regrettable mais nécessaire. Regrettable parce que depuis le début on n’a pas vocation à remplacer ad vitam æternam les responsables dans leurs responsabilités. On dit tout le temps qu’on préférerait retourner vaquer à nos occupations citoyennes. Maintenant ce qui est sûr c’est qu’après trois ans il y a une coordination qui devient de plus en plus présente, nécessaire. J’espère cela dit qu’on ne basculera jamais dans une professionnalisation totale, qu’on gardera une forte base bénévole".

Les yeux du militant se tournent soudainement vers une femme qui semble l’avoir reconnu. Celle-ci s’approche et félicite chaleureusement Mehdi. "Vous faites vraiment du bon boulot", esquisse-t-elle avec un sourire. Voilà une nouvelle fois la preuve que la Plateforme Citoyenne bénéficie du soutien de la population. Du moins cette frange qui se regroupe autour des valeurs humanistes, qui accepte de moins en moins que l’on abandonne les exilés à leur sort, et qui commence à être de plus en plus entendue.

Credits:

© Frédéric Moreau de Bellaing

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