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La Joconde : l’oeuvre star du Louvre qui éclipse les autres ? LE MUSÉE DU LOUVRE ROUVRE LA SALLE DES ÉTATS, RÉNOVÉE ET REPENSÉE POUR MIEUX GÉRER L'AFFLUX DES VISITEURS de la joconde. PAR L'ATTENTION QU'ELE POLARise, mONA LISA POSE LA QUESTION DE L'AMÉNAGEMENT DES MUSÉES face aux chefs d'oeuvre. Textes et photo d'eSTHER mICHON.

« Please, your turn is over, thanks ». C'est ce que lance froidement une agent de sécurité à l’une des visiteurs venue admirer ce mercredi d'octobre l’oeuvre phare du Musée du Louvre, La Joconde. Cette touriste asiatique est restée trop longtemps à fixer le sourire impénétrable peint par Léonard de Vinci il y a 500 ans. Il lui faut maintenant laisser la place à la foule derrière elle, qui s'est pressée dès l’heure d’ouverture jusqu’à la salle des États, fraîchement rénovée. Le portrait y a repris ses quartiers après 7 mois d’exil où il était exposé dans une autre aile. Le Musée du Louvre a rénové cette salle emblématique, qui n’avait pas été rafraîchie depuis 2001. Le but, « fluidifier l’afflux de visiteurs et améliorer la visibilité de la Joconde ». 660 litres de peintures plus tard, la salle se pare d'un bleu nuit profond qui remplace une couleur ocre, presque délavée. La vitre du tableau a elle aussi été changée pour "gagner en transparence". Globalement, la salle est repensée pour mieux accueillir les visiteurs. Désormais, ces derniers doivent suivre une file d'attente s'il veulent admirer frontalement l'oeuvre, la photographier de plus près ou prendre un selfie. Mais attention, le temps est compté, pas plus de 15 secondes pour un tête à tête numérique avec la star du Louvre.

Cette salle névralgique accueille par an 7 à 8 millions de visiteurs selon le musée. Une étape obligatoire pour les guides du Louvre. Les agents d'accueil, eux, chargés de fluidifier les allers-et-venues travaillent dans le bruit et dans la foule et ce toute l'année et tous les jours, d'autant plus si le climat parisien se fait pluvieux. Si certains estiment qu'il s'agit de leur travail, d'autres confient être heureux d'oeuvrer dans des ailes plus tranquilles, comme celle de Richelieu. Cette rénovation, beaucoup l'attendaient pour un meilleur confort au travail. Tout comme les visiteurs les plus expérimentés. Nicolas Alpach travaille au service communication de L’Institut National d'Histoire de l’Art. Ancien étudiant en art, il se remémore ses nombreuses visites au Louvre, où il délaissait cette salle à cause d'une expérience de spectateur amoindrie compte tenu du nombre de visiteurs. Cette rénovation est pour lui l'occasion de "redécouvrir les oeuvres". Saluant des couleurs qui mettent en valeur les jaunes, les rouges et les verts des autres toiles, il est heureux de ce coup de frais. "Avant, se souvient-il, on voyait carrément la trace de délimitation des agents d'accueil qui s'appuyaient sur le mur" Toutefois, c'est l'aspect "spectaculaire" de l'oeuvre qui lui pose problème. " La file d’attente enlève du statut de l’oeuvre d’art au profit de l’attraction. Elle crée des couloirs de part et d’autre de la pièce qui empêchent d'admirer les autres chefs d'oeuvre de la peinture vénitienne..." regrette-t-il.

La nouvelle réorganisation de la Salle des États a un objectif : fluidifier l'afflux des visiteurs devant la Joconde.

Mais voilà, la Joconde a acquis un statut d'icône. Elle est désormais une référence dans le monde entier qui la lie au Louvre mais aussi plus largement à la ville de Paris et à La France. C'est pour elle que se déplacent les foules puisque 80% des visiteurs du musée viennent plonger leur regard dans le sien. Dans les boutiques, c'est encore elle, qui, déclinée en magnets, stylos et sacs, fait chavirer le porte-feuille des visiteurs. " Elle nous fait vivre, ça c'est clair ! " confie une employée du Musée en époussetant les rayons de ses guides traduits dans des dizaines de langues.

Avec son sourire si mystérieux, Mona Lisa narguerait presque les autres oeuvres d'être contemplée plus de 24 000 fois par jour, sur une durée de 50 secondes par visiteur en moyenne. Dans la Salle des États, des compositions spectaculaires se côtoient comme Les Noces de Cana de Véronèse, le Couronnement d'épines de Titien ou des toiles plus intimistes telle L'Homme au gant de Titien. C'est tout un pan de l'art vénitien qui se trouve dans ce musée. Pourtant, la moitié de ceux qui entrent dans la salle ne regardent que La Joconde et les Noces de Cana. Un outrage à la beauté des oeuvres selon les plus passionnés. Dans ses premières années d'étude à l'École du Louvre où elle étudie, Lucie Colleu avait de nombreux cours d'observations des oeuvres. Notamment celles de la Salle des États. Son regard à elle était davantage concentré sur les autres oeuvres. "Bien sûr, nos professeurs nous parlaient plus des autres tableaux que de Mona Lisa. Mais c'est compréhensible car la documentation de la Joconde est beaucoup plus riche donc la curiosité est moindre" explique la jeune étudiante, passionnée par l'oeuvre de Titien, un maître de la peinture vénitienne.

Une jeune femme se prend en selfie devant Les noces de Cana de Véronèse. Selon le musée, la moitié de ceux qui entrent dans la salle ne gardent que La Joconde et les Noces de Cana.

Alors quelle solution pour faire honneur à toutes les oeuvres et rendre leur admiration possible et sereine ? C'est tout le travail de la muséographie, cette discipline qui tâche de penser le musée, son histoire et son fonctionnement. Dans un article universitaire intitulé "Lonely or not ? Masterpieces in the museum, then, and now" la docteure en histoire de l'art, Cécila Hurley réfléchit à la question de la solitude de l'oeuvre. Dans l'histoire, d'autres musées ont employé la méthode forte en isolant leur chefs d'oeuvres dans des pièces closes pour contrer la surpopulation des salles. C'est le cas du musée d'art des Collections nationales de Dresde, en Allemagne, qui a créé une pièce unique pour La Madone Sixtine à la fin du dix-neuvième siècle. Une initiative qui a inspiré d'autres musées. Mais ce cas de figure serait-il adaptable au Musée du Louvre ? "Bien sûr, en isolant une oeuvre, on donne la possibilité d'accentuer sa contemplation, de fluidifier le flux de ses visiteurs. Mais en sortant une oeuvre d'une pièce, on la sort également de l'histoire narrative de l'art qui permet de mieux la comprendre " nuance la chercheuse. Isoler une oeuvre d'art ce serait alors empêcher le regard comparatif du spectateur avec des peintures de la même époque, de la même influence. Ce serait aussi selon de nombreux passionnés de l'histoire des arts, un aveu d'échec de la part du musée qui ne réussirait pas à gérer le "casse-tête de Joconde". Au problème de sur-fréquentation, le Musée du Louvre a donc tenté d'apporter sa solution. À voir si elle sera gage d'une expérience de spectateur réussie et d'une meilleure valorisation des oeuvres moins mises en lumière aujourd'hui.

Created By
Esther Michon
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Credits:

Esther michon

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