Introduction
Les violences intrafamiliales (VIF) sont un phénomène préoccupant en Martinique comme ailleurs. Si les violences conjugales et les maltraitances envers les enfants retiennent souvent l’attention, un autre type de violence reste méconnu : les violences sur ascendants (VsA), commises par des enfants (majeurs ou mineurs) à l’encontre de leurs parents ou figures parentales. Ces situations, taboues et sous-déclarées, touchent également les familles martiniquaises en raison de spécificités culturelles, sociales et spatiales. A travers cette note, le CÉSECÉM souhaite sensibiliser le plus grand nombre et mettre en lumière des initiatives concrètes pour briser le silence et protéger les victimes.
Qu’est-ce qu’une violence sur ascendant (VsA) ?
La VsA désigne des actes répétés de domination, d’abus ou de privation de pouvoir exercés par un enfant (même adulte) sur un parent ou une figure d’autorité (grand-parent, tuteur). Ces violences peuvent être :
- Physiques : coups, menaces avec une arme, destruction d’objets.
- Verbales : insultes, humiliations, menaces.
- Psychologiques : chantage, culpabilisation, isolement social.
- Matérielles : vol d’argent, dégradation du logement.
- Financières : extorsion de ressources, contrôle des comptes bancaires.
- Autres : on retrouve également des violences sexistes et sexuelles, des comportements entravant l’accès ou la jouissance à un espace, etc.
La violence sur ascendant n’est pas un événement isolé ni le fruit d’un conflit ponctuel qui dégénère en acte violent. Les violences sont protéiformes et imbriquées. Le plus souvent plusieurs types de violences coexistent ensemble.
Exemple concret :
Mme L., 58 ans habite une maison au Lorrain. Elle y vit seule avec son fils de 28 ans. Après une séparation, ce dernier est revenu vivre au domicile parental d’abord pour une courte durée qui s’est finalement éternisée. Mme L. éprouve des difficultés quant à la cohabitation et craint les réactions de son fils. Elle a tendance à trouver qu’il se comporte méchamment. Mécontent lorsqu’elle refuse de lui donner de l’argent, il se met en colère, casse ses affaires et détruit plusieurs choses à la maison. Elle subit quotidiennement des insultes et des brimades. Malgré les demandes de Mme L. son fils refuse toujours de quitter le domicile. Elle ne se sent plus chez elle et ressent de l’insécurité. Par peur des représailles et par culpabilité, elle n’ose pas en parler.
Les spécificités de ce phénomène en Martinique
Des spécificités socio-spatiales
- Cohabitation intergénérationnelle : La tradition de corésidence (plusieurs générations sous un même toit) est courante, augmentant les tensions et la promiscuité.
- Organisation matrifocale : Les mères sont souvent le pilier familial, exposées à des pressions accrues (responsabilités financières, éducatives).
- Enjeux fonciers : L’accès limité au logement et la pression sur la propriété familiale exacerbent les conflits (ex. : un enfant exigeant l’usufruit d’une maison).
Des tabous persistants
- Culpabilité des parents : Beaucoup estiment avoir « échoué » dans l’éducation de leur enfant. Malgré la violence, de nombreux parents continuent de se sentir responsables de la situation de leurs enfants.
- Secret familial : La peur du jugement social et la honte empêchent les victimes de se manifester. Pour protéger l’intégrité de la famille et éviter à l’enfant violent des poursuites, la violence est gardée sous silence.
- Normes culturelles : La figure mère « poto mitan » rend difficile la reconnaissance de sa vulnérabilité. La loyauté que les mères pensent devoir à leurs enfants les poussent souvent à minimiser les faits.
Données clés :
- En 2023, en France, 80 % des violences envers les plus de 45 ans proviennent d’un descendant (Interstats Analyse, n°73, Janvier 2025).
- La France compte ainsi 2,8 millions d’hommes hébergés chez leurs parents contre 2,1 millions de femmes. [...] A 30 ans, 3 % des femmes vivent chez leurs parents contre 13 % des hommes (La Fondation pour le Logement des Défavorisés, mai 2024. Les «TANGUY» : le retour. Quand les jeunes ont du mal à quitter le nid).
- En Martinique et en Guadeloupe environ 40% des foyers sont monoparentaux. 32,1% d’entre eux reposent sur des femmes seules (INSEE, RP2021, 26 juin 2024. Couples - Familles - Ménages en 2021 Région de la Martinique).
Témoignages et situations courantes
Pour mieux comprendre ce phénomène, voici quelques témoignages reformulés en s’inspirant d’entretiens anonymes avec des familles martiniquaises confrontées à ces situations :
Climat d’insécurité, violences psychologiques et verbale.
« En tant que fratrie, nous avons l’impression que notre mère se sent obligée de faire tout ce qu’il dit. Nous constatons que la tension ambiante se propage. Même mon frère, qui tente d’intervenir, se retrouve impuissant face à cette dynamique. On ressent que la violence devient un outil de pouvoir.»
« Mon fils m’insulte, il me dit des choses méchantes et il passe son temps à dire que tout est à cause de moi. Il est odieux dès que j’ai une visite. Je ne peux même pas recevoir mes amis.»
Exclusion et dépossession.
« La situation est tellement insupportable pour moi que je n’ose plus rester. Comme je ne me sens plus à l’aise je pars très souvent dormir chez ma sœur. Sa volonté, c’est que je laisse la maison pour lui. Mon fils a volé mes papiers pour essayer de vendre une parcelle de terrain. Je n’ai rien osé dire à la famille. »
Violences économiques et chantage.
« Ma fille à l’habitude de se servir dans mon porte-monnaie. Quand j’hésite ou que je réfléchis, elle menace de quitter la maison avec mes petits-enfants si je ne lui donne pas d’argent. J’ai peur de dire non et je crains de les perdre. »
Comment agir face à ces violences ?
Briser le silence
Le sentiment de honte et la stigmatisation contribuent souvent au silence persistant autour de ces violences. Parler de son vécu auprès d’associations locales ou de spécialistes de proximité permet de briser l’isolement et de commencer un processus de sortie de la violence.
Liens ou contacts :
- Vos professionnel.les de santé : psychologue, infirmier.e, medecin traitant, etc.
- Vos services sociaux : Accueil CTM - Services sociaux de secteur : 0596 55 26 00, CCAS
- Vos associations : UFM (Union des Femmes de Martinique) : 0596 71 26 26 (service 1) https://uniondesfemmesmartinique.com/ - Culture et Égalité : 0596 35 66 80 https://www.cultureegalite.fr/ - ADAVIM FRANCE VICTIME MARTINIQUE : 0596 48 43 27 https://francevictimesmartinique.com/ - OVIFEM – ALEFPA - Les ressources du territoire https://ovifem.alefpa.fr/
- Violences Femmes Info (Numéro d’écoute, d’information et d’orientation) : 3919
Recourir à la médiation ou à la justice
Des services spécialisés en médiation existent pour aider à rétablir le dialogue et à désamorcer les conflits. Lorsque la médiation ne suffit plus et si les conflits deviennent violences, les faits peuvent faire l’objet d’un signalement aux services de police ou gendarmerie. En cas de menace grave, blessure importante ou de danger imminent, contactez les numéros d’urgence.
Liens ou contacts pour la médiation :
- Fort-de-France
APMFAF (Association Pour la Promotion de la Médiation Familiale et d’Assistance aux Familles) : 0596 63 53 04
- Rivière-Salée
GAIACS PROVIDENCE (Groupement d’Activités Internationales à Caractère Solidaire) : 0596 68 31 31
- Gros-Morne
ALIAD (Association pour L'Accompagnement à l'Insertion et l'Aide à Domicile) : 0596 48 05 12
Liens ou contacts justice
- CDAD (Conseil Départemental D’accès au Droit) : 0596 48 42 44
Services de Police et de Gendarmerie
- Commissariats de Police Nationale Fort-de-France
- Commissariats de Police Nationale Lamentin
- Brigades de Gendarmerie
- Psychologue en commissariat : 0596 59 45 70 / 0696 32 50 65
- Intervenante sociale en commissariat : 0596 59 40 70 / 0696 22 97 75
Outil numérique
Numéros d’urgence
Questions fréquentes (FAQ)
Quels signaux d’alerte devrais-je surveiller dans mon foyer ?
R : Les signes peuvent inclure des comportements répétés tels que des insultes ou menaces constantes, l’isolement imposé par l’enfant (par exemple, empêcher le parent de recevoir des proches), des demandes démesurées sur le plan financier ou un contrôle de l’espace domestique (ex. : l’appropriation et restriction progressive d’espaces personnels). Ces éléments, lorsqu’ils se répètent, affectent la sécurité psychologique et physique et méritent une attention particulière.
Que faire si vous constatez de tels comportements au sein de votre famille ?
R : Il est essentiel de s'informer et de consulter un professionnel spécialisé (conseiller familial, médiateur ou travailleur social) pour obtenir une évaluation objective de la situation. Parler en toute confidentialité peut permettre de mieux comprendre les facteurs en présence et d'explorer, sans jugement, les options disponibles pour améliorer le climat familial.
Quels rôles peuvent jouer les frères et sœurs de l’enfant violent dans ces situations ?
R : Lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes victimes, les frères et sœurs, souvent témoins de la violence. La fratrie peut constituer un soutien important car les autres enfants de la victime peuvent, par exemple, avoir recours à un médiateur familial ou à un conseiller sans pour autant être jugés. Les frères et sœurs sont aussi des tiers qui peuvent repérer la situation dysfonctionnelle et signaler la violence aux autorités. Enfin, ils peuvent être acteurs des mesures de mise sous protection.
De plus, ils peuvent chercher eux-mêmes un accompagnement psychologique pour comprendre et gérer leur propre détresse, et contribuer ainsi à désamorcer la tension dans le foyer.
J’ai peur d’aggraver la situation si j’en parle à quelqu’un. Que puis-je faire ?
R : Il est naturel de craindre que parler de ces comportements puisse déclencher des représailles ou aggraver le climat familial. Toutefois, contacter des services d’écoute—des professionnels formés pour intervenir avec tact et discrétion—peut permettre d’obtenir des conseils adaptés et de briser l’isolement. Des dispositifs garantissant l'anonymat existent précisément pour protéger les personnes qui demandent de l’aide. Parler du problème permet souvent de se sentir moins seul.
Participez à l’enquête sur les violences sur ascendants
Dans le cadre de la rédaction d’une thèse sur le sujet, Kathleen Maran, psychologue à la Direction Territoriale de la Police Nationale et doctorante au laboratoire AIHP-GEODE Caraibe (UA), a conçu un questionnaire destiné à recueillir des données précises sur la réalité des violences sur ascendants en Martinique. L’objectif est double : obtenir des informations et des chiffres actualisés et mieux appréhender les spécificités de ce phénomène dans notre île. Vos réponses, en toute confidentialité et anonymat, permettront d’enrichir la compréhension de ces situations complexes et de soutenir d’éventuelles actions de sensibilisation et d’accompagnement.
Le CÉSECÉM invite les professionnel.les, les parents, les membres de la fratrie et tous les témoins qui pensent être concerné.es à participer à ce questionnaire en cliquant sur le bouton ci-dessous