La maison des évêques à Puissalicon Un palais d’influence avignonnaise dans la campagne biterroise.

À quelques kilomètres au nord de Béziers, la silhouette de Puissalicon se découpe sur le versant sud de la Montagne Noire. En arrivant depuis le village voisin de Magalas, l’œil est attiré par une imposante demeure flanquée d’une tour rectangulaire. Cet édifice, localement connu sous le nom de « maison des évêques », a longtemps été dans l’ombre du château principal qui s’élève au centre du village. Il s’agit pourtant d’un édifice particulièrement bien conservé du XIVe siècle, remarquable notamment pour ses ouvrages de charpente, inscrit au titre des Monuments Historiques depuis septembre 2024.

Le village de Puissalicon avec au premier plan, à droite, la maison des évêques. L’édifice se distingue clairement du tissu urbain, densément bâti, par son emprise bien plus vaste que celle des autres demeures villageoises.

Selon la tradition, la demeure aurait appartenu aux évêques de Béziers ou aux archevêques de Narbonne, sans que cette hypothèse ait pu être confirmée par les sources d’archives. Au XVIIe siècle, la maison appartient à M. de Rives, conseiller du Roi et magistrat au présidial de Béziers. Elle est transformée en bâtiment agricole au XIXe siècle.

Vue intérieure de la grande salle (aula) au rez-de-chaussée.

La vaste bâtisse, de plan rectangulaire, s'étend sur 16,60 mètres de longueur et 9,71 mètres de largeur. Elle se compose de trois niveaux : un rez-de-chaussée, un étage et un comble. Une tour carrée de 3 mètres de côté est accolée à l'angle nord-ouest. Le mur sud présente en partie haute des pierres en saillie, appelées "pierres d'attente", destinées à lier la maçonnerie à un bâtiment projeté. Ce dispositif semble indiquer que le programme architectural initial, plus ambitieux, prévoyait la construction de deux ailes latérales.

Élévations du bâtiment : 1 : façade est ; 2 : façade nord ; 3 : façade ouest ; 4 : façade sud (c) Novatlas.
1 : Vue depuis le jardin au nord ; 2 : Vue à l'ouest depuis la rue.

Les murs nord et ouest ainsi que ceux de la tour présentent une épaisseur supérieure. Cette profondeur plus importante devait permettre l'incorporation d'équipements domestiques (cheminées, niches placards, escalier à vis intramural). Cette anticipation témoigne à la fois de l'importance accordée au confort et du soin apporté à la mise en œuvre.

Ci-contre l'escalier à vis.

1 : Plan du rez-de-chaussée ; 2 : Plan de l'étage (c) Novatlas.
Cheminée et placard de l’étage.

La façade sur cour est probablement celle qui a le plus souffert des transformations contemporaines. Le parti médiéval est néanmoins lisible : le rez-de-chaussée s'ouvrait par un portail à arc brisé, centré sur la façade et encadré par deux croisées à coussièges. L'étage était percé par une porte à arc brisé, communiquant avec une galerie en bois.

Façade sur cour.
1 : Baie centrale du 1er étage, tracé de l'arc brisé de l'ancienne porte médiévale ; 2 : Départ de l'arc brisé de la porte médiévale au rez-de-chaussée.

Le rez-de-chaussée est occupé par une vaste salle de 77 m². Les dimensions de la pièce, l'ostentation du plafond comme la présence d'une cheminée monumentale indiquent qu'il s'agit de l'aula, pièce principale du corps de logis et espace de réception. La salle est largement ouverte par des fenêtres croisées à coussièges (bancs ménagés dans l'embrasure d'une fenêtre) au nord et au sud. Elle est accessible par trois portes à arc brisé.

1 : Une des portes à arc brisé chanfreiné ; 2 : Porte et fenêtre croisée à coussiège.

Le plancher se compose de deux niveaux de poutres portant un solivage. Les poutres principales, au nombre de trois, prennent appui sur des corbeaux superposés en pierre et en bois. Le deuxième niveau est constitué de deux poutres installées dans le sens de la longueur de la salle. Une étude dendrochronologique visant à dater le bois réalisée en janvier 2024 a permis de situer la phase de croissance des arbres sur la période de 1076 à 1322, cette dernière année étant celle à partir de laquelle a pu être construit le plancher.

L'ouvrage comportait deux niveaux de closoirs : entre le 1er et le 2e registre et entre le 2e et le 3e registre. Des vestiges de décor peint sont conservés sur les couvre-joints : pyramides blanches et noires, liseret ocre rouge, frises de points.

Plancher à trois registres et détail d'un corbeau superposé en pierre et en bois.

Le plafond de la maison des évêques constitue un rare exemple en Languedoc méditerranéen de plancher à trois systèmes, typologie très répandue dans les palais édifiés au XIVe siècle par les papes et leurs cardinaux dans le Comtat Venaissin et à Villeneuve-lès-Avignon (Palais des Papes, Petit Palais, Livrée Ceccano, Livrée de Viviers…). Ce système se retrouve également de manière anecdotique au XVe siècle dans l’actuel département de l’Hérault (Saint-Pons-de-Mauchiens) et dans le département du Lot (Figeac).

Le plafond à trois systèmes de la Livrée de Viviers (1320-1325d) à Avignon. Les dimensions de la salle et du plancher sont quasi identiques à celles de Puissalicon (le plafond de la Livrée de Viviers présente une portée de 7,80 mètres et une hauteur sous plafond de 6 mètres ; la maison des évêques (1322d) présente une portée de 7,87 mètres et une hauteur sous plafond de 6,65 mètres). L’épaisseur totale du plafond de Puissalicon est cependant nettement supérieure (115 centimètres contre 89,5).© Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion GrandPalaisRmn Photo 2007

La charpente, au niveau du comble, se compose de trois fermes inégalement espacées. Les entraits reposent sur des corbeaux en bois sculpté. Ces pièces sculptées mesurent 24 cm de haut pour 46 à 50 cm de saillie hors du mur et 30 cm de largeur et représentent des visages masculins et féminins. Ces corbeaux sculptés peuvent notamment être rapprochés de ceux du plafond la maison de la Notairie à Béziers, commandité par Hugues de la Jugie, évêque de Béziers 1350 à 1371.

L’absence de ruptures dans les maçonneries, l’homogénéité des formes et des ouvertures, la cohérence entre les maçonneries et les ouvrages de charpente dont les bois proviennent d’une seule et même phase d’abattage témoignent que la construction a été faite d’un seul jet. Le chantier a probablement été mené rapidement, grâce à des financements abondants et continus qui n’ont pu être supportés que par un commanditaire particulièrement riche et puissant.

Vue générale.

L’appellation locale de « maison des évêques », les ressemblances évidentes avec l’architecture et les ouvrages de charpente des palais cardinalices, la qualité de la construction et sa rapidité de mise en œuvre de même que les similitudes avec le plafond de la maison de la Notairie constituent un faisceau d’indices permettant d’attribuer la construction à l’un des membres de la maison de la Jugie.

Détail d'une console sculptée sur une croisée du 1er étage.

La famille de la Jugie, présente à Puissalicon par l’intermédiaire d’Ermengarde dès 1342 puis de Nicolas en 1368 (il achète la seigneurie), connaît une ascension fulgurante dans le deuxième quart du XIVe siècle dans le sillage des Papes d’Avignon, dont deux des neuf papes lui sont apparentés (Clément VI et Grégoire XI). Trois des frères de Nicolas et Ermengarde auraient pu construire une maison de villégiature à Puissalicon : Guillaume, nommé cardinal en 1342, Pierre, archevêque de Narbonne et cardinal, ou encore – hypothèse qui semble la plus probable - Hugues, évêque de Béziers.

Crédits :

Photographies : David Maugendre (c) Inventaire général Région Occitanie

Texte : Karyn Orengo, chercheuse, Pays d'art et d'histoire Haut Languedoc et Vignobles

Conception : Christelle Parville, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie