Le plafond peint de la maison Jean Dymes à Narbonne dans l'Aude

En 2007, le plafond peint fut découvert sous un faux plafond de plâtre lors des travaux de réhabilitation de l’immeuble pour y installer l’actuel institut de formation en soins infirmiers du centre hospitalier de Narbonne. À la suite de quoi, le plafond a été soigneusement restauré par l’atelier Baudin-Savreux. Il s’agit d’un plafond de taille importante, avec 150 closoirs à l’origine qui couvre une pièce mesurant plus de cent mètres carrés.

Découverte du plafond peint lors des travaux de restauration en 2007.

Nous avons une idée plutôt précise concernant la datation des décors, vers 1500, grâce à une étude dendrochronologique (basée sur le compte des cernes du bois) ainsi qu’à un compoix, une sorte d'ancien cadastre, conservé aux archives.

Vue d'ensemble de la pièce.
Détails des 3 closoirs peints avec un lapin chassant un chien du « monde à l’envers » et un engoulant à l’extrémité d’une poutre.

Sur les closoirs dont le décor peint est toujours visible, très peu d’armoiries sont conservées.

Écus effacés.

Parmi celles-ci, nous retrouvons la marque de marchand de Jean Dymes composée de ses initiales. Il s’agissait d’un marchand pratiquant le commerce maritime qui fut élu consul à l’échelle des marchands de la Cité et promu éponyme de son îlot de résidence dès 1505. C’est sans doute lui qui a fait faire cette maison aux plafonds peints, témoignage de son enrichissement et de son prestige.

Fig. 1 : Marque de Jean Dymes ; Fig. 2 : Marque de marchand dans la maison Seymour à Lagrasse, Aude, 1513-1534.

Destinées originellement à marquer les biens produits en vue de la vente, les marques deviennent, pour les marchands qui ont acquis une certaine fortune et un statut social, un signe d’identité qu’ils mettent à l’honneur. Dans ces deux exemples, la marque est présentée dans un écu, à la façon des armoiries nobiliaires.

On trouve également deux portraits qui se font face, que l’on pourrait interpréter comme les portraits de Jean Dymes et de sa femme.

Le choix figuratif d’inscrire les portraits dans un médaillon est peut-être inspiré du Nord de l’Italie, ce qui soulignerait la culture du propriétaire.

Série de portraits de profils “à l’antique” datant de la fin du XVe siècle, Magasin Dimensione Sport, Asti, Italie.

La maison comporte deux inscriptions. La première est un proverbe à vocation morale “Que celui qui veut avoir une bonne mort ait une bonne vie”. La seconde inscription, “Que Dieu protège les amoureux”, est une formule dite “apotropaïque’, c'est-à-dire qui repousse le mauvais sort. Ces deux inscriptions rentrent dans la tradition de remplir l’espace domestique de phrases morales et de formules de protection.

Qui bien vodra morir bien vive
Dieu guart les amorus

Moralisante également, la fable d’Esope, le renard et la cigogne se retrouve sur une dizaine de plafonds en France et Italie. Appréciée parce qu’elle consacre la revanche du faible sur le fort, elle peuple aussi les marges des manuscrits médiévaux.

Fig. 1 : Le renard et la cigogne, maison Jean Dymes ; Fig. 2 : Fable du Renard et de la cigogne, Livre d’heures, XVe siècle (c) BnF lat. 1175, folio 110

Sur les plafonds médiévaux, on voit des enfants poussant des trotteurs, brandissant des moulins comme des lances de chevalier, regardant rouler des toupies ou chevauchant des chevaux-bâtons. Ces jeux sont pour le spectateur un délassement pour les yeux et un rappel de l’innocence associée à l’enfance. Ils peuvent prendre une valeur morale en s’opposant à la corruption du monde.

Fig. 1 : Enfant marchant avec un trotteur, maison Jean Dymes ; Fig. 2 : Enfant marchant avec un trotteur dans la Maison des Chevaliers à Pont-Saint-Esprit, Gard, 1450 ; Fig. 3 : Jeu du moulin, Maison dite des Etats généraux, Aigueperse, Puy-de-Dôme, années 1440
Homme se faisant tirer les vers des fesses par un oiseau.

Que fait cet homme nu, qui se penche pour qu’un oiseau lui tire quelque chose des fesses ? L’image était courante au Moyen Âge, mais on ne la comprend pas pour autant. Il pourrait s’agir d’un proverbe perdu, ou de l’inversion plaisante de l’expression “tirer les vers du nez à quelqu’un”. Le but est sans doute de faire rire, mais aussi peut-être de faire réfléchir aux aveux un peu trop rapides.

Une scène de deux chiens qui se battent pour un même os, présente à Narbonne et à Carcassonne, illustre un proverbe qui critique les personnes qui s’acharnent pour obtenir un avantage.

Fig. 1 : Deux chiens qui se battent pour un os, maison Jean Dymes ; Fig. 2 : Deux chiens qui se battent pour un os, Hôtel des Belissen à Carcassonne, Aude, années 1470

L’image un peu énigmatique représente un porte plume médiéval. Une cordelette rouge le relie à son encrier, permettant ainsi à leur possesseur d’emmener facilement son nécessaire d’écriture en déplacement. Il est rare que les plafonds donnent à voir des objets en gros plan. Celui-ci revêtait peut-être un sens particulier pour Jean Dymes, en lien avec son métier de marchand ou encore une fois pour souligner sa culture.

Porte-plume et encrier.

Crédits :

Textes : Maud Pérez-Simon, Université Sorbonne Nouvelle, Institut universitaire de France et Lannie Rollins, Université de Toulouse II Jean-Jaurès.

Photographies : David Maugendre © Inventaire général Région OccitanieFrançoise Baudin © RCPPM ; Lannie Rollins © RCPPM ; Georges Puchal/Ponctuation Monumentale © Commune de Lagrasse ; © Musée de l’art sacré du Gard ; Maud Pérez-Simon ;© ACAE.

Conception et carte : Christelle Parville, Service Occitan et Catalan, Transversalité, Numérique et Territoires, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie.

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