Une analyse appuyée sur le cadre des régimes constitutionnels applicables aux Collectivités d’Outre-Mer
La présente note vise à dresser un état des lieux exhaustif du statut institutionnel de la Martinique, à la lumière des dispositions constitutionnelles en vigueur relatives aux collectivités d’outre-mer. Elle se propose de mettre en évidence les fondements juridiques, l’architecture institutionnelle, les marges de manœuvre normatives ainsi que les enjeux contemporains qui conditionnent les perspectives d’évolution statutaire de ce territoire.
I. Fondements constitutionnels et évolutions historiques
La Martinique est régie par les dispositions de l’article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel consacre le principe d’identité législative : les lois et règlements nationaux y sont applicables de plein droit, sauf adaptations rendues nécessaires par les caractéristiques et contraintes particulières du territoire.
En vertu de la loi organique n° 2011-884 du 27 juillet 2011, la Martinique s’est dotée, à compter de la première réunion de son Assemblée élue en décembre 2015, d’une collectivité territoriale unique se substituant concomitamment au département et à la région. Cette réforme institutionnelle répondait à une volonté de rationalisation de l’action publique et de clarification des responsabilités politiques.
Ce statut place la Martinique dans le groupe des collectivités de l’article 73, aux côtés de la Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte.
Il convient de rappeler que toute modification substantielle de ce régime, notamment un basculement vers le régime de l’article 74 (spécialité législative), doit, conformément à l’article 72-4 de la Constitution, être soumis à la consultation des électeurs martiniquais.
II. Organisation institutionnelle et compétences dévolues à la collectivité
La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) se caractérise par une organisation institutionnelle singulière, articulée autour :
- d’une Assemblée de Martinique, organe délibérant exerçant les attributions qui relevaient antérieurement des conseils régional et départemental ;
- d’un Conseil exécutif de Martinique, chargé de la mise en oeuvre des décisions de l’Assemblée et du pilotage de l’action publique ;
- d’un Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation (CÉSECÉM), instance consultative émettant des avis sur les projets d’intérêt général.
La CTM exerce l’intégralité des compétences relevant des deux anciennes collectivités, incluant l’aménagement du territoire, le développement économique, les transports, la formation professionnelle, l’action sociale et culturelle. En outre, l’article 73 permet, sur habilitation
législative ou réglementaire, l’édiction de normes locales spécifiques dans des matières déterminées, offrant une latitude d’adaptation aux réalités insulaires.
III. Régime juridique et capacité d’adaptation dite normative
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a considérablement accru les possibilités de différenciation normative des collectivités de l’article 73.
Celles-ci peuvent désormais être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans des matières normalement dévolues au législateur ou au pouvoir réglementaire national, à l’exclusion toutefois des libertés publiques, de la nationalité, de la défense, de la sécurité ou de la monnaie.
En pratique, cette faculté demeure encore peu mobilisée, du fait des contraintes procédurales et de la nécessité d’obtenir l’accord préalable du Parlement ou du Gouvernement.
Néanmoins, elle constitue un levier essentiel pour répondre aux problématiques structurelles de l’île : vie chère, dépendance économique, gestion des risques naturels et sanitaires (notamment la pollution au chlordécone), transition énergétique et protection de la biodiversité.
III. Bis - Comparaison des Statuts des Collectivités d’Outre-Mer
L’outre-mer français est régi par une typologie juridique plurielle, articulée autour de deux grands régimes constitutionnels (articles 73 et 74) et de statuts spécifiques pour certaines entités. Le tableau ci-dessous synthétise les principales caractéristiques :
Régime : Article 73 (identité législative)
- Collectivités concernées : Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte.
- Principe législatif : Les lois et règlements nationaux s’appliquent de plein droit.
- Capacité d’adaptation : Adaptations possibles pour tenir compte des caractéristiques locales ; habilitation législative possible.
- Exemple de particularités : Octroi de mer aménagé, taux de TVA spécifiques.
Régime : Article 74 (spécialité législative)
- Collectivités concernées : Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin.
- Principe législatif : Les lois et règlements ne s’appliquent que sur mention expresse.
- Capacité d’adaptation : Large autonomie statutaire. Chaque collectivité dispose d’une loi organique définissant son organisation et ses compétences.
- Exemple de particularités : Compétences élargies en matière fiscale, douanière et économique.
Statut sui generis (spécifique)
Nouvelle-Calédonie :
- Principe législatif : Régi par le titre XIII de la Constitution.
- Capacité d’adaptation : Processus d’émancipation progressive (« Accords de Nouméa ») ; transfert de compétences étalé dans le temps.
- Exemple de particularités : Corps électoral gelé pour les scrutins locaux, compétences quasi-étatiques (enseignement, fiscalité).
Clipperton (domaine public de l’État) :
- Principe législatif : Pas de collectivité territoriale.
- Capacité d’adaptation : Administration directe par l’État (haut-commissaire de Polynésie).
- Exemple de particularités : Pas de représentation politique locale propre.
Cette comparaison met en lumière que le régime de l’article 73, bien que moins autonome que celui de l’article 74, offre depuis 2003 des marges d’adaptation accrues. La Martinique pourrait, si la population le souhaite, envisager un basculement vers l’article 74, synonyme d’une plus grande latitude normative mais également d’une responsabilité politique et financière renforcée.
IV. Enjeux et débats actuels
La question statutaire demeure un sujet de débat politique récurrent. Plusieurs rapports et consultations récentes ont évoqué l’opportunité d’une évolution vers un régime plus autonome, permettant une plus grande maîtrise des leviers économiques et sociaux.
Toutefois, la population martiniquaise, consultée à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies, a exprimé des positions nuancées, manifestant un attachement au cadre républicain tout en réclamant une plus forte capacité de décision locale. Le défi consiste donc à concilier cette aspiration à la différenciation avec le maintien des garanties constitutionnelles et des solidarités nationales.
Références essentielles :
- Constitution française, articles 72-3, 72-4 et 73 – Conseil constitutionnel
- Loi organique n° 2011-884 du 27 juillet 2011 – Légifrance
- Rapport Magras sur l’avenir institutionnel des outre-mer – Sénat, 2023
- Site officiel de la Collectivité Territoriale de Martinique – collectivitedemartinique.mq
Crédits :
Créé à partir d’une image de : "Justice Statue, Interior, Court"