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Dépêche du terrain À mi-chemin

Les deux peuvent être vrais

La pensée en noir et blanc, également connue sous le nom de pensée du tout ou rien, est un style de pensée dans lequel les individus perçoivent le monde qui les entoure dans des extrêmes, en ne tenant pas compte des intermédiaires.

Pendant si longtemps, et surtout pendant mon séjour à l’Université Western, je suis tombée dans ce piège cognitif. J’avais tellement de mal à atteindre mes objectifs, et je pensais que je ne serais heureuse que si je les atteignais tous. Je croyais que si je prenais le temps de me détendre et de m’amuser, alors je n’étais pas une étudiante engagée. Je pensais en noir et blanc, sans réaliser que le monde, et la vie humaine en particulier, n’est pas si simple.

En réfléchissant à mes quatre premiers mois au sein du Programme de stages pour jeunes en développement international de la Fondation Aga Khan Canada, je me rends compte à quel point mon séjour à l’étranger m’a permis d’élargir ma vision du monde et de remettre en question mes façons de penser. Alors qu’auparavant j’avais des schémas de pensée rigides, je remets maintenant en question mes hypothèses.

Par exemple, chaque fois que je rencontrais des étudiants non canadiens à l’université, je supposais à tort qu’ils étaient au Canada pour y rester. Cependant, beaucoup des amis que je me suis faits à Dar es-Salaam ont étudié à l’étranger, puis sont rentrés en Tanzanie pour commencer leur carrière. Ils m’ont dit que cela avait toujours été leur intention, qu’ils étaient fiers de leur pays et qu’ils voulaient soutenir sa croissance économique.

Parfois, les Occidentaux, comme moi, ont l’impression erronée que tout le monde veut quitter son pays et aller vivre dans des pays comme le Canada.

Cependant, les amis que je me suis faits ici m’ont montré que les jeunes Tanzaniens peuvent être attirés par des expériences particulières dans une université nord-américaine, mais qu’ils veulent aussi voir leur pays atteindre de nouveaux sommets. Les deux idées peuvent être vraies. Par conséquent, ce stage m’a aidée à délaisser la pensée en noir et blanc et à commencer à tout voir en nuances. Cela démontre l’importance de vivre des expériences à l’étranger.

Apprendre à voir que deux idées apparemment contradictoires peuvent être vraies simultanément, comme dans l’exemple ci-dessus, est une technique avérée en thérapie comportementale dialectique (TCD). J’en ai entendu parler pour la première fois par des amis qui suivent des TCD avec leurs thérapeutes. Bien que la santé mentale soit malheureusement stigmatisée, j’espère que le fait de partager une journée de ma vie peut montrer à mes lecteurs les avantages que l’intégration de telles techniques peut avoir sur leur bien-être général et leur qualité de vie.

Une journée typique

Mon réveil sonne beaucoup trop fort, et je gémis. « Je veux dormir plus », je pense. Cependant, lorsque mes pieds touchent le sol, que je me rappelle où je suis et que je pense à la journée de travail qui m’attend, je me sens excitée.

Les deux peuvent être vrais.

En buvant mon thé du matin, je suis bombardée de nombreux messages. « Ouf, je me dis. Je dois répondre à tous ces gens. » Je parcours ma boîte de réception, et je me sens heureuse de voir que mes proches restent en contact avec moi, malgré un décalage horaire international.

Ces deux idées peuvent être vraies.

Je sors en souriant au soleil d’Afrique de l’Est, et je marche dans une flaque d’eau, un vestige de la tempête de la nuit dernière. Bien que je sois contente face au beau temps (tout est mieux que la neige!), je suis aussi un peu fâchée que mes pieds soient maintenant mouillés.

Deux sentiments contraires peuvent exister en même temps.

Sur le chemin du travail, je croise des vendeurs ambulants. Je les regarde s’approcher des voitures pour exposer leur marchandise, et je constate que beaucoup d’autres passagers sur la route les ignorent. Peut-être que la dame dans la voiture devant moi se sent mal à l’aise de dire non et préférerait éviter complètement l’interaction. Peut-être qu’elle se sent bien pour eux, mais n’a pas besoin d’acheter ce qu’ils vendent. Peut-être qu’elle occupe un poste de direction influent, mais qu’elle doit tout de même lutter contre la misogynie dans son milieu de travail et qu’elle réfléchira donc aux défis auxquels elle sera confrontée aujourd’hui…

Tout cela peut être vrai.

Le panneau de l’Hôpital Aga Khan apparaît, et je me sens fière de travailler dans cet établissement de calibre mondial. Mais je suis également mal à l’aise de savoir que le luxe des soins de santé universels est une réalité hors de portée pour beaucoup.

Deux perspectives différentes peuvent être vraies.

En marchant dans les couloirs de l’hôpital, un médecin extrêmement occupé qui supervise tout un département me dit qu’il vient de rentrer de voyage et qu’il avait vraiment besoin de cette pause.

Il est possible de vivre des sentiments de surcharge et d’épuisement dans un secteur de la santé en sous-effectif et sous-financé, tout en continuant d’aimer la possibilité de pratiquer la médecine et d’agir comme défenseur de la santé. Il s’agit d’une réalité pour de nombreux fournisseurs de soins de santé au Canada et à l’étranger.

Deux idées apparemment opposées peuvent être vraies.

J’envoie encore un autre courriel de suivi, et je sens mon impatience grimper. « C’est le cinquième courriel que j’envoie! Répondront-ils un jour? » Cependant, je me souviens de la croissance professionnelle qui vient avec le travail dans un environnement doté de normes de communication différentes des miennes. En effet, même si vous n’aimez pas la situation dans laquelle vous vous trouvez, vous pouvez tout de même apprécier ce qu’elle vous enseigne.

Les deux peuvent être vraies.

Je commence par lire les commentaires que le Comité d’examen éthique de l’hôpital a fournis au sujet de ma proposition de recherche sur les changements climatiques et la santé, et je commence à m’énerver contre une omission évidente dans mon mémoire initial. Avant de tomber dans le mode de pensée du tout ou rien, j’interromps le fil de ma pensée en me rappelant avec compassion que ma valeur personnelle ne se mesure pas à mes réalisations ou à mes succès professionnels. Oui, j’ai fait une erreur et oui, je me respecte toujours en tant que professionnelle et en tant que personne.

Ces deux idées peuvent et doivent être vraies.

Au fur et à mesure que le travail s’accumule et qu’on me confie encore un autre projet de recherche, en plus des rapports et des tâches des deux départements pour lesquels je travaille en tant que stagiaire, je me sens épuisée. « Je veux juste me détendre », me dis-je en marchant vers l’océan que l’on peut voir depuis la fenêtre de mon bureau.

Lorsque j’arrive sur le sable, je prends une profonde inspiration et je me rappelle que donner la priorité à ma santé et à mon bien-être est aussi productif que de travailler dur sur les projets et les programmes fascinants auxquels je suis reconnaissante d’avoir été affectée.

Les deux sont importants. Les deux peuvent être vrais.

Pour faire un stage à l’étranger dans un domaine de travail dynamique et complexe, il faut avoir le courage de faire une différence. Cependant, il faut aussi avoir le sentiment de savoir quand prendre du recul.

Les deux sont des qualités importantes. Les deux doivent être vraies.

Je prends une dernière bouffée d’air marin et je retourne à mon bureau, en me disant que beaucoup de travailleurs du développement ont de la difficulté à faire une pause, car le travail à faire est si essentiel. Plus important encore, je me rappelle que prendre soin de sa santé mentale est tout aussi essentiel. Lorsque je suis centrée et que je gère bien mon stress, je suis en mesure d’apprendre et de contribuer à mon plein potentiel.

Les deux sont vrais.

Sophia Kara fait partie de la cohorte 2023-2024 du Programme de stages pour jeunes en développement international. Elle travaille comme stagiaire en renforcement des systèmes de santé et action climatique aux Services de santé Aga Khan de Dar es-Salaam, en Tanzanie.

Le Programme de stages pour jeunes en développement international est l’une des nombreuses occasions offertes par la Fondation Aga Khan Canada aux Canadiens d’exprimer leur citoyenneté mondiale.