Femmes mères
Femmères présente les visages et les mots de mères qui ont séjourné au Centre maternel et familial du Béarn, et invite à une découverte sans artifices de la lutte singulière de femmes devenues mères.
Portraits et textes ont été entremêlés, pour protéger la vie privée de chacune d'elles, mais aussi car peu importe qui a dit quoi : l'important est d'essayer de mieux comprendre ces vies marquées par les difficultés et les joies de la maternité.
Elle parle avec beaucoup de conviction de la joie d’être devenue mère, des responsabilités que cela implique. Subvenir à tous les besoins de sa fille jusqu’à ses 18 ans. Pour l’instant, celle-ci n’a que quelques mois, et elle me dit qu’elle est très éveillée pour son âge.
Elle vient du Mali, de Bamako et elle est passée par Bayonne avant d’arriver au Centre, il y a un an. Elle a laissé des frères et des sœurs au Mali. Un premier enfant. Il est calme. Comme elle. Elle ne voulait pas être maquillée pour la séance, puis finalement elle a décidé de l’être. Elle ne sait pas vraiment comment l’exprimer, mais elle est d’accord avec le fait qu’être mère n’empêche pas de rester femme. Elle joue avec l’objectif. Elle a un sourire désarmant.
Elle réside au Centre depuis deux ans. Au début, après son accouchement, elle a fait pendant un mois des allers et retours entre le centre et l’hôpital car son enfant avait des complications. Il s’en remet petit à petit. Elle a une fille de six ans aussi, qui est en famille d’accueil.
Elle se savait trop jeune pour l’élever comme elle aurait voulu.
Elle est devenue mère à 22 ans. Son enfant est resté un mois et demi en service de néonatalogie. Elle voulait être honnête : vivre au Centre lui a été utile. Dieu aussi, pour trouver des solutions face aux problèmes rencontrés. Le père est loin. Elle a de beaux souvenirs avec lui. Mais c’était avant.
D’ici deux ou trois ans, elle veut travailler, être autonome. Elle prend soin d’elle, ça se voit sur sa tenue, son visage.
Avant la séance, elle affirmait ne pas vouloir être photographiée sans sa fille. Finalement, elle est venue seule. C’était sa volonté. Puis elle est allée chercher sa fille, pour une photo pour elles. Sa fille ne se laisse pas facilement approcher, mais elle porte pour l’occasion une très jolie robe. Elle est aussi belle que sa mère.
Après avoir quitté le Centre, elle aimerait faire sa vie comme tout le monde. Avoir un appartement. Un travail. Et vivre avec ses trois enfants. L’inspectrice de l’aide sociale à l’enfance lui a annoncé que ça pourrait se faire.
Elle s’exprime difficilement en français. Avant même de commencer, elle souhaite tout de suite savoir quand les images seront prêtes. Elle s’est préparée pour l’occasion. Elle vient d’un lointain pays d’Afrique. Elle est devenue mère à 17 ans et est arrivée en France il y a peu de temps.
A la fin de la séance, elle donne le sein à son enfant. Sa coiffure et son port de tête lui donnent un air de madone abyssinienne.
Elle a un peu de mal avec le collectif du Centre. Ce n’était déjà pas simple avec ses demi-frères et sœurs. Son corps est parsemé de tatouages qui symbolisent des proches. Sa fille a presque deux ans. Elle a hâte de faire des images avec elle. Sa voix est douce, posée. Elle travaillait chez les particuliers avant. Le père voit sa fille au cours de visites médiatisées.
Elle aime la poésie. Elle a presque 30 ans. Elle manifeste une grande douceur avec sa fille, qui lui ressemble.
Elle est surprise par le flash. Ses yeux se ferment par réflexe après chaque déclenchement. Elle se demande s’ils ne sont pas fermés sur toutes les images. Mais ses yeux y sont grands ouvert, et ils brillent.
La mesure judiciaire est terminée. Elle a quitté le Centre il y a une semaine mais elle va rester suivie à domicile. Elle trouve normal que cela se passe ainsi. Sa première nuit chez elle s’est très bien passée.
Malgré son caractère impulsif, elle sait qu’elle est une bonne mère et une bonne personne.
Et cela fait déjà quelques temps qu’elle est une « maman solo ». Elle connaissait quelques mères qu’elle a retrouvées au Centre.
Elle parle avec beaucoup de précision du caractère de sa fille. Elle la dit très posée. Elle trouve que ça tranche avec son propre caractère et celui de son père. Elle-même se dit assez impulsive. Son origine latine peut-être.
Sa grossesse n’était pas prévue, elle l’inquiétait mais elle avait très envie d’avoir un enfant. Elle décida donc de la garder.
Elle ne travaillait pas, le père non plus, les conditions n’étaient donc pas idéales. Elle a dû faire face seule.
Si elle devait conseiller une jeune fille qui devient mère, elle l’inviterait à se tourner vers Dieu, et à lui demander pardon.
Elle vient de quitter le Centre. Elle y est restée six mois. Elle était froide, franche et dure en y arrivant. Avec elle-même et avec sa fille. Produit de son éducation, dit-elle. Elle pense néanmoins qu’on peut changer les choses. Le Centre l’a aidée à se canaliser, à s’épanouir, faire évoluer son comportement avec son enfant. Avant cela, personne ne lui disait qu’elle était dure.
Aujourd’hui, elle dit à son enfant que ce n’est pas grave quand elle se trompe, quand elle pleure, quand elle exprime ses émotions.
Originaire de Côté d’Ivoire, d’Abidjan. Elle est arrivée à Pau dans son huitième mois de grossesse. Elle a 17 ans. Elle s’était apprêtée pour son portrait. Elle aimerait revenir en Côte d’Ivoire pour les vacances, dans deux ou trois ans.
Là d’où elle vient, on pousse les jeunes filles enceintes à accoucher. En France, il est facile d’avorter. Des lois sont là pour ça. Sa grossesse a commencé en France.
Mais même si elle n’avait aucune protection, aucun papier, elle voulait garder son enfant. Elle a décidé de se battre pour y arriver.
Son rire est chaleureux. Communicatif. Celui de sa fille aussi, un petit bout qui marche d’un pas décidé.
Elle est arrivée quelques jours avant son accouchement. Elle sera bientôt majeure. Son premier abord est prudent, presque froid. Puis elle se met à parler. « Je reste ici à cause de ma médiocrité ».
Pendant la grossesse, elle avait du mal à se dire qu’elle avait un bébé dans son ventre. Mais sa dernière échographie était en 3D et elle était tellement réaliste qu’elle a vu cette personne qui grandissait en elle.
Même si l’accouchement a nécessité une césarienne d’urgence, son enfant ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’image qu’elle avait vue sur l’écran.
Les relations sont bonnes avec les personnes qui vivent et travaillent au Centre. Elle n’en gardera pas nécessairement un bon souvenir, mais elle se souviendra de la manière dont elle s’en est sortie, en avançant jour après jour.
Elle s’imagine vivre dans son premier appartement pendant quelques temps puis rejoindre de la famille dans l’est de la France. Elle a des frères et sœurs, dont elle s’est occupée.
Elle se met à sourire au milieu de la séance. Elle a de l’humour. Pour elle, une maman ne peut pas être maquillée tous les jours. Elle n’a pas le temps.
Elle est grand-mère. Sa plus grande fille a 19 ans. Elle aime l’idée d’être grand-mère et en même temps mère. Elle n’a pas l’occasion de voir souvent son petit-fils. La belle-famille ne l’apprécie pas. Elle parle de la situation avec sa fille. De sa vie avec son compagnon, qui n’est pas le père. Et qui dort souvent dans la voiture. Pourquoi s’obliger à rester avec quelqu’un quand on n’est pas bien ? Elle-même a essayé de sauver son couple, mais… Donc elle est au Centre.
Elle voulait participer au projet car elle était curieuse de voir le résultat. Elle imagine son portrait plutôt en noir et blanc. Elle aime bien la photographie, de manière générale. Je lui montre l’image d’une autre résidente. Le hasard veut que c’est elle dont elle se sent le plus proche dans le Centre. Elle est grande. Son corps lui donne une présence naturelle, mais elle se définit plutôt comme introvertie, un peu sauvage.
Sa voix est calme. Elle dit se laisser peu aller à ses émotions.
Son rêve est de partir en voyage, un long voyage, dans un camping-car. Peut-être seule, car ce n’est pas si mal que ça. Je l’invite à imaginer une carte postale qu’elle enverrait à ses enfants, une fois partie sur la route. Elle essuie une larme avec une dignité incroyable.
Elle a deux enfants petits, dont le dernier a moins d’un an. Elle a accouché chez elle. Elle n’avait pas senti le début du travail. La tête du bébé apparaissait. Il n’y avait plus le temps d’aller à l’hôpital. Depuis qu’elle au Centre, il y a des hauts et des bas. Son premier enfant, elle l’a eu avec un homme toxique. Elle a un tatouage qui lui rappelle de mauvais souvenirs. Elle aimerait s’en débarrasser.
Elle vient du Guinée-Conakry. Elle est au Centre depuis plus de deux ans. Pour elle, participer au projet, c’était une manière de manifester son respect à l’égard de ceux qui y travaillent, qui l’assistent. Une assistante en particulier, qui l’a beaucoup aidée. Elle lui sourit à travers l’image.
Elle a quitté le Centre récemment. Elle vit dans un appartement. Elle veut devenir couturière. Elle cherche un contrat, mais n’en trouve pas encore. Ça l’obligera peut-être à changer d’orientation professionnelle.
Le père vit loin.
Elle a de beaux souvenirs d’un séjour en montagne. Elle ne sait plus où c’était. Elle en avait déjà fait, de la montagne, au Maroc, pendant son parcours. Mais elle ne connaît pas les montagnes de son pays.
Sa fille pleurait beaucoup. Ça la fatiguait. Maintenant, sa fille l’écoute, un peu. Ça va mieux.
Je savais qu’elle traversait un moment difficile. Elle ne savait pas si elle voulait répondre à toutes les questions. Son corps se voute naturellement.
A la fin de la séance, elle voulait faire une photo pour elle. Elle a pris la pose. Elle était tout sourire.
Elle vient du sud-est de la France. Elle prononce les « o » avec un accent pointu. Elle était cuisinière dans des milieux accueillant des enfants. Elle s’est installée ici pour vivre près de sa mère. Elle a eu trois enfants, rapprochés. Elle fait partie des plus « anciennes » du Centre. Elle y est arrivée quand son dernier enfant avait 15 jours.
Elle est timide. Si son image devait se retrouver en quatre par trois dans les rues de la ville, elle se sentirait mal. Elle n’aime pas parler d’elle. Elle dit s’être sentie un peu obligée de participer au projet de portraits. Mais elle demande quand elle pourra voir les photos.
Dans deux ans, elle se voit reprendre ses études interrompues par le COVID, puis travailler comme aide-soignante et vivre avec sa fille dans la maison qu’elle aura achetée. Peut-être en couple, mais ce n’est pas une priorité. Elle espère également que les relations avec le père se seront arrangées, dans l’intérêt de leur fille.
Elle a mis une jolie robe. « Comme souvent », dit-elle. Elle parle avec beaucoup de précision de son parcours, qui l’a amenée au Centre, qu’elle a quitté depuis peu. « Suite à la violence ». C’est pour ça qu’elle est arrivée là, avec son enfant âgé de quelques mois. Elle a travaillé jusqu’au dernier jour de sa grossesse. Forcée.
Dans le Centre, elle s’est sentie comme dans une famille.
Ces quatorze rencontres ont été des moments forts. Je me suis souvent senti tout petit face à la puissance de leurs récits. Je remercie toutes ces femmes d’avoir accepté de passer quelques instants dans la pénombre du studio, bercée par quelques notes de piano. Je ne sais pas ce que la suite leur réservera, mais je sens que la force qu’elles portent en elles les aidera à dépasser leur vulnérabilité, et à cheminer accompagnées de la joie d’être mères.
Le projet, initié par l'équipe du centre, n'aurait pu être possible sans l'engagement de l'équipe du Centre maternel et familial du Béarn et la sincérité de ces femmes qui traversent ou ont traversé des épreuves dans leur maternité.
Laurent Dourrieu, 2024
Credits:
Photographies et textes : Laurent Dourrieu