Réalisée le 3-4 février 2024
Partir en randonnée au départ des Trois Vallées peut sembler étonnant au premier regard. Mais si l'on se plonge dans les cartes topographiques, on se rendra compte de l'extrême proximité entre le plus grand domaine skiable au monde et le Parc National de la Vanoise. Tout deux se bordent. Et c'est ainsi que les remontées mécaniques les plus excentrées du centre des stations laissent place au plus vieux parc national de France.
C'est notamment le cas de Courchevel et de Méribel qui, au niveau de la Vallée des Avals pour la première et du Plan de Tuéda pour la seconde, voient le royaume du ski alpin céder sa place à des réserves naturelles. Et c'est justement dans les alentours de ces deux stations mondialement connues que nous nous rendons. Passés le col, la crête ou le vallon, le fourmillement des ruelles, le brouhaha des files d'attente des remontées mécaniques et le vacarme déjanté des Folie Douce se font radicalement remplacer par le calme des alpages figés dans l'hiver, les caresses du vent sur les cimes et le goutte-à-goutte du dégel diurne des stalactites. Deux salles deux ambiances diront nous. Et pourtant, il suffit de marcher une centaine de mètres pour passer d'un environnement à un autre.
On parle de saison hivernale. Mais l'hiver a-t-il déjà commencé sur les Alpes ?
Malgré des températures plutôt basses début janvier - pour ne pas dire glaciales comme les fanatiques du buzz médiatique laissent entendre lorsque les températures se rapprochent de zéro - la seconde quinzaine du mois et le début de février se sont révélés printaniers. La moyenne montagne, quelque soit le massif, a dit au revoir (à bientôt ?) à sa fine couche de neige, tandis qu'en haute montagne, rares sont les zones où la poudreuse demeure.
Un point positif dans tout cela ? Le Bulletin d'Estimation du Risque d'Avalanche (BERA) nous a informé en ce début février que le risque d'avalanche était seulement de 1/5 sur la totalité des massifs des Alpes françaises. Cette donnée mérite d'être soulignée tant elle parait exceptionnelle en plein milieu de l'hiver.
C'est en compilant tout cela que l'on se penche sur la possibilité de franchir la barre fatidique des 3000m d'altitude. Et ce non pas à ski, mais en raquettes. On ébauche ainsi un circuit sur un week end avec comme point d'orgue l'ascension d'un 3000 peu connu du Massif de la Vanoise : la Pointe des Fonds 3021m. Reste à voir si, sur le terrain, l'ascension est possible et sans risque. Car même si la couche de neige n'est pas exceptionnelle et les températures clémentes, la haute montagne peut s'avérer redoutable.
Notre circuit débute au fin fond de la Vallée de Méribel, au niveau de Méribel-Mottaret. Après les chalets de luxe, on y trouve un parking et un sentier permettant l'accès à la Réserve Naturelle du Plan de Tuéda, porte d'entrée vers les aires protégées. De là, on zigzaguera entre les vallons, au gré du manteau neigeux, en gardant à l'esprit qu'avant la tombée de la nuit, nous devons atteindre un des quelques refuges qui parsèment la zone.
Jour 1 : De Méribel au Refuge des Lacs Merlet.
Le Plan de Tuéda bouche la Vallée de Méribel. Il s'agit d'une vaste clairière agrémentée d'un lac et entourée par une forêt de Pins Cembro. On traverse rapidement ce lieu où les nombreux touristes viennent chercher un peu de fraicheur avant ou après l'engloutissement d'une bonne fondue savoyarde.
Un vallon grimpe vers l'Est au niveau du Refuge du Plan. C'est notre échappatoire vers la solitude.
Rapidement, on atteint le Vallon du Fruit. Similaire au Plan de Tuéda, il est cependant dépourvu de forêt. On progresse sur un large sentier bien tassé où seul le ruissellement du petit torrent rompt le silence de l'alpage.
On traverse le large Vallon du Fruit en suivant les méandres du Doron des Allues. Au bout du vallon, ce dernier se rétrécit sensiblement mais le chemin ne s'incline pas pour autant. On poursuit dans une gorge jusqu'à déboucher sur un nouvel alpage où trône un gros refuge en son centre : le Refuge du Saut.
Perché à 2130m, le Refuge du Saut peut être une belle alternative si le chemin en direction du Refuge des Lacs Merlet se révèle trop délicat.
Le vallon se divise en deux légèrement en amont du Refuge du Saut : l'un poursuit sur les bords du Doron des Allues en direction du Col du Soufre, l'autre bifurque un peu plus vers l'Est avec le Ruisseau de Chanrouge en son talweg. C'est par ce dernier que l'on continue l'ascension.
L'été le sentier du Col de Chanrouge suit les gradins herbeux de la rive droite du torrent. Mais en hiver, le gel permet de suivre fidèlement le lit du ruisseau gelé. On grimpe ainsi la petite gorge jusqu'à un nouveau replat aux alentours des 2300m d'altitude.
En franchissant le Doron des Allues, on quitte ainsi la Réserve Naturelle du Plan de Tuéda pour pénétrer le coeur du Parc National de la Vanoise.
Ce fond de vallée s'apparente davantage à un cirque. Pour le franchir, plusieurs cols sont accessibles : le Col Rouge, le Col des Fonds et le Col de Chanrouge. C'est ce dernier qui peut nous permettre d'accéder à la partie haute de la Vallée des Avals. On pourra ainsi se diriger tranquillement vers le Refuge des Lacs Merlet.
Depuis notre alpage, le versant d'ascension du Col de Chanrouge est orienté plein Sud. En cette mi-journée, le manteau neigeux est lourd et humide. Les signes de cette transformation s'aperçoivent dès le bas de la montée : de grosses coulées de neige lourde se sont mises à glisser sur la pente sous leur propre poids. On y devine les plissements et les crevasses herbeuses sur la gauche de la photo ci-dessus.
En regardant sur la droite du Col de Chanrouge, un groupe de trois skieurs nous convainquent de rallonger notre itinéraire par le franchissement du Col du Rateau. On contournera ainsi l'Aiguille du Rateau avant de partir à la recherche du Refuge des Lacs Merlet.
Le Col de Chanrouge et celui du Rateau ne sont séparés que par un itinéraire légèrement ascendant et vallonné. Il ne reste plus qu'à voir à quoi ressemble l'autre versant du col.
L'autre versant du Col du Rateau est assez abrupt mais sur une courte distance. Il suffira de déchausser les raquettes et de bien planter nos pieds à chaque pas pour dévaler le col jusqu'aux pentes plus douces du vallon.
Dans le Vallon du Rateau, on ne suit pas fidèlement le sentier qui rejoint les Chalets de la Grande Val. On coupe un peu plus à gauche dans un autre goulet pour atteindre plus rapidement le Plan du Pêtre, petit plateau avant l'ultime grimpette en direction du refuge.
Depuis le vallon, il faut franchir un ressaut d'environ 150m pour atteindre les Lacs Merlet et leur refuge. On rejoint l'itinéraire de montée classique à mi-chemin entre le Refuge du Grand Plan et celui des Lacs Merlet. Le tout, en évitant les multiples coulées qui jalonnent les pentes exposées.
Après quelques instants de contemplation du paysage, on se décide à investir le petit refuge. Ce dernier est composé d'un unique bâtiment lui-même composé d'une seule pièce. A l'intérieur, on y découvre deux grandes tables, une cuisine et un dortoir de 14 couchages. Au milieu de tout ce mobilier, un poêle permet de réchauffer ce simple mais confortable havre alpin.
Au début du mois de février, le Refuge des Lacs Merlet est en période hors gardiennage. Le bâtiment est mis à la disposition des randonneurs et des skieurs et une réserve de bois permet d'alimenter le poêle lors des nuits les plus froides.
A notre arrivée, le refuge est vide. On en profite pour installer nos couchettes et allumer le poêle. Mais au vu de sa proximité avec le domaine skiable de Courchevel, le petit refuge va vite se remplir durant la soirée.
On ne fera pas de vieux os ce soir-là. On engloutit rapidement notre repas, on jette une dernière fois un regard vers l'extérieur afin d'apercevoir le ciel étoilé au-dessus de la Vanoise puis on sombre délicatement, aidés par le vaillant petit feu de bois qui réchauffe l'unique pièce du refuge.
Jour 2 : L'Ascension de la Pointe des Fonds.
Alors que le reste du dortoir continue sa fanfaronnade de ronflements, on se lève sur les coups des 6h du matin. On prend le temps de déjeuner avant de s'exiler à quelques encablures du Refuge des Lacs Merlet afin d'avoir une plus ample vue sur les Alpes au lever du soleil.
On ne patientera pas jusqu'à ce que l'astre se décide à nous illuminer. Il doit encore franchir l'imposante masse des Glaciers et des Dômes de la Vanoise qui bouche notre horizon à l'Est. Au contraire, on recherchera la chaleur par le mouvement.
Notre premier objectif est de franchir de nouveau le Col de Chanrouge mais par la Vallée des Avals cette fois-ci. Pour cela, on reste sur la crête enneigée qui surplombe le Plan du Pêtre avant de chuter légèrement sur le sentier officiel au centre du plateau.
Dès les premiers mètres d'ascension en direction du Col des Fonds, le soleil franchit l'arête de l'Aiguille des Corneillets. Pour progresser, on s'aide dans un premier temps des traces de skis qui ont permis un certain tassement de la neige. Ensuite, dans le coeur du vallon, le pente s'adoucira et on suivra grosso modo le fil du relief.
Le Col des Fonds est enfin visible sur la gauche. Ainsi que l'objectif du jour : la Pointe des Fonds qui suit à droite du col. Face à nous, l'imposant pic du Grand Mont Coua 3014m.
L'itinéraire estival de la Pointe des Fonds emprunte les pentes enneigées pour atteindre l'arête reliant cette dernière au Grand Mont Coua. Aucune trace ne semble présente sur cette zone rendant d'autant plus hypothétique une ascension de la Pointe des Fonds en raquettes. On poursuit tout de même jusqu'au Col des Fonds où l'on décidera de la suite.
Depuis le Col des Fonds, la Pointe éponyme semble beaucoup plus accessible par son arête reliant le col à sa cime. C'est décidé, on quitte nos raquettes et nos sacs puis on enfile nos crampons pour partir à l'assaut de l'arête. L'objectif est de joindre les différentes amas rocheux jalonnant l'arête de la Pointe des Fonds. Il faudra cependant bien faire attention aux corniches qui semblent nombreuses sur cette crête.
En une grosse demi heure, on s'élève sur la Pointe des Fonds 3021m. Malgré la fraicheur de la bise, on profite de l'exceptionnel panorama qui nous entoure d'autant plus qu'il n'y a personne dans les parages.
Sous l'Aiguille de Péclet 3562m (photo de gauche) on devine les plis et crevasses du Glacier de Gébroulaz. Il s'agit d'un des glaciers les plus étudiés des Alpes Françaises et présente un caractère unique au sein du Massif de la Vanoise. En effet, il constitue l'unique glacier de vallée du massif.
Un glacier de vallée se caractérise par une partie haute en forme de cirque constituant son lieu de naissance et son bassin d'alimentation ainsi qu'une forme allongée au fur et à mesure qu'il coule dans la vallée qu'il occupe. Le Glacier de Gébroulaz s'apparente de fait à la Mer de Glace ou au Glacier Blanc dans les Ecrins. Il se distingue ainsi des glaciers de cirques (du type Glacier d'Arsine) qui ne quittent jamais ou très peu leur zone d'accumulation ou encore des glaciers suspendus (du type Glacier Carré sous la Meije) qui occupent généralement une partie restreinte d'une montagne à haute altitude.
Une autre particularité concerne également ce glacier, cette fois-ci sur le plan historique. Jusqu'en 2004, il s'agissait de l'unique glacier privé de France. En effet, le Vallon du Saut où se situe le glacier a fait l'objet d'exploitations minières à partir des années 1850. Face à la baisse de l'attractivité, la famille propriétaire de ces terres se lance dans l'exploitation de la glace. Une activité en vogue avant que ne soient inventés les premiers réfrigérateurs. Il faudra attendre la fin du XXème siècle et de longues négociations entre les héritiers, le Parc National et la commune des Allues pour que la vente soit conclue en 2004. Auparavant, le Parc National de la Vanoise louait ces espaces pour que le Glacier de Gébroulaz fasse partie de l'aire de protection. 780 000 euros plus tard, cette situation inédite a cessé d'être et le Glacier de Gébroulaz est maintenant un bien communal, comme la totalité des glaciers de France. Dorénavant, il appartient à la Commune des Allues.
Initialement, nous aurions aimé atteindre le Refuge de Péclet Polset pour y passer la nuit. Cependant, les pentes du Col des Fonds et celles du Col du Soufre semblaient assez difficiles d'accès en randonnée. L'objectif du sommet étant déjà rempli, on se décide à écourter notre périple en Vanoise et à entamer la descente vers Méribel-Mottaret.
Pour éviter de reprendre le sentier de la montée, on bifurque sur la gauche au niveau du Passage des Eaux Noires. Et on commence notre chute vers le Lac du Mont Coua. De ce côté, peu voire pas de trace de ski. On fait notre propre trace.
Pour rejoindre le vallon, il faut faire attention à ne pas suivre fidèlement le ruisseau descendant du Lac du Mont Coua. En effet, vers 2500m, quelques barres rocheuses coupent l'écoulement du torrent. Il faut bien rester sur la droite du goulet à ce moment-là.
Avant d'atteindre les alpages du Refuge du Saut, le vallon se resserre grandement. Avec les températures printanières, le torrent n'est pas totalement recouvert par le manteau neigeux. Au contraire, il coule même vivement. On jongle entre les différentes rives du Doron des Allues en prêtant attention à la solidité des ponts de neiges.
Rapidement, le Refuge du Saut se voit happer par l'ombre de ses montagnes. Le froid fait également son grand retour. On ne tarde donc pas trop à entamer l'ultime traversée de 6,5km séparant le refuge de la station.
On termine notre randonnée au moment où les remontées mécaniques cessent de fonctionner. L'entièreté de la montagne retrouve son calme. Face à cette météo printanière, on est presque déçu de quitter le Parc National de la Vanoise si tôt.
Qu'importe, nous retournerons probablement dans cette partie du parc lorsque la neige aura fondu. La pureté et l'homogénéité de la neige laisseront place à des paysages d'une diversité exceptionnelle : entre glaciers, alpages et sommets, de nombreux coins sont encore à explorer dans le plus vieux parc national français.
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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :