À La Sirène, le choix de l’accompagnement à durée illimitée par Pascal Bertin & La FEDELIMA

En terme d'accompagnement la salle de La Rochelle noue des relations sur le temps long d’une grande souplesse avec les artistes qu’elle conseille, la marque d’une fidélité et d'une implication de toute son équipe. De la détection dès le plus jeune âge jusqu’à l’accueil dans des résidences, elle ne se limite ni dans le temps, ni dans les domaines dans lesquels apporter son soutien. Pour que les aventures musicales rayonnent depuis la Rochelle sans jamais oublier leur port d’attache.

Une toile jaune et noire - couleurs de son club de rugby - qui forme une immense coque de navire retournée en guise de toit. Installée à quelques kilomètres du centre-ville de La Rochelle, dans le quartier portuaire de La Pallice, la Sirène semble toujours prête à répondre à l’appel du large. Cette sensation de mouvement perpétuel s’accorde avec un amarrage du lieu dans une ancienne halle de stockage aux trois impressionnants plateaux de 1000 mètres carrés solidement tenus par des piliers en béton. Spécialiste de la transformation de sites industriels en lieux dédiés à la culture, l’architecte Patrick Bouchain en a aménagé les espaces dans le cadre d’un projet suivi par son directeur David Fourrier, toujours à la barre du vaisseau. Depuis son ouverture en avril 2011, elle s’est fixée différents axes : diffusion de musique bien sûr, mais aussi accompagnement, actions culturelles et création. « Sur une année, la Sirène compte plus de jours de créations que de concerts » explique Sébastien Chevrier, son secrétaire général.

Pour les concerts, sa salle principale offre une jauge de 1.200 spectateur·ices tandis qu’un deuxième espace modulaire permet d’accueillir de 300 à 400 personnes. Cinq studios de répétitions et une régie constituent l’espace nommé le Quai, une infrastructure essentielle aux premiers stades d’une carrière, tant pour faciliter la pratique musicale que pour s’aguerrir aux techniques d’enregistrement et de production. « Nous considérons que l’accompagnement à la Sirène démarre à partir du moment où l’artiste franchit la porte du Quai » explique Benoît Zubryski, chargé de la coordination des studios et de l'accompagnement à la professionnalisation.

Les différents espaces de La Sirène. Photos : F-LeLan, NICO, Maxime Treve, Marie Monteiro, DR

Au-delà du symbole, cette philosophie illustre une politique d’incitation à profiter de toutes les possibilités du lieu, poussée dans les moindres détails, comme celui d’avoir prévu une fenêtre sur l’extérieur dans chaque local de répétitions afin d’y profiter de la lumière du jour. De plus, l’équipe s’est organisée pour proposer la plage horaire la plus large possible, mettant ces salles à disposition 7 jours sur 7, de 14 heures à minuit en semaine, et jusqu’à 20 heures le weekend, occasionnant un pic d’affluence en soirée. Et ça marche puisque sur l’année 2024, environ 500 musicien·nes d’âges et d’horizons musicaux très variés ont investi les lieux, « un chiffre bien au-delà de nos attentes lors de l’ouverture » selon Benoît.

Cette mise à disposition matérielle selon différents tarifs (abonné·e ou non) se double d’une attention portée au soutien technique. « Un régisseur est présent pour préparer les studios, accueillir les artistes, et donner des conseils si besoin. » De plus, le matériel à disposition correspond à celui utilisé dans les conditions de la scène afin de plonger tout de suite les amateurs dans le bain pro. Des ateliers proposent régulièrement des rencontres, des initiations ou des masterclass sur les pratiques les plus utiles. « Récemment, nous avons profité de la venue de Yarol Poupaud pour qu’il intervienne lors d’une masterclass sur la guitare, suivie d’une jam session avec des musiciens. » Dans cet espace sont aussi régulièrement organisés les concerts Showquai's afin que les amateur·ices aient l’occasion de se produire en public, et éventuellement, d’attirer l’attention.

Jam session de Yarol Poupaud à l'issue d'une masterclass. Photos : Carine Deceire

Est-ce parce qu’elle est l’une des plus jeunes SMAC du territoire ? Parmi les missions inscrites dans leur statut, les salles de musiques actuelles se doivent de « développer des programmes d’actions culturelles sur leur territoire et d’encourager la participation des habitant·es au projet artistique et culturelle de la structure ». Cela passe le plus souvent par des programmes organisés sur une ou deux saisons, l’unité étant l’année scolaire ou calendaire, auxquels des musicien·nes amateur·ices postulent sur dossier et audition. Les heureux·ses élu·es entrent dans un cycle cadré comprenant des heures de conseils scénique, artistique, technique et administratif.

La Sirène a immédiatement démontré une envie de ne pas procéder comme ses consœurs dès qu’un potentiel était détecté. « La décision a été prise d’une politique d’accompagnement à la carte, en opposition aux dispositifs souvent en place, qui s’appuient sur un canevas assez formel » résume Sébastien Chevrier. Première mesure, l’accompagnement n’est pas à la seule charge de Benoît qui en centralise la responsabilité par son poste : « Je ne voulais pas me retrouver comme un chargé d’accompagnement isolé dans mon coin. On a donc réussi à impliquer tous les postes de la Sirène pour que chacun contribue à l’accompagnement, de la technique à l’artistique en passant par la communication. Chacun peut faire profiter de ses compétences, à l’image de David, fort de son regard artistique et de son réseau professionnel. À moi d’impliquer telle fonction au moment où je l’estime nécessaire. »

Avec David, décision a été prise d’une politique d’accompagnement à la carte, vraiment adaptée à la trajectoire des groupes.
Photo d'un studio, concerts Show Quai's et L'Hissé Ô. Crédits photos : Marie Monteiro, Maxime Treve et DR

Grâce à cette sensibilisation générale à l’accompagnement, le repérage des jeunes artistes ne se limite pas aux candidatures spontanées et à la réception de dossiers. Il est l’affaire de tous, tout le temps. « En tant que directeur artistique, David joue un rôle important dans ce processus » poursuit Benoît. L’équipe assiste aux concerts et événements locaux, attentive à l’apparition de talents sur le territoire, mais il arrive aussi qu’un groupe se distingue lors de son passage en ses murs, comme ce fut le cas il y a une quinzaine d’années avec Lysistrata, trio de Saintes (photo ci-contre, crédit photo : Marie Monteiro) qui a aujourd’hui acquis un statut international dans le monde du rock alternatif. « En les voyant jouer lors d’une fête sur une petite scène, ça nous est apparu indispensable de leur consacrer du temps et de voir comment les aider à franchir des paliers, depuis l’enregistrement de morceaux jusqu’à la scène. » La salle collabore par ailleurs avec d’autres acteurs culturels, ce qui lui permet de disposer d’antennes dans des écoles de musique, des associations ainsi qu’au Conservatoire de Musique de la Rochelle.

Côté initiatives, la Sirène a mis en place le dispositif l’Hissé Ô, un tremplin musical entre les lycées du bassin rochelais, qui permet de repérer très tôt des talents précoces et prometteurs. Aux sélectionné·es sont proposés des ateliers sur la technique et le métier, des répétitions encadrées avec exercices sur la voix, la pratique corporelle et la préparation à la scène, avec en point d’orgue un concert dans la grande salle elle-même ouverte aux lycéens. C’est ainsi qu’ont commencé de belles histoires de jeunes amateur·ices passé·es professionnel·les au fil d’années de travail, comme le groupe The Big Idea et le duo Kokopeli. « J’ai eu mon premier contact avec la Sirène dès le collège à travers ce tremplin que j’avais remporté avec mon groupe de l’époque» explique Carla, de Kokopeli. « Ma cousine Julie avait répété à la Sirène avec ses propres groupes. Quand on a décidé de nous concentrer sur Kokopeli, ça été comme une évidence pour la Sirène de nous proposer de nous accompagner. » Vu que chacune possède sa propre expérience, les conseils portent alors sur la mise en place de ce nouveau projet et visent à travailler pour en dégager le potentiel que l’équipe de la Sirène a identifié. « Quand nous avons fait part de notre envie de participer à de gros tremplins, l’équipe nous a coachées avec des retours sur nos résidences et des conseils scéniques. » Une association gagnante puisque le duo a été sélectionné en 2024 pour représenter la région Poitou-Charentes aux Inouïs du Printemps de Bourges et a passé une semaine sur l’événement, enrichissant son expérience et son réseau.

Pour Carla et Julie, l’accompagnement a aussi concerné les sujets de la gestion et de l’organisation. « L’équipe nous a suggéré de nous entourer de quelqu'un pour suivre nos tournées, puis peut-être de trouver un label, d’enregistrer un disque et de nous fixer un rétro planning pour sa sortie, en nous aidant à chacune de ces étapes. Dès que nous avions un contact, nous leur demandions leur avis. C’est grâce à leur réseau que nous avons rencontré des tourneurs, signé avec l’un d’eux, et que nous avons trouvé l’attaché de presse pour la promo de notre EP. »

« Professionnellement, ils nous ont aidés à y voir clair quand nous cherchions un tourneur et un label» témoignent aussi les membres du groupe rochelais The Big Idea (photo ci-contre, crédit photo : Marie Monteiro): « En fait, on peut dire qu'ils nous aident un peu sur tout, mais en particulier sur les secteurs sur lesquels ils possèdent à la fois des connaissances, des compétences et un gros réseau. » De plus, l’équipe veille aussi à sensibiliser à certains domaines parfois négligés par des artistes émergent·es. « Benoît a beaucoup insisté sur l’importance de la Sacem et il nous a organisé un rendez-vous avec le directeur du bureau de la Rochelle qui nous a tout expliqué. Il nous y a accompagné pour veiller à ce que nous ayons toutes les informations » se souvient Carla.

Comme pour Kokopeli, libre à chacun de suivre les conseils ou de n’en faire qu’à sa tête. « Ils se permettent de tout nous dire librement mais c'est toujours à nous de faire les choix » remarque Carla.

Une liberté que confirment les six garçons de The Big Idea. Leur histoire avec la Sirène remonte pour eux aussi à de précédents groupes déjà suivis par la salle, l’un d’eux ayant tenté sa chance en 2013 au tremplin l’Hissé Ô. Ses membres n’ont alors que 15-16 ans mais leur sélection permet de partir sur de bons rails. « Au début, les conseils portaient surtout sur l’artistique et sur la façon d’incarner sur scène notre rock qui sonnait très grunge. C’était vraiment une répétition encadrée car ça nous était alors difficile de nous lâcher complètement tout en ayant un son puissant » expliquent-ils. Quelques années plus tard, avec d’autres musiciens naît The Big Idea, qui se présente aussi à l’Hissé Ô, et reste sous les radars de l’équipe, y compris quand ses membres partent vivre pendant cinq ans en région parisienne. « On habitait ensemble, on faisait de la musique, on avait monté un petit studio de répétition et on a sorti quelques albums. On avait moins de contact avec la Sirène mais on l’a rétabli en 2019 pour la sortie d’un album. Ils nous ont alors proposé de jouer en première partie de Courtney Barnett. » En revenant s’installer dans le Sud-Ouest, les liens avec la salle se resserrent. Jusqu’à la crise du Covid qui fait naître en 2020 un projet fou dans la tête du groupe : embarquer pour une traversée de l’Atlantique à la voile et enregistrer un album sur l’océan. L’équipe de la Sirène décide de les aider et son accompagnement prend un tour plus inhabituel, comme l’explique Benoît :

« Deux-trois étaient un peu aguerris à la voile mais cela restait insuffisant pour une telle aventure. On s’est assurés qu’ils acquièrent de bonnes bases de navigation grâce à un ami skipper. On a présenté le projet à Yannick Bestaven, un vainqueur du Vendée Globe basé à La Rochelle, qui a parrainé leur bateau, et on les a aidés à trouver des partenaires. »

Cette expérience unique offre d’excellents supports aux actions éducatives que mène la Sirène. « On a suivi la traversée avec des classes de primaire, de collège et de lycée, car elle parlait autant d’aventure que de musique. » Un soutien indispensable que reconnait le groupe : « La Sirène nous a carrément aidés à porter le projet. Ils ont été de bons conseils autant d'un point de vue financier, juridique, technique que sur la communication. » De plus, tandis que l’épidémie contraint les salles au silence, l’ouverture des studios de répétition leur permet de mettre au point les chansons avant le départ. Au bout de deux mois d’une traversée épique, ils en reviennent avec des souvenirs plein la tête - et des images qui font l’objet d’un documentaire - et un album chargé en iode et en embruns. À ce voyage initiatique s’ajoute pour eux aussi une sélection en 2020 aux Inouïs du Printemps de Bourges, qui s’apparente à une autre forme d’expérience enrichissante. « En plus du projet de traversée, cela a renforcé notre proximité avec l’équipe durant deux années. Nous avons reçu beaucoup de conseils, jusqu’à ce qu’elle nous aide à trouver un tourneur et un label, bref à travailler sur tout l’extra-musical. »

Non seulement les liens avec les artistes accompagnés durent sur le temps long mais aucune des deux parties n’a jamais l’air décidée à couper le cordon qui les relie. « Nous avons préparé notre dernière tournée avec une résidence à La Roche-sur-Yon pour laquelle Benoît a fait le déplacement et nous a donné son avis » confirme-t-on chez The Big Idea. « Benoît nous a encore récemment incitées à travailler sur des maquettes. Parfois, avec Julia, on se dit qu’il nous faudrait un manager mais qu’au final on n’en a pas besoin puisqu’il y a Benoît » s’amuse Carla. Quant à Lysistrata, le trio est passé la semaine suivant notre visite à la Sirène pour répéter et échanger juste avant d’embarquer pour une mini-tournée en Amérique du Nord

C'est très agréable de se dire que ce n'est pas fini, que nous ne serons pas lâchées dans la nature après juste une année d’accompagnement. C'est vraiment un lien qui se pérennise sur le temps. Dès qu’on a un problème, je sais que je peux appeler Benoît et lui demander son avis.

À la disponibilité de l’équipe s’ajoute une infrastructure matérielle au cœur de l’accompagnement. Reliée aux studios de répétitions, une régie 24 pistes installée dans un container de cargo permet des enregistrements de qualité pro, outil pédagogique au service des musiciens amateurs ou en voie de professionnalisation. « L’idée n'était pas d'avoir un studio professionnel qui concurrence les studios pros. Mais plutôt de permettre aux artistes qui veulent enregistrer un album ou un EP de préparer en amont dans les mêmes conditions en réfléchissant aux directions à prendre » explique Benoît.

Exactement ce dont a profité The Big Idea. « Dernièrement, nous sommes allés réaliser des préproductions dans le but d'avoir un peu de recul sur les morceaux qu'on avait commencé à enregistrer, pour en détecter les points forts et les points faibles. » Trois jours durant lesquels le groupe a pu compter sur l’expertise du régisseur Thibaud Carter et sur des retours de l’équipe. « Quand on est sur place, ils ont toujours un avis artistique sur l’album en préparation. On leur demande ce qu'ils aiment, ce qu'ils n’aiment pas et leurs avis sur la manière dont on devrait faire. » (photo ci contre : Concerts Show Quai's Crédit photo : Maxime Treve)

Cette fidélité est confirmée par des artistes professionnel·les dont l’histoire avec la Sirène se poursuit. C’est le cas de Malik Djoudi (photo ci-contre, crédit photo : Marie Monteiro) , Poitevin devenu Parisien, qui y revient régulièrement pour des maquettes, des résidences, des concerts, et toujours, des avis : « Avec l’équipe, tu sens une fidélité au fil des ans, des personnes qui te suivront jusqu'au bout. Même sans passer trop de temps avec ceux qu’ils ont accompagnés il y a des années, ils gardent ce lien et restent toujours disponibles pour des conseils. » Comme nombre d’autres, il y revient régulièrement pour tester des maquettes, préparer des tournées, essayer un nouveau groupe ou mettre au point une scénographie.

Quand il s’était lancé sous son nom en 2016, la Sirène lui avait donné sa chance en le programmant à un concert, le deuxième de sa carrière solo, en première partie de Christophe. Un moment fondateur qui lui a donné confiance et a paradoxalement marqué le début de son accompagnement par la salle à presque quarante ans. Un accompagnement à la hauteur de ses besoins, lui à qui il manquait très peu pour se hisser dans la cour des artistes grand public. « C’est une salle inspirante pour travailler car ses portes sont ouvertes jusque tard dans la nuit. » Une inspiration qui a aussi séduit Juliette Armanet ou Aquaserge parmi ceux récemment venus rôder leur tournée.

À la sirène qui prévenait autrefois les marins succède ce phare dans la lumière de La Rochelle pour aiguiller les aspirants musiciens.

(Crédits photos : Carine Deceire / Marie Monteiro / Incognito / F. Le Lan / Maxime Treve)