Les coulisses de la bibliothèque de l’Académie de médecine

L’Académie nationale de médecine est située dans un magnifique bâtiment au centre de Paris. Elle abrite une bibliothèque riche d’ouvrages très anciens et d’œuvres d’art uniques. Visite guidée avec Jean-Noël Fiessinger, président de l’Académie, et Jérôme van Wijland, conservateur général des bibliothèques.

L’entrée de la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine se niche au premier étage d’une des deux ailes du bâtiment accueillant cette société savante médicale. L’équipe de rédaction de La Revue du Praticien a eu le privilège de bénéficier d’une visite guidée en compagnie de son conservateur, Jérôme van Wijland, et du Président de l’Académie nationale de médecine, le Professeur Jean-Noël Fiessinger. Située rue Bonaparte dans le VIᵉ arrondissement de Paris, l’Académie a été créée par l'ordonnance royale du 20 décembre 1820 sous le nom d'Académie royale de médecine. Depuis 1902, elle occupe le bâtiment actuel construit grâce à de nombreux dons et legs. L’architecte, Justin Rochet, a conduit son édification entre 1899 et 1902. On accède à la bibliothèque par le grand escalier décoré de toiles célèbres dont celle de Gaston Mélingue datant de 1879 et représentant Edward Jenner administrant la première vaccination contre la variole en 1796.

Jérôme van Wijland, conservateur général, et son équipe veillent sur les collections inestimables de la bibliothèque : imprimés, livres et périodiques, œuvres d’art... La bibliothèque est ouverte de 10 heures à 18 heures. Deux catégories de visiteurs y sont principalement accueillis :

  • les chercheurs, surtout en sciences humaines et sociales, historiens, romanciers… particulièrement intéressés par les collections anciennes ;
  • les académiciens (le mardi) qui viennent consulter les ouvrages en lien avec la médecine, l’actualité et la documentation en ligne.

Les académiciens peuvent emprunter les ouvrages datant de moins de cinquante ans, si leur état le permet. Une salle de lecture et une salle de travail en groupe offrant la possibilité de réaliser des visioconférences sont accessibles aux visiteurs. Huit agents travaillent à la bibliothèque : le conservateur général (arrivé en 2008 et directeur depuis 2011), son adjoint conservateur en chef ainsi que cinq bibliothécaires et une secrétaire administrative. Le premier bibliothécaire a été nommé en 1840. Au XIXème siècle, les responsables de la bibliothèque étaient tous médecins. Depuis le milieu des années 1970, ils sont conservateurs professionnels.

Les dimensions de la salle de lecture ont été conçues en fonction de la taille des œuvres commandées initialement pour l'ancien édifice de l'Académie. Elle a une capacité d’accueil d’une douzaine de personnes. « Nous dénombrons plus de 1 000 entrées par an. Ce sont surtout les académiciens qui viennent régulièrement. Les chercheurs nous rendent visite de façon épisodique. Dernièrement, nous avons accueilli un professeur universitaire américain qui travaillait sur l’eugénisme au XVIIIème siècle. Nous répondons aussi à des demandes à distance. Nous avons ainsi de nombreux échanges avec des chercheurs du monde entier. Tous nos services sont gratuits », détaille Jérôme van Wijland. Toutefois, tous les documents ne peuvent pas être consultés. Certains sont soumis au respect des droits de l’auteur ou des personnes concernées, pour les correspondances ou les dossiers médicaux par exemple. Selon le Code du patrimoine de 2008, l’ouverture des archives est possible 120 ans après la naissance de l’auteur, ou 25 ans après son décès si sa date est connue. Le secret concernant la vie privée doit être respecté pendant 50 ans après la date d’émission du document.

Plus d'un demi-million de pièces stockées dont 120 000 livres

Les espaces de stockage se déploient sur onze niveaux. « Nous avons été contraints de créer des étages de demi-niveau pour accroître les possibilités de rangement » explique le conservateur. La bibliothèque de l’Académie nationale de médecine possède près d’un demi-million de pièces, dont environ 120 000 livres. « Parmi les œuvres d’art, certaines sont exposées sur les murs de l’Académie, quelques-unes sont parfois prêtées pour des expositions » souligne M. van Wijland. La numérisation permet un accès rapide et efficace aux documents. Mais c’est un travail colossal. Pour tous les documents écrits, une numérisation totale des collections demanderait plusieurs dizaines d’années. « Nous avons déjà procédé à la numérisation des périodiques avec Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, soit 650 000 pages depuis 2012. Ce qui correspond à une soixantaine de périodiques sur le millier que nous possédons » dévoile le conservateur.

Les rayonnages, bien ordonnés, ploient sous les périodiques et publications de toutes sortes : des ouvrages de médecine aux livres de cuisine écrits par des médecins renommés. « Nous enrichissons nos collections par différents circuits : acquisition (éventuellement aux enchères) de manuscrits et archives dans les salons de libraires, dons, legs… » explique Jérôme van Wijland. Nous avons des relations suivies avec la Bibliothèque nationale de France (BNF) ainsi qu’avec la bibliothèque interuniversitaire (BIU) de santé, Sorbonne Université, la bibliothèque Mazarine de l’Institut de France, l’Académie des Beaux-Arts… Nous développons des partenariats avec ces interlocuteurs par exemple lors de l’achat de manuscrits aux enchères ».

La salle dite « mixte » contient les dons en cours d’inventaire, les ouvrages grand format ainsi que diverses collections. Par exemple, une série de carnets de santé de toutes les époques et de divers pays, donnée par l’époux d’une historienne de la santé, est en cours de référencement.

Les fonds anciens contiennent des ouvrages aux sujets parfois originaux comme un magnifique livre de René-Albert Gutmann, gastro-entérologue décédé en 1981. Il a traduit L’Enfer de Dante, et son texte a été agrémenté de gravures sur bois d’Hermann-Paul (peintre et illustrateur français. 1864-1940) puis il l’a édité et relié.

Les deux premiers livres de médecine datant de 1471 sont conservés précieusement. Ils restent à l’abri de la lumière. D’autres incunables (NDLR : ouvrage imprimé antérieurement à l’an 1500, tiré à peu d'exemplaires) figurent dans le catalogue de la bibliothèque comme La Chirurgie d’Albucasis, un traité des simples, un antidotaire… Parmi les ouvrages précieux figurent aussi un Canon d’Avicenne, imprimé à Rome en 1593, en langue et en caractères arabes. Des manuscrits de traités de Galien traduits en latin, datant du IXVème siècle, sont très étudiés dans le monde entier. L’ensemble est entièrement numérisé. De nombreux ouvrages de médecins célèbres du XIXème siècle habitent également les rayonnages : ceux de Laennec, Claude Bernard, Trousseau…

Des collections plus contemporaines se font la mémoire de l’histoire de la médecine récente. Documents, dossiers de patients, affiches de promotion de la santé publique, nombreuses correspondances, notamment les lettres reçues par Lucien Corvisart, médecin de Napoléon III. Les dossiers de patients sur toute une carrière intéressent vivement les chercheurs. Par exemple, Georges Bourguignon (1876-1963), médecin et neurophysiologiste clinicien exerçant à Paris, a fait don de tous ses dossiers de patients. Il a mené des recherches sur l’excitabilité des nerfs et a procédé à de nombreux examens complémentaires pour envisager un traitement électrique. Il a consigné toutes ses observations très détaillées sur des fiches et a conservé sa correspondance avec certains patients. Deux types d’utilisation sont fréquents :

  • biographique pour étudier un patient célèbre ou non. Par exemple, il a soigné Jacques Cousteau en 1936, à la suite d’un accident de voiture, ce qui a empêché celui-ci de devenir pilote d’avion et l’a obligé à rester dans la marine… on connait la suite ! Il a ensuite correspondu avec lui. Autre exemple, le cas emblématique d’un footballeur uruguayen des années 1930.
  • sérielle pour des études historiques et épidémiologiques. Le Dr Bourguignon intervenait dans des entreprises (RATP, usines de cellulose et cellophane…) dans les années 1950 et a conservé de nombreux documents ayant permis de faire le lien entre les métiers ouvriers et la fréquence de certaines maladies (migraines…) dans la population employée dans ces usines.

Des affiches italiennes des XVII, XVIII et XIXe siècles, achetées aux enchères, informent la population sur la prophylaxie et la lutte contre les épizooties. Elles datent d’une époque où la vigilance se développe en raison de la diffusion accélérée des épidémies du fait de la circulation plus rapide des personnes par les routes marchandes entre les différentes villes de foire.

Des exemplaires des premières radiographies médicales françaises datant de 1896 constituent une collection exceptionnelle. Elles ont été réalisées par les Docteurs Paul Oudin et Toussaint Barthélémy. Un cliché radiographique (28 janvier 1896) montre un « fœtus après 50 minutes de pose. Le poumon gauche a été enlevé ; le droit, les reins et le foie ont été laissés en place afin de pouvoir comparer les contrastes » décrit Jérôme van Wijland.

La bibliothèque et l’Académie nationale de médecine dans son ensemble regorgent de trésors culturels autour de l’histoire de la médecine. Le conservateur accompagne parfois quelques visites privées : « nous ouvrons exceptionnellement nos portes à des associations d’histoire ou à des sociétés savantes ». Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, l’Académie nationale de médecine organise des visites guidées de son magnifique bâtiment. Les étages de stockage ne sont cependant pas accessibles, ils nous ont été ouvert à titre très exceptionnel. Lors de l’édition 2025, le samedi 20 septembre, la visite de l’Académie nationale de Médecine a encore connu un franc succès ! Les visites guidées par un académicien, par groupe de 30 à 50 personnes selon le flux d’arrivants sur la journée, ont accueilli 843 personnes.

Reportage réalisé par Christelle Angély (photos), Juliette Schenckéry (textes), Kristell Delarue et Anne-Hélène Rabreau (conception), La Revue du Praticien

Crédits :

La Revue du Praticien