En 2021, dans l’ouvrage collectif L’épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires, il est établi que 93 % des personnes interrogées ont vécu ou été témoin d’au moins une expérience de discrimination ou de stigmatisation au cours de leur vie. Ce phénomène d’une grande ampleur engendre des conséquences profondes sur les trajectoires individuelles des personnes qui les subissent (accès au logement, emploi, mésestime de soi…) mais impacte aussi plus largement la cohésion sociale et le vivre ensemble.
La loi Lamy adoptée en 2014 mettait en avant trois critères de discrimination prioritaires dans les quartiers politique de la ville : l’origine réelle ou supposée des habitants, le lieu de résidence, et l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais force est de constater que la thématique des discriminations reste encore trop souvent invisibilisée dans les contrats de ville, alors même qu’elle constitue un enjeu majeur pour les habitants des quartiers prioritaires.
Afin d’éviter la banalisation de ce sujet tant chez les personnes qui souffrent de ces discriminations que chez les personnes qui les observent (les institutions, les politiques, les associations), RésO Villes s’est associé aux acteurs de la lutte contre les discriminations en Bretagne et Pays de la Loire. Un comité de pilotage interrégional a ainsi été constitué, réunissant les observatoires des discriminations de Nantes et Rennes, la Défenseure des droits et la Mission Développement Social Urbain de Brest et le centre social Carrefour 18 à Rennes qui a accueilli cette journée. Cet événement marque le lancement d’une dynamique collective avec l’ambition de créer des synergies entre les acteurs de la lutte contre les discriminations et ceux de la politique de la ville, afin d’impulser de nouvelles initiatives.
Ouverture de la journée
Priscilla Zamord, Vice-présidente de Rennes Métropole, défend l'idée de construire une société plus solidaire et bienveillante, en respectant les valeurs d'égalité humaine et de respect des différences. Selon une enquête de Rennes Métropole, 69% des témoins de situation de discrimination ne font rien. Face à ce constat, des actions doivent être menées au plus près des réalités en soutenant les associations, les espaces de dialogue et de débats. Les discriminations systémiques touchent particulièrement les habitants des quartiers populaires et nous devons avoir le courage politique de cultiver les contre-pouvoirs pour une société plus juste.
Florence Emanuelli, Directrice générale de l’ARCS, rappelle que l'Asssociation Rennaise des Centres Sociaux regroupe 6 centres sociaux, 30 salariés, 500 bénévoles au service de 4000 habitants. Dans ces lieux d'accueil interculturels et intergénérationnels, tout est fait par et pour les habitants, afin d'améliorer leur qualité de vie. "Nous défendons les valeurs de convivialité, de solidarité, de participation, d'autonomie et de respect. Nous avons une mission de cohésion sociale auprès d'habitants qui cumulent les difficultés et des enjeux de déconstruction d'un héritage colonial et patriarcal."
Pierre Quénéa, Vice-président de Nantes Métropole et Président de RésO Villes rappelle qu’une grande majorité des habitants des quartiers prioritaires vivent des expériences de discriminations du fait de leur origine réelle ou supposée, de leur lieu de résidence mais aussi du fait de leur statut de pauvres. En 2014, La loi Lamy « pour une politique de la ville ambitieuse » retenait comme une priorité la lutte contre les discriminations dans les quartiers populaires. 10 ans après, nous constatons que la pauvreté n’a de cesse d’être criminalisée, que les actes racistes augmentent et sont de plus en plus violents tandis que la lutte contre les discriminations dans les contrats de ville semble avoir disparue. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui de perdre espoir. L’engagement de plus en plus nombreux de collectivités en France sur le sujet de la lutte contre les discriminations, l’émergence de collectifs et d’activistes, la diffusion massive de podcast et d’émissions qui rend visible l’ampleur du phénomène sont des signes tangibles que le combat reprend et que le temps du déni et de l’effacement est révolu.
Table ronde : Comprendre les mécanismes de production des discriminations dans les QPV pour agir
Comment définir les discriminations ?
Quels impacts des discriminations sur les habitants des quartiers populaires ?
Focus sur des initiatives locales pour lutter contre les discriminations
Ateliers
Favoriser l’égalité d’accès au logement social
Animé par Marine Bardy et Maximilien Steindorsson, RésO Villes
Les objectifs de cet atelier étaient de comprendre le processus d'attribution des logements sociaux, d'identifier la ou les pratiques qui peuvent mener à un risque de discrimination, d'appréhender le cadre légal, éthique et déontologique qui s'applique pour permettre l'égalité d'accès au logement social, d'identifier des leviers d'action sur la thématique et bâtir un argumentaire pour pouvoir agir.
Discriminations dans les parcours de soins
Animé par Vanessa Bernard, chargée de mission régionale pour le Défenseure des droits Bretagne et Pays de la Loire
Le droit à la santé est un droit fondamental. Et pourtant, il n’est pas toujours protégé dans la réalité. Il n’est pas nécessaire de prouver son caractère intentionnel pour qualifier une discrimination. Les personnes qui sont dans des parcours de soins sont souvent très vulnérables et on peut constater des refus de soins envers différentes catégories de personnes : les personnes racisées (le "syndrome méditerranéen” est encore répandu chez les soignants), les sans-abris, les patients atteints du VIH, le barrage de la langue qui empêche d’expliquer ses symptômes, les femmes portant le voile, les enfants autistes, les personnes en surpoids, les travailleurs du sexe. Comme le recommande la défenseure des droits, une stratégie nationale est nécessaire auprès des soignants, des médecins, pour les sensibiliser aux pratiques qui peuvent être discriminantes, même inconsciemment.
Relations police et population
Co-animé par Samia Bencherifa, chargée du projet jeunesse, formatrice et consultante, centres sociaux Gisèle Halimi et Mermoz, Lyon et Anaïk Purenne, sociologue
Une recherche sociologique participative sur les rapports police/population à Vaulx-en-Velin
Pendant cinq ans, à Vaulx-en-Velin, un groupe s’est réuni autour d’une question complexe : quelles relations entretiennent les jeunes avec les forces de l’ordre ? Ce groupe, appelé PoliCité, est un collectif de recherche-action participative, c’est-à-dire qu’il ne se contente pas d’étudier un sujet à distance. Il implique directement les personnes concernées : des jeunes habitant.es de Vaulx-en-Velin, des sociologues et une travailleuse sociale ont travaillé ensemble pour comprendre ces relations souvent tendues, et surtout, les mécanismes sociaux qui les nourrissent.
Cette démarche a pris plusieurs formes : conférences de consensus, soirées débats avec des policiers, interventions dans les écoles... L’idée n’était pas seulement de dialoguer, mais aussi de transformer les choses. Si la police elle-même n’a pas changé en profondeur, les effets ont été très forts du côté des jeunes : ils ont gagné en confiance, en réflexion, et ont développé une vraie capacité à prendre du recul sur leur propre expérience. De cette démarche est née une bande dessinée : Policité : de la confrontation à la confiance.
A partir de cette recherche-action, les participant·es à l'atelier ont été amené·es à réfléchir à différents scenarios pour améliorer la relation entre la police et la population.
Orientation scolaire, déterminisme et non-discrimination
Animé par Damien Boisset, RezoEE
Au-delà des problèmes juridiques et organisationnels, le très récent rapport (juin 2025) du Défenseur des Droits pointe notamment que les inégalités socio-économiques se révèlent à chaque étape de l’orientation, avec notamment une pré-orientation excessive des élèves en situation de vulnérabilité économique. Les inégalités territoriales interviennent également très tôt dans le parcours d’orientation, en raison de l’implantation des établissements et d’une offre moindre en matière de formations.
Cet atelier proposait 3 axes pour lutter contre les discriminations dans l'orientation et invitait les participant·es à se poser les questions suivantes : que faire exactement ? Qu'est-ce qui freine ou bloque ? Quels sont les points d'appui et soutiens ?
Sensibilisation aux discriminations à l’emploi
Animé par Michel Virassamy, responsable régional Pays de la Loire et Bretagne de la Fondation Mozaïk
La Fondation Mozaïk œuvre pour une société plus inclusive en accompagnant les jeunes issus de milieu modeste dans leurs études et leur insertion professionnelle. Cet accompagnement passe par des dispositifs d’orientation, d’accompagnement et un réseau d’entreprises mobilisés en faveur de la diversité. L’association lutte contre la discrimination et ses conséquences (sentiment d’injustice, perte de confiance, auto-censure), tout en soulignant les bénéfices de l’inclusion pour les entreprises (conformité légale, RSE, innovation).
Consulter notre reportage vidéo sur la Fondation Mozaïk