Le 6 août 1945, la première bombe atomique fut larguée sur Hiroshima provoquant la mort instantanée de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Trois jours plus tard, Nagasaki connut le même sort. On estime que 214.000 personnes sont mortes à l’issue des deux bombardements.
Pas un nuage ne tâchait le ciel au-dessus d'Hiroshima, le vent du sud était à peine perceptible, le champ visuel était parfait jusqu'à quinze ou vingt kilomètres. À 8 h 15 environ, alors que la population de la ville se rendait au travail, apparut soudain dans le ciel une lueur aveuglante, blanche et rose, s'accompagnant d'une sorte de frémissement, suivie presque immédiatement d'une chaleur suffocante et d'un souffle balayant tout sur son passage. En quelques secondes, des milliers d'êtres humains, dans les rues et les jardins du centre de la ville, frappés par une vague de chaleur aiguë, meurent comme des mouches sous l'effet de la température. D'autres se tordent comme des vers, atrocement brûlés. Tout ce qui est maisons d'habitation, dépôts, etc... disparaît comme balayé par une force surnaturelle. (...) La ville d'Hiroshima est détruite à 90%.
Extraits du récit du Dr. Marcel Junod, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Japon en 1945, publié en 1982 dans « Le désastre d’Hiroshima », sur base des témoignages de survivants du bombardement.
AVANT
APRÈS
"La ville est déserte, morte. Seuls, quelques rares militaires japonais sont visibles. Les survivants ont fui, effrayés par les nouvelles de la presse annonçant qu'Hiroshima garderait un danger de radio-activité pendant soixante-dix ans. Nous sommes là, à peu près au-dessus du point où la bombe éclata. Au milieu d'un amas indescriptible de tuiles cassées, de tôles rouillées, de carcasses de machines et de voitures brûlées, de tramways jetés hors des rails, quelques arbres dressent vers le ciel leurs troncs noirs et dénudés."
AVANT - APRÈS
Dôme de Genbaku, Hiroshima
SEPTEMBRE 1945 - "À douze heure, nous survolons Hiroshima. Mes compagnons et moi-même, nous nous penchons avec anxiété sur les hublots de l'avion pour apercevoir une vision bien différente de tout ce que nous avions vu auparavant. Le centre de la ville est une sorte de tache blanche, polie comme la paume de la main. II ne reste plus rien."
AVANT
APRÈS
"À l’intérieur de ce premier cercle de 1000 mètres de diamètre, les rayons lumineux sont descendus droit sur les rues et les jardins, couvrant tout l'espace, presque sans laisser d'angles morts. Les individus sont touchés par le rayonnement direct des ultra-violets, des infra-rouges, des rayons gamma et par la déflagration. Ils sont tous morts immédiatement."
La Croix-Rouge, premier témoin des souffrances humaines incommensurables
Le 30 août 1945, le délégué du CICR à Hiroshima, Fritz Bilfinger, fut le premier témoin neutre à atteindre la ville après l’explosion. Il envoya un télégramme alarmant au Dr. Marcel Junod, chef de la délégation au Japon, dont le texte reflète l’ampleur des conséquences humanitaires de la bombe nucléaire et les difficultés auxquelles était confronté le personnel de santé.
La force destructrice de la bombe
La bombe atomique qui a touché la ville d’Hiroshima en août 1945 illustre la difficulté de déployer une aide humanitaire pour répondre aux besoins des victimes. Il n’y avait pas ou peu d’accès aux soins de santé immédiatement après l’explosion.
Lors de sa visite à l’hôpital de la Croix-Rouge japonaise située à 1.5 km de l’épicentre et considérée comme ayant échappé miraculeusement aux effets du bombardement, le Dr Junod constata que tous les appareils de laboratoire étaient hors d’usage et que les transfusions de sang faisaient défaut car le matériel manquait pour les examens et les donneurs de sang étaient morts ou disparus. Le ravitaillement était presque inexistant comme dans la plupart des hôpitaux provisoires.
À côté de la destruction et de l’endommagement des hôpitaux, près de 90 % des médecins d’Hiroshima avaient été tués sur le coup ou blessés par l’explosion, alors que ce fut le cas pour 92 % des infirmiers et 80 % des pharmaciens.
Les effets à long terme d'une détonation nucléaire
Dans les mois qui suivirent, malgré les efforts déployés par le CICR et la Croix-Rouge japonaise pour assister les victimes, des dizaines de milliers de personnes décédèrent des effets de longue durée de la bombe nucléaire. Celle-ci a continué de tuer et d’affecter les survivants.
Aujourd’hui, les hôpitaux de la Croix-Rouge japonaise à Hiroshima et Nagasaki soignent encore plusieurs milliers de victimes qui ont développé des cancers tels que la leucémie et le cancer de la thyroïde, en raison de l’exposition à des niveaux significatifs de rayonnements ionisants. Près des deux tiers des personnes soignées dans ces hôpitaux meurent du cancer.
Au-delà des conséquences physiques sur la santé, les survivants subissent aussi un impact psychologique considérable, dont le syndrome de stress post-traumatique survenu à la suite des bombardements, de la perte de leurs proches, des maladies dont ils souffrent ou des risques de maladies liées aux radiations.
L’importance du devoir de mémoire face aux risques croissants de l’utilisation de l’arme nucléaire aujourd’hui
Les témoignages du CICR, de la Croix-Rouge japonaise et des survivants des bombardements atomiques de 1945 (Hibakusha) rappellent constamment les conséquences humanitaires incommensurables de l’arme nucléaire. Il est important de se souvenir et de perpétuer la voix des victimes afin que les efforts engagés se poursuivent pour que ces armes ne soient plus jamais utilisées et soient complètement éliminées. Cet engagement est encore plus pertinent aujourd’hui au regard des conséquences humanitaires qui seraient plus étendues et des risques croissants d’une utilisation intentionnelle ou accidentelle de l’arme nucléaire de nos jours.
En dehors des conséquences immédiates et à long terme sur la santé, l’utilisation des armes nucléaires pourrait avoir un impact considérable sur l’environnement, le climat et la production vivrière mondiale, en particulier dans le contexte d’une guerre nucléaire même « limitée » : elle entraînerait une chute des températures, des périodes végétatives plus courtes et potentiellement de graves pénuries alimentaires. Par ailleurs, il n’existe pas aujourd’hui une assistance humanitaire adéquate pouvant répondre à l’ensemble des besoins des victimes tant au niveau national que sur le plan international.
Compte tenu des caractéristiques uniques des armes nucléaires et de leur pouvoir destructeur, les conséquences de leur utilisation ne peuvent être endiguées ni dans l’espace ni dans le temps. Il est par conséquent difficile de concevoir comment l’emploi d’armes nucléaires – armes de nature foncièrement incontrôlable – peut être conforme aux règles du droit international humanitaire (DIH), en particulier aux règles relatives à la distinction, à la précaution et à la proportionnalité.
Une nouvelle stratégie du Mouvement face aux armes nucléaires
Huit décennies après ces événements tragiques, les armes nucléaires continuent de menacer l’humanité. À la lumière du DIH et de leurs conséquences humanitaires, leur interdiction reste plus que jamais une nécessité.
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge appelle depuis 1945 les États à veiller à ce que les armes nucléaires ne soient plus jamais utilisées, qu’elles soient clairement interdites par le droit international et totalement éliminées. Depuis lors, cet appel a été réitéré à plusieurs reprises et appuyé par la Croix-Rouge de Belgique, notamment en 2011, 2013 et 2017.
Depuis lors, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires adopté en juillet 2017 est entré en vigueur et fait désormais partie du cadre juridique international en matière de désarmement nucléaire. Mais le contexte international a évolué et est de plus en plus marqué par le risque accru que des armes nucléaires soient à nouveau utilisées intentionnellement, accidentellement ou par suite d’une erreur d’appréciation. En conséquence, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a intensifié ses efforts de sensibilisation et de diplomatie humanitaire. Si l’incompatibilité de ces armes avec le DIH reste au cœur de l’argumentaire, la stratégie d’action du Mouvement s’est précisée et renforcée.
En 2022, le CICR a actualisé sa doctrine sur les armes nucléaires afin d’intégrer les derniers développements sur la question et les études sur l’impact humanitaire de ces armes sur la santé et l’environnement sur la base notamment des témoignages des survivants des bombardements atomiques et des essais nucléaires. La même année, le Mouvement a adopté un nouveau plan d’action 2022–2027 pour la non-utilisation, l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires. Se basant sur leurs conséquences humanitaires catastrophiques et constatant « qu’il est extrêmement improbable que l’emploi d’armes nucléaires puisse un jour être conforme aux principes et aux règles du droit international humanitaire », ce plan d’action engage l’ensemble de ses composantes à agir auprès des États autour d’objectifs concrets afin que Hiroshima et Nagasaki restent les derniers bombardements atomiques de l’histoire. Ce plan vise notamment à :
- Renforcer l’adhésion, la ratification et la mise en œuvre du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et des autres instruments pertinents, notamment le Traité sur la non-prolifération (TNP) et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires ;
- Attirer l’attention sur le risque élevé et croissant d’utilisation des armes nucléaires et promouvoir l’adoption par les États de mesures concrètes visant à réduire ce risque et d’œuvrer au désarmement et à l’élimination totale des armes nucléaires à travers notamment l’adoption de politiques, de doctrines militaires et de législations nationales;
- Continuer d’attirer l’attention sur les conséquences humanitaires qui résulteraient de l’emploi d’armes nucléaires et le manque de capacités pour mener une action humanitaire adéquate à travers des activités de sensibilisation auprès de tous publics ;
- Promouvoir une meilleure compréhension des conséquences humanitaires en intégrant les voix des survivants des bombardements atomiques (hibakusha) et les expériences des communautés affectées par les essais nucléaires.
Ce repositionnement s’appuie aussi sur une prise de conscience renouvelée : aucune capacité de réponse humanitaire ne serait suffisante en cas d’usage d’armes nucléaires, même limité. Il insiste dès lors sur l’urgence de prévenir toute utilisation future, d’assurer leur interdiction effective et d’avancer vers l’élimination totale de ces armes, non seulement comme une obligation juridique découlant du DIH, mais aussi comme un impératif humanitaire et éthique fondamental.
Ces actions contribueront à l’objectif d’un monde sans armes nucléaires. Après 80 ans, il est grand temps de tenir cette promesse afin d’honorer la mémoire des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki, de faire entendre également la voix des victimes des essais nucléaires, et de préserver les générations futures.
Une contribution active de la Croix-Rouge de Belgique
La Croix-Rouge de Belgique s’inscrit pleinement dans cette dynamique, notamment à travers :
- un travail de plaidoyer actif auprès des autorités belges en relayant l’appel du Mouvement aux États à ne plus utiliser les armes nucléaires, à les interdire effectivement et à les éliminer totalement, en soutenant l’adoption de mesures concrètes de réduction des risques et en encourageant le dialogue entre tous les États afin d’atteindre l’objectif d’un monde sans armes nucléaires ;
- la sensibilisation aux conséquences humanitaires des armes nucléaires et à leur impact sur le respect des règles et principes du droit international humanitaire, comme sa participation à l’organisation de la conférence NUKE EXPO 2024, un événement international sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires, en collaboration avec la Croix-Rouge norvégienne et le CICR. Cette initiative a permis de croiser les regards entre experts, jeunes leaders, survivants et acteurs du désarmement.
Par cette implication, la Croix-Rouge de Belgique réaffirme son engagement à promouvoir un monde libéré des armes nucléaires, fidèle à la mission humanitaire et préventive du Mouvement.
En conclusion, pour celui qui a été témoin, même un mois après, de l'effet dramatique de cette arme nouvelle, il ne fait aucun doute que le monde est placé aujourd'hui devant le problème de son existence ou de son anéantissement. L'atroce destruction de milliers d’êtres humains dans des conditions de souffrances horribles est ce qui attend chacun de nous si cette arme venait à être utilisée dans un conflit futur. (...) Les forces mystiques et matérielles du monde sont en marche pour le meilleur ou pour le pire. Nul ne peut en prévoir la fin. Derrière ces forces sont les hommes qui les animent. C'est à eux que nous avons le devoir de crier notre angoisse, à eux que nous jetons ce cri d'alarme : faites pour l’énergie atomique ce que vous avez fait pour les gaz toxiques, proscrivez-en l'usage comme arme de guerre si, par malheur, la guerre elle-même ne pouvait être évitée.
Dr. Marcel Junod, chef de la délégation du CICR au Japon en 1945
Pour aller plus loin
Découvrez l'entièreté du récit du Dr. Marcel Junod, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Japon en 1945, Intitulé « Le désastre d’Hiroshima », publié en 1982, sur base des témoignages de survivants du bombardement.
Avec le soutien de :
Crédits :
Croix-Rouge de Belgique et © CICR