Claude Simon ASSEMBLAGES recomposer la matière du réel

Alors que l'on connaît son œuvre écrite et littéraire (Prix Médicis en 1967, Prix Nobel de Littérature en 1985), on ignore que Claude Simon explora d'autres arts comme la peinture, l'assemblage, la photographie et le cinéma. Bien au-delà de la simple expérimentation, ses œuvres papier présentent une maîtrise et une créativité exceptionnelles.

Véritables récits polymorphes et habités, ces compositions rendent visible son approche singulière de la narration.

Né en 1913 à Tananarive (Madagascar), Claude Simon est marqué très tôt par la mort de son père, officier de carrière qu'il n'a pas connu, en 1914, puis de sa mère en 1925. Roussillonnaise, cette dernière s'installe avec l'enfant à Perpignan. Peu avant son décès, elle le met en pension au Collège Stanislas à Paris sous la tutelle de son cousin Paul Codet.

Inscrit aux Beaux-Arts de Paris, il étudie le Cubisme, fréquente l'atelier d'André Lhote de 1933 à 1934, puis celui de François Desnoyers jusqu'en 1938. Il peint une partie de l'année à Collioure.

Claude Simon, Yvonne Ducuing, tante Mie (Artémise Simon), 12 rue de la Cloche d'Or, Perpignan, vers 1948.

Il effectue son service militaire l'année suivante, puis réalise de nombreux voyages, à Barcelone en 1936, en Allemagne, en U.R.S.S. puis en Grèce, durant lesquels il devient observateur médusé du chaos omniprésent, annonciateur du conflit mondial. Il est mobilisé en 1939. Prisonnier des allemands en 1940, il s'évade la même année et rentre à Perpignan où il reprend l'héritage viticole familial, et s'établit peintre à Collioure.

Ordre de mobilisation de Claude Simon en 1939, au 31e régiment des Dragon (cavalerie) à Lunéville.

Dans ce contexte politique et militaire instable, violent, le vécu de Claude Simon jalonné d'épreuves fondamentales (mort, guerre, emprisonnement, faim, maladie) sera la matière essentielle de son Œuvre.

Toutes ses créations porteront l'écho de ses expériences contrastées, oscillant tout au long de sa vie entre éblouissement et souffrance.

L'écriture sera pour lui un mode de résistance et de survie ; le récit, le lieu de résurgence de sensations et d'émotions livrées au monde. L'assemblage, une autre tentative de ré agencement d'un réel désarticulé dont il cherchera sans cesse le sens.

Marqué par la vision déstructurée du Cubisme de Picasso, Dufy ou Dubuffet, il porte également un grand intérêt à l'œuvre de Rauschenberg et Schwitters, étant lui-même coutumier de la collecte et de la collection d'objets. Très vite, l'assemblage et la recomposition deviennent des principes essentiels de son processus créatif global, dans ses narrations écrites comme dans ses œuvres papier.

"... la contiguïté spatiale des éléments picturaux lui sert volontiers de modèle pour son écriture." (J. Gleize, 2010).

Claude SIMON - Sans titre, années 1950-1960. Assemblage de papiers découpés et punaisés sur paravent à trois panneaux, collection particulière © Tous droits réservés.

Il fait parti de l'avant-garde artistique contemporaine, et de 1950 à 1960, tout en continuant à peindre, à photographier et à écrire, il coupe, détaille, ponctionne dans la réserve inépuisable des images qui l'entourent.

Claude SIMON - Détail, Sans titre, années 1950-1960. Assemblage de papiers découpés et punaisés sur paravent à quatre panneaux, collection particulière © Tous droits réservés.

Ses œuvres, composées d'assemblages d'images punaisées sur paravent, présentent une structure dense et foisonnante dans laquelle la figure humaine se combine avec les représentations animales et végétales.

En visages, corps, féminins ou masculins, nues ou vêtues, ces multiples présences finement découpées s'agencent dans des scènes qui tissent tant de promiscuités qu'elles en deviennent presque bruyantes. Les compositions sont exubérantes et il s'en dégage une sensation de débordement qui n'est pas sans rappeler les "all over" américains contemporains de l'artiste.

Claude SIMON - Sans titre, années 1950-1960. Assemblage de papiers découpés et punaisés sur paravent à quatre panneaux, collection particulière © Tous droits réservés.

Systématiquement beaucoup d'objets de tailles différentes et toujours très ciselés forment un ensemble kaléidoscopique dépourvu de centre. Chaque détail est parfaitement lisible, si bien que l'on distingue aisément les innombrables figures choisies par l'artiste, entre merveilleux et prosaïque.

Sujets figuratifs du monde de l'art (issus des œuvres de A. Renoir, P. Picasso, P. Gaugin, L. da Vinci, V. van Gogh,...), icônes religieuses (vierges, jésus), figures d'actualité ou politiques (J. Hendrix, E. Guevara, J. Staline, ), personnages de cultures diverses (Inde, Afrique,...) côtoient des formes animales, parfois végétales dans une composition totalement maitrisée.

L'Œuvre plastique de C. Simon surprend par son dynamisme chromatique, sa densité graphique et l'aspect résolument figuratif de ses propositions.

Que racontent donc ces foules disparates aux proximités improbables ? L'œil arpente les détails de ces multiples récits, en quête d'un début, d'une fin, impossibles à trouver.

Claude Simon s'éteint en 2005 en laissant au monde en réponse à cette question du sens, sa vision de l'Histoire, éclatée et éclectique, résolument chamarrée et déconcertante.

Portrait de Claude Simon devant le paravent à 4 panneaux, Paris, 1983, photographie argentique couleur, collection particulière. © Tous droits réservés.

".... j'ai partagé mon pain avec des truands, ... j'ai voyagé un peu partout dans le monde ... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien » — sauf qu'il est."

Extrait du discours lors de la cérémonie de remise des prix Nobel à Stockholm, Claude Simon, 9 décembre 1985. Discours de Stockholm, Editions de Minuit, 1985.

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