Des villages qui se font seuls? Innovation et action publique à Arvieu L'expérience d'Arvieu (Aveyron)

Présenté comme un « village numérique » qui a réussi, Arvieu est pourtant une petite commune rurale de 800 habitants de l’Aveyron qui souffre d'une baisse démographique significative ainsi que d’un manque de services de proximité. Quel impact a le numérique sur les stratégies de développement du village? C’est ce qu’a cherché à comprendre Ornella Zaza et son équipe dans le carnet POPSU Territoires « Des villages qui se font seuls ? Innovation et action publique à Arvieu (Aveyron) ».

Ornella Zaza est maîtresse de conférences à l’université Côte d’Azur. Designer et docteure en aménagement et urbanisme, elle s’intéresse à la transformation des politiques, des systèmes de gouvernance et des modes de vie métropolitains et ruraux face à l’innovation sociale et numérique.

Alessia de Biase, professeure d’anthropologie urbaine à l’ENSA Paris-La Villette et directrice du laboratoire LAA-LAVUE UMR 7218 CNRS et César Gélvez Espinel, titulaire d’un doctorat de l’université de Grenoble-Alpes, ont également participé à l'enquête.

Ornella Zaza et son équipe ont mené une enquête de terrain entre 2019 et 2021, nourrie d’une vingtaine d’entretiens et de divers moments d’observation participante. En amont de l’enquête, un travail cartographique de données quantitatives et qualitatives a été effectué pour situer et comprendre Arvieu dans son contexte politique et territorial ainsi que pour rendre visibles les dynamiques sociospatiales relevées au fil de l’enquête.

Nous avons voulu enquêter sur les stratégies de développement local portées par des petites communes rurales autour du numérique et ses conséquences."

La première hypothèse de recherche était que les petites communes « bricolaient » les politiques publiques, comme elles le pouvaient, avec un manque de moyens économiques mais aussi d'ingénierie. La deuxième hypothèse suggérait que se concentrer exclusivement sur l'innovation numérique empêchait de percevoir les leviers sociaux et symboliques dans le développement du territoire. C’est pourquoi une enquête ethnographique a été menée.

Habitants d'Arvieu

Arvieu est un petit village classé en « zone de revitalisation rurale ». Situé à 30 km de Rodez, très reculé, il compte un nombre de plus en plus important de séniors. Les maisons, trop grandes, sont inadaptées aux profils des habitants : ménages de 2 personnes en moyenne, divorces en augmentation, célibataires de plus en plus nombreux… ce qui alimente la baisse démographique du village.

Nous avons choisi Arvieu car il y avait une couverture médiatique importante le décrivant comme un village qui avait réussi par le numérique malgré son déclin apparent. Cela nous a questionnés et nous avons souhaité aller voir sur place."

Cependant, la village profite, depuis plus d’un siècle d’une réputation de « village terre d’accueil » avec ses foires et ses fêtes de villages renommées. La création du lac de Pareloup et de ses plages, dans les années 1970, constitue un véritable tournant : le village, autrefois perçu comme rural et agricole, devient une destination touristique. Cette tradition d’accueil ne s’est pas émoussée avec le temps : les fêtes de villages traditionnelles côtoient des festivals plus contemporains portés par les nouveaux arrivants comme le festival Pueblo Latino dédié à la culture colombienne.

L’enclavement géographique d’Arvieu a été une opportunité : dès les années 1990, la municipalité cherche à trouver des solutions innovantes pour contrer la crise. En 1998, elle soutient activement l’arrivée de 4 jeunes aveyronnais qui souhaitent s’installer dans le département pour fonder une entreprise du numérique. Ils s’installent dans un ancien couvent. En échange, leur entreprise met à disposition la seule connexion internet du village. Cette installation est décrite par tous comme « l’élément déclencheur » permettant à tous les projets actuels de voir le jour et d'attirer de nouveaux habitants.

Le Jardin d’Arvieu, tiers-lieu où l’entreprise s’est installée, est le symbole de cette innovation par le numérique. Cet espace rassemble la médiathèque et sa cyberbase, une nouvelle salle de spectacle, une cuisine collective, des bureaux en location, un espace de coworking et d’autres salles partagées dans des bâtiments annexes.

Cette configuration témoigne du fait que les projets qui se montent à Arvieu sont en réalité de fruit d’une gouvernance partagée. Issus de la volonté de la municipalité, ils ont été rendus possibles grâce à des financements privés (notamment, ceux de l’entreprise du numérique) mais aussi grâce à un engagement associatif important des habitants.

Si cette gouvernance partagée est la raison pour laquelle tant de projets peuvent être menés à Arvieu, elle représente également un risque pour la pérennité des projets : financements privés incertains et fluctuants, main d’œuvre bénévole non assurée ou constante…

Il s’agit d’un territoire agricole, avec des habitants très réfractaires au numérique. Au début, le maire a été critiqué pour avoir soutenu un projet numérique. Le projet du tiers-lieu a été accompagné par un dispositif de participation citoyenne : le conseil villageois, qui a permis d’accompagner son acceptabilité dans la communauté villageoise."
Philippe Chabrand, ancien maire d'Arvieu

L'innovation est en effet rendue possible grâce à la sociabilité des acteurs impliqués. Les nombreuses fêtes de village permettent à la fois d’acquérir des savoir-faire nécessaires au montage de projets mais elles offrent aussi un espace de sociabilité permettant aux habitants de s’intégrer, de partager des conseils, des ressources et des savoir-faire locaux. Cette dynamique fonctionne par un effet « boule de neige » : plus il y a de fêtes, plus il y a des rencontres, qui permettent par la suite de créer d’autres projets. Tout est fait dans le village pour maintenir cette dynamique, notamment le tiers-lieu d’Arvieu qui est perçu par les personnes qui le fréquentent comme un espace qui permet de créer des liens.

Ornella Zaza et son équipe ont identifié 5 figures parmi les parties prenantes des projets :

  • Les facilitateurs : il s’agit des acteurs publics, dont l’action est fondamentale pour l’émergence des projets. Leur engagement permet aux projets de s’inscrire localement et influence les porteurs de projets à développer une certaine « responsabilité citoyenne ».
  • Les visionnaires : ce sont eux qui portent les projets. Souvent nés dans la région, ils sont partis étudier dans de grandes villes et souhaitent monter leur projet dans le territoire auxquels ils sont attachés. Ils portent des projets qui respectent le cadre rural et qui valorisent l’identité agricole de la commune. En apportant leurs compétences en ingénierie, ils deviennent des acteurs, certes incontournables, mais qui risquent de mettre le village dans un rapport de dépendance.
  • Les blancs-becs : ils ont un profil similaire aux visionnaires. Ils sont cependant plus attachés aux préoccupations environnementales et peuvent parfois déstabiliser le monde agricole. Arrivés nouvellement, leur intégration n’est pas évidente et nécessite du temps : ils doivent « faire leurs preuves »
  • Les connecteurs : ce sont le plus souvent des femmes, installées dans le village depuis longtemps. Elles ont tissé des liens importants avec les habitants et sont appréciées de la population. Si elles n’ont pas de capital économique ou technique ni de ressources politiques, leurs savoirs et savoir-faire sociaux sont indispensables à la réussite des projets.
  • Les bénévoles : incontournables pour plusieurs raisons : ils constituent une force vive gratuite, soutiennent les projets et mobilisent leurs expertises professionnelles.

L’une des principales conclusions de la recherche est, qu’avant d’être numérique, l’innovation est avant tout sociale, au sens où elle transforme l’organisation des groupes sociaux qui l’emploient. Le numérique semble passer au second plan au profit de la recherche d’une solidarité paysanne.

De plus, l’ensemble des récits autour d’Arvieu se concentrent sur le numérique et passent sous silence les autres politiques structurantes nécessaires au développement (habitat, transports, services à la personne, offre socioculturelle…). L’innovation numérique doit donc être pensée, non pas de manière sectorielle, mais de manière transversale.

Vous souhaitez en savoir plus sur l'innovation par le numérique à Arvieu, nous vous invitons à lire le carnet de territoires « Des villages qui se font seuls ? Innovation et action publique à Arvieu (Aveyron) » aux éditions Autrement, écrit sous la responsabilité scientifique d'Ornella Zaza dans le cadre du programme POPSU Territoires.

[ Textes : Pauline Manier ] - [ Crédits photos : Claire Jachymiak ]

POPSU territoires est un programme de recherche-action qui réunit des chercheurs, praticiens et élus afin d’enrichir les connaissances sur les petites villes et les ruralités. Le programme compte aujourd'hui 34 petites villes et autant de thématiques de recherches abordées sur l'ensemble du territoire français. Au cœur d'un système partenarial diversifié, le programme POPSU territoires piloté par l'Europe des projets architecturaux et urbains est porté avec le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le ministère de la Culture, le Plan urbanisme construction architecture et l'Agence nationale de la cohésion des territoires, notamment à travers le programme Petites Villes de demain.

Credits:

Ministère de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation et Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche