L'ascension de la Grande Sure La sentinelle du pays voironnais

Réalisée le 14 avril 2024

Sans transition, l'hiver laisse place à l'été dans le Sud-Est de la France. Et les Alpes ne sont pas épargnées, loin de là. Ce dimanche 14 avril 2024 on ne mesure pas moins de 32 degrés au plus chaud de la journée dans la cuvette grenobloise. On bat même des records de chaleur mensuels à Chamonix avec plus de 27 degrés à 1000m d'altitude. Cette puissante offensive estivale succède à un hiver médiocre en plaine et en moyenne montagne.

Bien que la haute montagne et les Alpes frontalières ont pu bénéficier d'un hiver humide, les Préalpes n'ont eu droit qu'à un interminable yo-yo douceur-fraicheur entre les mois de novembre et de mars. Cela a fortement impacté la nivosité dans les massifs que sont le Vercors, la Chartreuse ou encore les Bauges. Ainsi, alors qu'on mesure plus de 4m d'épaisseur de neige en plein coeur du Massif des Ecrins à 2900m d'altitude, seules les faces Nord des sommets des Préalpes ont des allures quelques peu hivernales. C'était sans compter les bouffées de chaleur venues du Sahara accompagnées de leur dose de sable et d'un puissant foehn qui ont envahis les Alpes à deux reprises début avril. On se retrouve donc avec des massifs préalpins quasi totalement dépourvus de neige en cette amorce du printemps.

On délaisse donc nos affaires d'hiver et on se prépare à gravir nos premiers sommets en mode été. Il est encore trop tôt pour partir arpenter les hautes cimes. On en profite donc pour redécouvrir les classiques de la région.

Aujourd'hui, c'est la Grande Sure qui est à l'honneur. Bien qu'elle ne fasse pas partie du très restreint club des 2000 de Chartreuse, la Grande Sure 1920m est un des principaux sommets du massif. Située à l'extrémité Sud-Ouest de la Chartreuse, elle surplombe, avec ces deux compères que sont les Rochers de Chalves et les Rochers de Lorzier, la Vallée de l'Isère et le Pays Voironnais.

Il existe une multitude de façon de se rendre sur sa cime. Le plus simple et le plus rapide étant de se rendre au Col de la Charmette. On peut également atteindre la Grande Sure depuis les hauteurs de Saint-Laurent du Pont et le versant Nord de la montagne. Nous concernant, on l'atteindra depuis sa face Ouest en démarrant près de la commune de la Sure-en-Chartreuse, au niveau du Parking des 3 Fontaines. Ces nombreux sentiers quadrillant la montagne nous permettant de réaliser un sympathique tour entre forêts, alpages et falaises.

Bien qu'il s'agisse d'un sommet majeur du Massif de la Chartreuse, le balisage en direction de la Grande Sure depuis les 3 Fontaines n'est pas très développé. On se contentera de ce vieux panneau en bois tout au début de notre randonnée. Ensuite, il faudra être attentif aux différentes bifurcations.

Après une bonne grimpette en sous-bois entre 800 et 1200m d'altitude, on commence à franchir quelques passages rocheux, sans grande difficulté. On passe ainsi sur la partie supérieure des Rochers de Pierre Taillée. Seules quelques furtives flèches vertes nous indiquent la marche à suivre. Il faut avoir l'oeil !

Au milieu de la forêt de Fayards. Un peu avant d'atteindre l'alpage de Jusson.

La transition est radicale : on passe d'une fôret dense à un immense alpage en dévers. A quelques mètres de la lisière de la forêt, on passe aux abords du petit Chalet de Jusson. Cette cabane non-gardée est accessible librement et comporte quelques couchages et une source un peu plus au Nord. Cet endroit peut se révéler intéressant au vu de son positionnement plein Ouest. Notamment pour la contemplation des couchers de soleil.

Le Chalet de Jusson surplombant l'agglomération de Voiron.

Au loin sur l'alpage, un troupeau de chamois broute paisiblement. Les mois hivernaux couplés à la saison de la chasse sont extrêmement périlleux pour eux. Ainsi, cette fonte rapide des neiges est une aubaine pour ces caprinés. Même si l'herbe est encore grillée par des mois de gel, les premières pousses sont une source de nourriture et d'énergie quasi infinie pour ces animaux sauvages.

Troupeau de chamois sur fond de Massif du Vercors.

Au niveau de l'alpage de Jusson, le sentier d'accès au sommet est invisible. On devine par moment quelques sentes mais pas de quoi nous aider à divaguer dans l'alpage. C'est donc à vue que l'on s'élève dans les gradins herbeux en direction du pied de la parois séparant l'alpage de la croix sommitale de la Grande Sure.

Les sommets du Vercors sont de plus en plus visibles : Moucherotte, Grande Moucherolle, Tête des Chaudières, Montagnette, Charande...
Au-dessus du versant Sud de l'alpage de Jusson, on surplombe la Combe des Veaux. On peut d'ailleurs accéder à l'alpage depuis ce vallon. Face à nous, la face Nord des Rochers de Lorzier 1838m est encore bien à l'ombre.

Voici la forteresse que nous allons devoir gravir. Semblant infranchissable à première vue, une cheminée permet d'accéder à la croix sommitale de la Grande Sure. Pour cela, il faut rejoindre le pied de la paroi, presque à niveau du sommet. Le début de la cheminée est marquée d'une stèle en hommage à une randonneuse. Ensuite, ce sont quelques traits jaunes qui aideront à évoluer entre les différents ressauts rocheux.

La pente devient importante. Au loin, l'avant-pays savoyard.

La cheminée de Jusson ne présente pas de difficultés majeures. On pose par moment les mains et l'inclinaison de la pente est certes importante mais le terrain n'est pas très accidenté. D'ailleurs, les chiens les plus agiles pourront eux aussi passés par ce goulet. Il faut cependant faire attention aux chutes de pierre qui peuvent survenir au passage d'un de nos confrères bipèdes ou des animaux sauvages. Cependant, par temps humides et sols enneigés, ce sentier peut se révéler très délicat voire dangereux.

Plongeon sur les Gorges de Crossey et l'extrémité Sud de la Plaine du Guiers.
Avec les contreforts Nord du Vercors, la Grande Sure marque la fin des Alpes. Elles laissent place aux plaines et aux collines : Vallée de l'Isère, Pays Voironnais, Plaine de Bièvre et Terres Froides.
La passage le plus délicat de cette cheminée correspond à ce petit mur de quelques mètres où les mains sont aussi utiles que les pieds. Mais pas de quoi nous effrayer, on se rapproche un peu plus du sommet.

Une fois sortis de la cheminée, une splendide vue s'offre à nous. Tout y passe : Bornes, Aravis, Bauges, Mont Blanc, Lauzière, Chartreuse, Vanoise, Belledonne, Grandes-Rousses, Ecrins, Taillefer, Dévoluy, Diois, Vercors entre autres. Après avoir contemplé les plaines tout au long de la montée, c'est un horizon de montagne qui nous fait face.

Au Sud, les derniers sommets de la Chartreuse cachent l'agglomération grenobloise. On retrouve ainsi La Pinéa, le Mont Saint-Eynard, le Mont Rachais, le Néron, les Rochers de Chalves et les Rochers de Lorzier.
Derrière Chamechaude, le point culminant de la Chartreuse, les hauts massifs alpins se distinguent par leurs cimes encore bien empêtrées dans la neige. Même si Belledonne prend la part belle du paysage, quelques sommets de renom émergent derrière cette muraille : Aiguilles d'Arves, Pic de l'Etendard, Pic Bayle, Meije ou encore Roche de la Muzelle.

On passe rapidement près de l'imposante croix et on s'exfiltre des foules sommitales pour rejoindre l'antécime située un peu plus au Nord.

Mais arrêtons-nous tout de même sur le sujet de la croix sommitale de la Grande Sure. Il ne nous a pas échappé qu'en montant par la cheminée de Jusson, nous avons croisé les débris d'une ancienne croix. S'est-elle effondrée ? L'orage a-t-il eu raison d'elle ? En réalité, les restes de cette croix jonchant les pentes Ouest de la Grande Sure sont le fruit d'une toute autre histoire.

Près de la sortie de la cheminée, on aperçoit les restes de l'ancienne croix de la Grande Sure, dans l'ombre.

L'histoire est un peu plus sombre et un peu plus pathétique que celle de l'orage et de l'éboulement. C'est ainsi qu'à l'été 2000, plusieurs sommets de la Chartreuse voient leur croix sommitale vandalisée. Celle de la Grande Sure est la première touchée. Ce sera aussi le cas du Grand et Petit Som ou encore de la Dent de Crolles. C'est pas moins d'une quinzaine de croix qui sera mis à terre par des hurluberlus au début des années 2000. Ils avaient l'habitude de s'attaquer aux croix lorsque les sommets étaient dans les nuages ou en plein milieu de la nuit. Sans vraiment savoir qui fut derrière ces actes de vandalisme - bande anti-religieuse ou simples abrutis ? - une association s'est créée localement en 2001 : l'association pour la sauvegarde des croix et des petits monuments de Chartreuse. Cette dernière s'est donnée comme mission la restauration et la conservation du patrimoine de la Chartreuse : stèles, oratoires, fontaines et bien entendu croix sommitales.

Aujourd'hui, les actes de vandalisme des croix sommitales sont plus rares, même s'ils existent toujours. A l'instar du vol de la croix du Pic Saint-Michel dans le Massif du Vercors en 2021.

On relie l'antécime par la crête la séparant du sommet de la Grande Sure.

Au sommet de cette butte, côtée 1866 sur les cartes IGN, nous sommes seuls. On fait face au sommet de la Grande Sure et on profite d'une vue à couper le souffle sur les Alpes du Nord. Bien que l'on soit au début du printemps, la chaleur est écrasante et il n'y a quasiment pas d'air malgré notre positionnement sur l'arête.

La Grande Sure 1920m et ses derniers névés.
Contrairement au fond de vallée de Saint-Pierre de Chartreuse, les alpages sont encore loin d'être verdoyants. Même la flore post-hivernale se fait timide.
Le contraste est saisissant entre le bas et le haut du domaine skiable de Saint-Pierre de Chartreuse.

Après avoir cassé la croûte, on se prépare à reprendre le fil de notre randonnée. Randonnée qui est loin d'être terminée. On met pied sur la voie normale de la Grande Sure qui vient du Col de la Charmette. On dégringole ainsi de 200m pour rejoindre le Col de la Sure.

Sur la droite de la photo, les alpages que nous allons traverser pour rejoindre le Col d'Hurtières.
Panorama sur le Vallon de la Sure.
Zoom sur l'alpage d'Hurtières et son petit refuge.
Le versant Nord du Col de la Sure. Par ce vallon, on peut atteindre la Grande Sure en démarrant de Saint-Laurent du Pont ou de la Chartreuse de Curière.

Au niveau du Col de la Sure, au lieu de grimper les quelques mètres plein Est jusqu'au Col de la Grande Vache et redescendre sur le Col de la Charmette, on oblique plein Sud en traversant en balcon les alpages d'Hurtières et ainsi retrouver le col éponyme près du Goulet de Lorzier, notre porte de sortie pour basculer sur le versant Ouest des montagnes du coin.

Un sentier plus court permet de basculer de l'autre côté en suivant le talweg du vallon et ainsi rejoindre le Pas de Miséricorde. Mais la vue et la diversité des paysages sont moins intéressants que la poursuite de la traversée des alpages en aval du Goulet d'Hurtières.

Depuis le Col de la Sure, on emprunte donc un sentier en balcons qui relie presque à niveau le Col d'Hurtières. L'occasion pour nous d'observer de loin les premières marmottes de l'année ainsi qu'une nouvelle horde de chamois paissant à l'écart du sentier.

Ils choisissent les coins les plus verdoyants, loin des sentiers que nous foulons.
Au-dessus des pentes enneigées, on observe le Col d'Hurtières. Pour le relier, un beau sentier part à la parallèle sous les falaises calcaires de gauche.
La Grande Sure s'impose encore dans le paysage. Sa face Est étant tout de même plus débonnaire que celle de l'Ouest.

On passe brièvement sous le Goulet d'Hurtières, sorte de pas permettant de basculer de l'autre côté des falaises et rejoindre le Col de la Charmette. Ce passage peu connu peut-être une belle alternative au Col de la Grande Vache. Même si ce sentier est un peu plus paumatoire en direction du Col de la Charmette.

On passe en amont du Refuge d'Hurtières. L'arête Nord des Rochers de Lorzier prend le relai de l'arête Sud de la Grande Sure.

Au Col d'Hurtières 1725m, la vue se dégage sur l'alpage séparant les Rochers de Lorzier des Rochers de Chalves. On se posera quelques instants sur la croupe du col afin d'observer les troupeaux d'animaux sauvages broutant tranquillement sous les crêtes de Lorzier et sur l'alpage des Bannettes. Si avec notre médiocre vue, nous pensions a priori à des chamois, l'observation aux jumelles nous a fait la surprise de découvrir qu'il s'agissait en réalité de mouflons.

En effet, bien que le Bouquetin ne soit pas présent sur les alpages Ouest du massif, ce dernier n'ayant que très peu migré en dehors de la Réserve des Hauts de Chartreuse depuis sa réintroduction en 2010, les chamois et les mouflons peuplent cette zone du massif. Réintroduit en 1967 en Chartreuse, le mouflon corse alterne entre les alpages du Charmant Som et ceux de la Grande Sure en fonction de la saison : été au Charmant Som, hiver à la Grande Sure. On compte aujourd'hui une centaine d'individus.

La Pinéa depuis les alpages du Col d'Hurtières.
La Grande Sure se métamorphose légèrement. Elle dévoile son esthétique arête Sud, qui peut d'ailleurs servir d'accès radical vers sa croix sommitale. Au centre, on devine le Refuge d'Hurtières et ses environs discrètement verdit.

Les alpages de Lorzier sont un peu plus pourvus en flore. Alors que de maigres crocus et quelques jonquilles ont été observés sur les pentes de la Grande Sure, les crocus sont en nombre près du Col d'Hurtières. Quelques pensées sauvages et soldanelles sont également de la partie.

La douceur des alpages va fortement contraster avec le versant Ouest des Rochers de Lorzier. En effet, bien que moins abrupt que la cheminée de Jusson, le Goulet de Lorzier a conservé son névé. Ne facilitant en rien la descente vers la Prairie de Charminelle. Lentement mais surement on dévale la dizaine de mètres la plus inclinée du goulet. La neige n'est heureusement pas gelée, on peut ainsi prendre le temps de planter nos pieds et d'assurer chacun de nos pas.

Au vu de son exposition et de son exiguïté, le Goulet de Lorzier peut conserver un névé en son centre jusque tard dans la saison et ce même malgré un hiver maigre en quantité de neige.

Puis on atterrit sur un beau sentier zigzagant dans les pentes Ouest des Rochers de Lorzier. Le sentier sera maintenant totalement dépourvu de neige et heureusement car ce site est ultra avalancheux. On descend ainsi tranquillement vers la Prairie de Charminelle que l'on observe à gauche.
La Grande Sure réapparait au fur et à mesure de notre descension.
La forêt clairsemée de Pins Cembro laisse place aux épicéas, aux sapins et aux feuillus sans feuilles.
Panorama des Rochers de Lorzier depuis la Prairie de Charminelle.

La suite et fin de la randonnée se fera globalement en forêt. On reliera la Prairie de Charminelle au Pas de Miséricorde par le sentier de Charminelle. Au fur et à mesure que l'on perd de l'altitude, la chaleur devient étouffante. On a du mal à se croire au début du printemps. Même le Rau de l'Hérétang qui coule entre l'arête Nord de Lorzier et l'arête Sud de la Grande Sure est déjà à sec . La progression en sous-bois est donc la bienvenue.

Dernier passage vertigineux de cette journée, le Pas de Miséricorde offre une vue spectaculaire sur ce cirque mi-forestier mi-rocheux. Il s'agit d'un sentier presque à niveau sur quelques centaines de mètres passant au coeur de la paroi. Bien que ce sentier soit interdit au vu des nombreux éboulements et accidents, ce passage est largement praticable par temps sec et par des personnes non sujettes au vertige. A la fin de celui-ci, on relie un belvédère agrémenté d'un banc appelant à quelques instants de contemplation avant de piquer vers le parking des 3 Fontaines.

Les Rochers du Lorzier, Charminelle et leur cirque depuis le belvédère.

Il ne nous reste plus que 300m de dénivelés négatifs pour atteindre la terminaison de la randonnée. On aura ainsi effectué un circuit original autour de la Grande Sure, ponctué de deux cheminées afin de pimenter cette expérience chartroussine. Cependant, ce sommet n'a pas révélé tous ces secrets. Sa rampe Ouest ainsi que son arche restent à découvrir lors de futures ascensions de la sentinelle du Voironnais.

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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :