Le (Rodez Social) Club, fabrique collective et citoyenne par Romain Bourceau & La FEDELIMA (Crédits photos : Jonathan Bayol, Céline Dubor, Bertrand Vayssette, Mathieu Lacout, Adeline Maurel et Balint)

Seule salle de concert de musiques actuelles sur le département de l’Aveyron, Le Club à Rodez montre qu’on peut - pardon, qu’on doit ! - exister sur sa région malgré l'attractivité des villes comme Toulouse ou Montpellier. Mieux que ça, la salle de concert a le chic pour proposer des pistes fort astucieuses pour créer l’adhésion des publics. C’est bien simple : à Rodez, Le Club est comme un vieux pote chez qui on passe entre deux courses. Et figurez-vous ceci : porté par cette insatiable envie de camaraderie, il participe activement à la résistance de son territoire face à l’isolement.

Si l’on suit la célèbre maxime de l’intellectuelle russe Emma Goldman "Si je ne peux pas danser, je ne veux pas de votre révolution”, alors Le Club est un sérieux candidat à la révolte joyeuse. A Rodez, on pourrait même ajouter “Si je ne peux pas venir à ton chantier participatif, soutenir tes prix libres, danser sans agent de sécurité, je ne veux pas de ta salle de concert”. Plongée dans ce qu’on appelle “l’esprit aveyronnais”, pour tenter de répondre à cette question : mais comment Le Club fait-il pour attirer autant de publics ?

Le Club : une salle née dehors

On pourrait croire que Le Club est né dans un bâtiment - un ancien cinéma en l'occurrence. Pas exactement. Le Club a fait ses armes dans tous les villages de l’Aveyron un peu curieux des musiques aventureuses. Avant Le Club, il y a une bande de Ruthénois·es obstiné·es, qui fait des navettes tous les week-ends au Bikini à Toulouse, puis qui revient pour organiser des concerts hors les murs. Bien avant Fred, son directeur, Julien, son régisseur général, et leurs comparses, Le Club est d’abord l’histoire d’un homme singulier : l’abbé Crozes, prêtre cinéphile un brin fripon, qui sillonnait autrefois les campagnes avec un cinéma mobile, un jour pour projeter des films, un autre pour diffuser, dit-on, quelques bobines plus légères (pornographiques, vous dites ?), de l’Aveyron jusque dans les Pyrénées. Missionnaire (sic) du 7e art, il rêvait de mettre le cinéma à portée de tous et toutes. En 1961, il fonde à Rodez sa propre salle, Le Club, dont les bureaux occupent encore aujourd’hui l’appartement qu’il habitait, avec ses vestiges de salles de bain des années 60. Le cinéma connaîtra des décennies prospères avant de décliner avec l’ouverture d’un multiplex en 2013. C’est la fin d’une époque : tout s’apprête à fermer à Rodez. Et le début d’une autre. C’est à ce moment qu’Oc’live, jeune association née en 2010, saisit l’opportunité : transformer ce cinéma désaffecté en salle de concert et en pôle de création.

Lorsque l’équipe d’Oc’live visite le bâtiment en 2013, elle découvre bien plus qu’un cinéma désaffecté : un morceau entier de l’histoire culturelle ruthénoise. Le guide de cette exploration (Bernard Verlaguet, une figure tutélaire du cinéma local), 78 ans, est le gérant infatigable des trois salles historiques de la ville : Le Royal, Le Family et Le Club. Alors qu’il s’apprête à fermer définitivement ces lieux pour lancer le nouveau multiplex, il déroule à Fred deux heures d’anecdotes qui révèlent un patrimoine oublié : l’ancien commissariat qui fut un splendide théâtre à l’italienne rasé depuis longtemps, Le Palace devenu Le Royal avant d’être découpé en appartements, d’autres salles disparues sans laisser de traces. En arpentant ces espaces vidés mais chargés d’histoires, Oc’live comprend qu’elle ne reprendrait pas seulement un bâtiment : elle hérite d’une mémoire collective, d’un pan de culture populaire que la ville s’apprêtait à perdre.

Après avoir bourlingué pendant des années et assis sa bonne réputation - forcément, ils ont déjà à leur actif l’organisation de concerts de Thomas Fersen, Manu Chao et IAM - Oc’live est en passe de toucher les cœurs des Ruthénois·es : son patrimoine immatériel, ses souvenirs d’enfance. Portant son projet de réhabilitation à bouts de bras, l’asso se tourne vers les entreprises locales... grâce à l'effet "boule de neige", le chantier sera réalisé avec zéro euro d’argent public. Un parfum de vitalité et de lien social flotte au-dessus de la ville.

Des chantiers participatifs au mécénat

Le Club n’est pas une salle ordinaire : il est la cristallisation d’une sociabilité d’abord nomade, puis collective, puis patrimoniale. Un lieu bâti non seulement pour la diffusion, mais pour être habité, bricolé, travaillé, questionné par celles et ceux qui le traversent. Un lieu qui, dès le départ, n’appartient pas à une équipe mais à tout un territoire. Seule face à une certaine adversité, l’équipe d’Oc’live lance en 2013 un chantier participatif qui vise à réhabiliter Le Club. Au départ, il ressemble à une opération minuscule : deux ou trois personnes qui démontent des sièges, un bénévole "qui vient de on ne sait où", et Fred qui se retrouve seul pendant les vacances de Noël à tenir le chantier.

Puis, presque imperceptiblement, ça enfle. Les copains et copines passent donner un coup de main, les parents aussi, puis des ami·es d’ami·es. En un mois, la dynamique change d’échelle : les éducateur·rices du Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile apprennent l’existence du chantier et des demandeur·euses d’asile souhaitent prêter main-forte. Un chaos organisé au cours duquel la communauté aveyronnaise désosse littéralement l'autre cinéma fermé de la ville pour rhabiller Le Club pour les prochains hivers : portes coupe-feu, toilettes, armements électriques… Ils se retrouvent alors certains jours à 20, issu·es de 15 nationalités différentes, à organiser ensemble ce grand démontage-reconstruction. Résultat : 200 personnes se mobilisent, 40 entreprises deviennent mécènes. Julien, chargé de la vie associative, raconte qu’un jour ils prennent "un après-midi pour monter un crowdfunding avec tous les paliers… qu’on a oublié de mettre en ligne" . Parce que le chantier happait tout, que personne n’avait le temps, ils zappent de cliquer. Et malgré ça… "ça l’a fait." Fred se souvient avec malice : "on a eu du mécénat de compétences : des électriciens qui viennent brancher les armoires pour le côté règlementaire, des archis, des acousticien·nes, notre comptable, notre notaire. Ouais notre notaire ! Ceux qui ont le moins aidé, ne sont pas les plus à plaindre, c"était les banques et les assurances." Le deuxième chantier, en 2016, est une autre affaire. L’équipe est mieux connue, le territoire a vu ce que Le Club savait produire, et surtout : les bénévoles ont déjà façonné le lieu une première fois. Là, les réunions d’entreprises précèdent les travaux, un club de mécènes se crée, et le mécénat est multiplié par trois. Un financement participatif (cette fois-ci posté en ligne !) rapporte 13 000 euros. Le chaos initial se transforme en mécanique coopérative.

Ce qui marque dans ces chantiers, c’est la manière dont Le Club a su faire avec. Avec les entreprises qui donnent du matériel - mais refusent parfois de donner de l’argent ("Je vous file des parpaings, mais vos trucs de saltimbanques, c’est non") ; avec les potes qui viennent poser du placo, avec les habitant·es qui s’attachent à un lieu "qu’ils ont fait avec leurs petites mains" dixit Julien, mais sans subventions. Un troisième chantier est d’ailleurs en ordre de marche pour le printemps 2026 : de quoi relancer la bougeotte des Aveyronnais·es dans une nouvelle aventure collective. Cette fois-ci avec l’aide des subventionneurs qui ont enfin réalisé l’ampleur du travail accompli. A vue de nez, les chantiers participatifs et le mécénat sont une première manifestation physique de l’adhésion massive des Ruthénois·es et alentours au projet du Club : deux vagues majeures, des centaines de bénévoles, des entreprises locales, du mécénat et une pratique artisanale de la solidarité.

Au Club, un accueil inconditionnel

Ce sont ces mêmes bénévoles qui, quelques années plus tard auront du mal à quitter le Conseil d’Administration. "Vous n’allez pas vous en sortir si on part", disent-iels aux fondateurs. "Mais cassez-vous !" leur répond l’équipe, mi-morte de rire, mi-sérieuse. Le Club ne pousse cependant personne. Julien, chargé de la vie associative, note : "On ne fait pas culpabiliser les gens. Tu viens quand tu veux, tu donnes ce que tu peux." Les bénévoles savent qu’ils peuvent disparaître trois mois et revenir sans gêne. L’engagement n’est clairement pas une dette. Ce mouvement permanent n’est pas un problème : il est même le b-a-ba de l’associatif. Même si le turn-over est bien moins fort qu’ailleurs.

Tu arrives, t’as la banane. Tu repars, t’as encore la banane.

Les soirs de concert, le public repère les mêmes figures, les bénévoles en t-shirts jaunes, les salarié·es, les "gens qui traînent toujours là" pour profiter de la programmation. Selon Bertrand, bénévole, tout ça tient dans le fait qu’il y a "une énergie qu'on peut retrouver dans certaines fêtes de village où il y a peut-être 100 habitants, mais 500 au comité des fêtes." Pour les habitué·es Cécile et Franck, "le concert de Femi Kuti en 2019" a scellé le jour comme celui où ils comprennent "que désormais on viendrait ensemble au Club." Bertrand, ancien bénévole, a hérité "d’un tatouage des Naïve New Beaters sur la fesse droite !" Marie-Julie, spectatrice, y a vu plusieurs fois Les Hurlements d'Léo. Emilie vibre encore de son concert de Pitt’Ocha "avec des jeunes que j'accompagne socialement". Elle se rappelle des "liens entre les jeunes et les autres bénévoles, le sourire de satisfaction d'un jeune après sa journée de montage du chapiteau, et enfin, le spectacle partagé avec ma famille, juste magique de poésie." Madeleine, 60 ans, se rappelle le concert de Tankus The Henge en 2023, y a découvert la cumbia et "préfère les premières parties intimistes au concert principal." Romain, bénévole, le formule avec justesse : "Tu arrives, t’as la banane. Tu repars, t’as encore la banane." Cette "banane", c’est le sentiment d’être considéré comme un pair. "Être bénévole ne se limite pas à servir des coups au bar." On peut faire la billetterie, l’accueil, la prévention, la déco, participer aux actions culturelles, enregistrer des émissions radio, ou même fabriquer un néon "SORTIE" avec un meuble de salle de bain, foi de Bertrand, bénévole.

C’est une salle où la frontière entre ceux qui travaillent, ceux qui aident, ceux qui regardent et ceux qui jouent se brouille volontairement. De fait, beaucoup ignorent qui est salarié·e, qui est bénévole, qui est juste venu "donner un coup de main", et même qui est de passage. Marion, responsable billetterie, raconte souvent que des habitué·es lui demandent si elle est bénévole. Pauline, chargée de l’action culturelle, rit de la même situation. Habituée des lieux, Madeleine a l'impression "de faire partie d'une famille réunie par la musique." En effet, Le Club publie des documents qu’aucune obligation ne lui impose. On affiche les photos des salariés et des bénévoles dans le couloir – un trombinoscope qu’il faut changer sans cesse, sous peine de vexer les oublié·es. On montre ce que chacun·e fait, comment, pourquoi. On partage les budgets, les missions, les actions. Cette transparence n’est pas une stratégie : c’est une manière de dire que Le Club n’appartient à personne… et donc à tout le monde. Au Club, on peut être public un jour, bénévole le lendemain, administrateur·rice l’année suivante. C’est presque un rite local. Personne n’est surpris qu’un·e bénévole devienne membre du CA. Ce mode horizontal ne rend pas tout simple. Le Conseil d’Administration peut s’éterniser sur des questions de gouvernance. Les sensibilités politiques ou personnelles se frottent, se confrontent et il faut rappeler que "être au CA ne donne pas tous les droits". Il est nécessaire parfois de lisser les angles, recadrer les sorties de route. Mais l’essentiel reste : tout le monde peut parler. Tout le monde peut proposer. Tout le monde peut faire.

Une sécurité gérée... par les bénévoles

Cette confiance irrigue même les endroits où ailleurs, on place des vigiles. Et oui, au Club, la sécurité est assumée par des bénévoles, regroupé·es dans ce que l’asso appelle désormais la Commission Prévention. A 19h presque pétantes, un membre de l’équipe permanente s’occupe du brief collectif. Aujourd’hui, Fred et Marion s’en chargent. Face à eux, des néo-bénévoles, et des ancien·nes qui vont faire des équipes de 2. On rappelle les prénoms, on se dispatche en binômes, on tourne, 30 minutes chacun·e à plusieurs endroits clés du Club : le fumoir, l’accueil, le fond de scène, l’avant-scène, etc. Romain, bénévole depuis un an et demi, commente : "Ce soir j'ai pu accompagner [un nouveau bénévole] Samuel, c’était cool, tu lui montres un peu les postes, en fait ça se fait super facilement mais parce que justement ils donnent cette confiance." L’équipe porte des t-shirts jaune moutarde reconnaissables, qui ne sont pas floqués SÉCU, "pas de rangers" blague Julien. Et donc, pas de posture autoritaire.

Julien raconte cette scène devenue emblématique : un soir, Pauline, chargée de l’action culturelle, tente de séparer deux types échauffés bien plus grands qu’elle. Elle se fait bousculer. Un des mecs la remarque. Immédiatement : "Ah pardon, t’es bénévole ici." Et la tension tombe. Là où un vigile aurait peut-être cristallisé l’hostilité, la figure du bénévole désamorce. Les équipes en binômes renforcent encore cet effet. C’est une présence visible, perçue comme bienveillante, une autre manière de tenir le lieu, par proximité. Ce système en binômes permet aussi quelque chose d’imprévu : les publics leur parlent. Un problème de son, un conflit, un malaise, une remarque, tout finit par remonter. Le lieu n’a pas besoin d’études de satisfaction : il dispose de dizaines de "capteurs humains" qui, soirée après soirée, font office de sismographes. Fred dit souvent que ces retours "filtrent tout seuls". Le Club n’a pas à courir après l’information : elle circule naturellement. Cette culture implique une vigilance quotidienne : comment on parle aux gens, comment on accueille, comment on transmet. Pauline le dit très clairement : le Club impose une exigence d’humanité. On veille. Et si c’était cette exigence-là, invisible mais permanente, qui constituait peut-être le véritable moteur de cette adhésion ?

Une grille tarifaire solidaire

Est-ce qu’une billetterie raconte quelque chose de fondamental de notre société ? Vous avez 4 heures. Il est de coutume, partout en France, dans les lieux culturels, d’appliquer la formule suivante (et si complexe) qui peut être résumée en "l’ère du justificatif humiliant" : des dizaines de tarifs, des CE/CSE, des cartes jeunes, des justificatifs à demander ( "Vous pouvez me montrer votre mail Pôle Emploi ?"). Marion, chargée de billetterie, confie sa gêne, de la honte parfois : "Tu sens que tu es en train de demander à quelqu’un de prouver qu’il galère." Mais en 2023 au Club, tout s’apprête à changer à l’occasion de la tenue du festival EXISTE!, coorganisé avec la compagnie de cirque Les Petites Natures. On propose à l’équipe du Club le tarif libre "encadré" : 10 € — 15 € — 20 €, au choix du public, sans justificatif. Le tarif étudiant·e et -18 ans reste à 6 €, mais pour le reste : plus de carte, plus de statut à prouver, plus de gêne, plus de contrôle. Marion tombe tout de suite amoureuse du dispositif : "Tout était clair. Tout était simple. Et surtout… tout le monde comprenait." Une clochette sonne quand quelqu’un prend un tarif haut pour soutenir l’organisation. Spectatrice de 60 ans, Madeleine rappelle qu’elle a "les moyens de payer 20€" et tant mieux si ça peut permettre "à des publics moins à l'aise financièrement (notamment les jeunes) de venir quand même à des concerts en payant un prix modique." De son côté, Marie-Julie prend "souvent le juste prix, pour pouvoir choisir selon ses propres convictions, envies, situations singulières (financières)." Une pédagogie joyeuse et théâtrale, qui désamorce l’économie traditionnelle en la ramenant du côté du jeu et de la confiance. On peut être précaire sans statut. On peut être confortable un mois et fragile le suivant. On peut aimer un artiste et vouloir aider la salle. Le choix est redevenu un acte intime, non plus un statut social.

quand tu donnes le choix aux gens, ils font un choix juste

Quelques mois plus tard, le 1er septembre 2023, Le Club abandonne sa billetterie classique. Dès la mise en place du tarif libre encadré, Le Club observe un phénomène inattendu : le public se régule de lui-même. Environ 70 % choisissent spontanément le "juste prix", 20 % le tarif mini, 10 % le coup de pouce — des proportions stables, en ligne comme au guichet. Pour Marion, la conclusion est limpide : "quand tu donnes le choix aux gens, ils font un choix juste". Là où l’on pourrait craindre la triche ou la perte financière, Le Club découvre qu’une économie fondée sur la confiance fonctionne mieux qu’un modèle fondé sur le contrôle. Le prix moyen grimpe même de 11 € à 12,80 €, preuve que l’équité peut être plus efficace que la segmentation. Les premières semaines, la billetterie devient un véritable espace de pédagogie. Marion répète inlassablement, parfois à l’ensemble de la file : "Vous choisissez le tarif qui vous correspond. Sans jugement." Beaucoup sont touché·es et presque gêné·es : "Je vais pas vous mettre dans la merde ? " Le Club répond simplement : non. Certain·es s’excusent de prendre le tarif mini ; d’autres optent pour le juste prix par réflexe moral. Même pour le jeune public, la logique est assumée : les enfants (à travers leurs parents) paient eux aussi un tarif libre, parce qu’un spectacle a une valeur, et que la compréhension de cette valeur s’apprend. Mettre en place une billetterie solidaire dans une SMAC est tout sauf anodin. Ce choix évoque davantage les lieux autogérés que les structures labellisées. Au Club, il devient un acte politique : prouver qu’une institution peut fonctionner sur la confiance, l’autonomie et l’auto-régulation plutôt que sur la suspicion. Un geste simple, mais qui, sur un territoire traversé par les replis identitaires, constitue peut-être une forme concrète de résistance sociale ?

De l'utopie locale à la SMAC : une légitimité gagnée par la preuve

En parlant de l’obtention du label SMAC (en 2022), elle n’a rien eu d’une formalité dans l’histoire du Club : c’est même l’un des chapitres les plus tendus du projet. Le Club a beau exister, programmer, accueillir du public, expérimenter, il est dur d'être considéré comme un acteur légitime auprès de certaines institutions. Le climat politique local - un département isolé à droite dans une ancienne région Midi-Pyrénées largement à gauche - pèse aussi lourdement. Jusqu'au jour où, à force de preuve et avec l’extension de la région Occitanie, les collectivités découvrent concrètement le lieu. En quelques semaines, les lignes budgétaires jusque-là inaccessibles s’ouvrent. Cette reconnaissance institutionnelle tardive prépare le terrain d’un tournant décisif : la labellisation SMAC. Au départ, l’équipe est farouchement opposée à ce qu’elle perçoit comme une possible normalisation (Fred - le directeur - en tête). La peur de perdre son indépendance, son énergie, son esprit de débrouille. Mais le contexte évolue : la fusion régionale redessine les équilibres et les partenaires publics eux-mêmes encouragent Le Club à déposer le dossier. Une année et demie de discussions internes plus tard, l’équipe se convainc que le label ne viendra pas corseter le projet, mais renforcer ce qu’il est déjà. Le dossier est déposé, le label est obtenu rapidement, et l’équipe s’étoffe : Pauline à l’action culturelle, Marion à la billetterie. Le Club devient SMAC sans cesser d’être… Le Club.

De la récup à l'énergie politique

Pour Fred, "l’esprit aveyronnais" se résume à une forme de prudence économique souvent caricaturée en avarice. Cette réputation - "entretenue par les voisin·es toulousain·es" (Not All Toulousain·es) ou que l’on associe caricaturalement aux Auvergnat·es - repose surtout sur une culture de la gestion rigoureuse : "un sou est un sou". Cette attitude a permis au Club de survivre et de se développer. L’esprit aveyronnais consiste donc à optimiser chaque ressource, à toujours chercher comment obtenir les choses (par récup, mécénat ou achat raisonné) sans jamais gaspiller. Rien n’a été non plus pensé "pour résister", "pour faire barrage", "pour contrer l’extrême droite". Pourtant, c’est exactement ce qui se produit. Non pas par les discours, mais par les pratiques. Dans un territoire où les replis prospèrent quand les lieux d’expérience commune disparaissent, Le Club crée des circulations entre les mondes. Madeleine est certaine que Le Club "permet la création de liens humains, ce qui n'est pas rien par les temps qui courent." La résistance n’est pas une posture : c’est une conséquence organique de la manière d’habiter le lieu. La force du Club ne tient pas dans des grandes déclarations, mais dans une accumulation de petits gestes. Cette somme de micro-actes finit par transformer en profondeur le territoire. Elle montre qu’un modèle culturel solidaire, horizontal, bricolé mais vivant, peut fonctionner. C’est une résistance lente, discrète, mais durable, qui fabrique des habitudes d’entraide. Le but n’est pas de fabriquer du public, mais de fabriquer des habitant·es du lieu. Et Le Club fait déjà des petits : on le voit jusque dans la création de la Coopération d’Utilisation de Matériels Artistiques et Culturels (CUMAC), née d’une poignée de structures (dont le Club) à destination d'autres événements du territoire. En deux ans, elle est devenue un réseau de 47 adhérents, et sa forme inspire partout en France. Alors, le modèle du Club n’est peut-être pas duplicable au sens strict : il dépend d’une équipe, d’une histoire, d’un territoire, d’une manière d’improviser collective qui ne s’écrit pas dans un cahier des charges. Mais il est transmissible. Certains plaisantins l’appelleraient même le Social Club.