35 ans d’engagement pour un accueil digne et humain
L’année 2024 a marqué les 35 ans d’existence de l’Accueil des personnes en Demande d’Asile par la Croix-Rouge de Belgique, qui a pour mission de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les souffrances et de faire respecter la personne humaine¹. Depuis plus de trois décennies, la Croix-Rouge, en tant qu’auxiliaire de l’État, est mandatée pour accueillir les personnes qui demandent la protection internationale à notre pays le temps que leur demande soit analysée par les instances compétentes. En effet, chaque année, au gré notamment des conflits, de violences ciblées, de déplacements de populations, de nombreuses personnes n’entrevoient pour leur sécurité et leur avenir d’autre choix que de tout quitter, prendre la route de l’exil souvent très périlleuse et de demander la protection dans un nouveau pays pour envisager un futur plus sûr et se reconstruire.
En 2024, 39.615 personnes ont introduit une demande de protection internationale en Belgique (soit une hausse de presque 12 % par rapport à l’année précédente). La Croix-Rouge de Belgique a accueilli 15.665 de ces personnes en demande de protection, de 111 nationalités différentes, et parmi lesquelles on comptait 3.290 enfants. Au-delà des chiffres, ce sont surtout des parcours de vie, l’histoire d’Amadou ou de Djaka que la Croix-Rouge écoute, accompagne et oriente. 1.448 membres salariés et plus de 700 volontaires se sont mobilisés pour leur fournir un accueil digne et humain chaque jour et chaque nuit.
Cette année 2024 a été marquée par le début du déploiement de la nouvelle stratégie du département Accueil des personnes en Demande d’Asile (ADA) mettant en priorité le soutien aux équipes, le renforcement du déploiement de l’accompagnement individuel, l’amélioration de l’agilité du réseau, le soutien aux actions de plaidoyer, le focus sur l’hygiène et la propreté et enfin l’amélioration d’outils notamment de gestion.
Nous restons inquiets, mais toujours motivés à relayer, soutenir, analyser, informer sur la situation des personnes sans accès aux dispositifs légaux d’accueil. 2024 a connu pour la troisième année un manque de places impliquant le séjour en rue de milliers d’hommes isolés, les fragilisant durablement.
Ce rapport d’activités met en lumière quelques réalisations de 2024, au service d’un accueil respectueux, centré sur l’humain, et fidèle aux principes de la Croix-Rouge de Belgique tels que l’humanité et la solidarité.
L’accompagnement individuel et pluridisciplinaire au cœur de notre approche
L’accompagnement individuel
Cela fait plusieurs années que la Croix-Rouge a développé un modèle d’accompagnement centré sur la qualité de la relation et l’humanité de l’accueil. Ce modèle, c’est l’accompagnement individuel. En résumé, cela se traduit par la désignation d’une personne de référence au sein de l’équipe (autrement dit, un accompagnateur individuel ou une accompagnatrice individuelle) pour chaque personne résidant dans un centre d’accueil. L’objectif est, pour chaque personne accueillie, de prendre le temps de créer du lien, d’être attentif au temps présent, de susciter des moments positifs. C’est donc individualiser l’accueil, ce qui est essentiel dans des centres collectifs comptant jusqu’à 750 personnes. L’accompagnateur ou accompagnatrice encourage la résilience par une approche basée sur l’hospitalité, la confiance et la bienveillance, mais favorise également l’autonomie.
Ce modèle d’accompagnement a été mis en place dans tous les centres, a évolué et s’est enrichi au fil des années. En 2024, un travail de centralisation et de formalisation des pratiques a été réalisé : il s’agit du socle commun. De quoi permettre aux équipes, sur le terrain, d’avoir l’ensemble des outils et ressources pour déployer ce type d’accompagnement le plus simplement possible et s’assurer que chaque personne résidant dans nos centres bénéficie de cette approche.
Les rencontres pluridisciplinaires
Initiées par des centres comme Barvaux et Hotton, les rencontres pluridisciplinaires se sont généralisées dans les autres centres et démontrent leur plus-value tant pour les résidents et résidentes que pour les équipes d’accompagnement.
L’accompagnement pluridisciplinaire est mobilisé pour aider une personne accueillie à surmonter une situation critique ou l’accompagner dans le développement d’un projet de vie. Lorsqu’un membre de l’équipe détecte qu’un résident ou une résidente du centre pourrait avoir besoin de ce type d’accompagnement, il lui en parle, explique le cadre avant de réunir plusieurs collègues – des différents services du centre – pour réaliser un plan d’accompagnement sur mesure. C’est une prise en charge holistique, qui implique les différents professionnels qui entourent la personne accompagnée. Celle-ci participe, si elle le souhaite et en fonction du besoin, à certaines de ces réunions.
Un service de médiation pour favoriser le vivre-ensemble
Pour faciliter les échanges, la compréhension mutuelle et favoriser le vivre-ensemble, la Croix-Rouge a déployé en 2024 son nouveau service de médiation initié en 2023. Ce service est destiné en priorité aux résidents des centres d’accueil âgés de 17 ans et demi à 21 ans.
Les médiatrices et médiateurs interculturels peuvent ainsi intervenir dans des situations spécifiques pour expliquer les représentations, normes et valeurs de chacun, et peuvent également assurer un service d’interprétariat. Ils proposent aussi, à la demande des centres et selon les besoins qu’ils identifient, divers ateliers : citoyenneté, prévention incendie, sécurité routière, soins de santé… Certains médiateurs mettent également sur pied des activités sportives, par exemple, qui permettent de fluidifier les échanges entre les uns et les autres et d’apaiser ou prévenir les tensions.
Les médiateurs instaurent une confiance avec les jeunes résidents et s’efforcent d’être proactifs dans leurs propositions afin d’anticiper d’éventuelles difficultés.
Cette démarche favorise une cohabitation et une communication plus fluide entre personnes de cultures diverses, tout en facilitant leur intégration à la vie du centre, et plus largement, à la société belge. L’ensemble des équipes d’accompagnement s’accorde à reconnaitre l’efficacité de ce service.
Des projets favorisant l’autonomie des résidents et résidentes
Des cuisines autonomes pour se (ré)approprier ses repas
La Croix-Rouge déploie un modèle d’accompagnement axé sur l’autonomie et l’inclusion des demandeurs et demandeuses d’asile de ses centres d’accueil. Cette autonomie passe notamment par le fait de pouvoir cuisiner de manière indépendante et selon ses propres goûts. Raison pour laquelle les cuisines autonomes sont progressivement étendues. En 2024, quatre chantiers ont été entamés afin de permettre aux centres de Jette, Eupen, Rendeux et Uccle de faire bénéficier d’une telle infrastructure aux personnes qu’ils accueillent, qui ne se voient plus un menu imposé chaque jour comme auparavant. Près de trois quarts de nos centres d’accueil sont désormais équipés de cuisines autonomes, permettant notamment aux parents de retrouver la possibilité de cuisiner pour les enfants.
Des nouvelles haltes-accueil pour donner un peu de temps aux parents
Les haltes-accueil, ce sont ces « espaces crèches » au sein des centres d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile. Les parents peuvent ainsi confier leurs enfants âgés de 3 mois à 2 ans et demi en toute tranquillité le temps d’une formation, pour pouvoir travailler ou, plus simplement, pour prendre du temps pour soi. Les haltes-accueil sont tenues par des résidentes (mais aussi quelques résidents) et des volontaires ayant suivi une formation spécifique d’accueillante dispensée par notre service de formation Hello Belgium. Les résidentes effectuent ce travail sous forme de service communautaire*. Le projet bénéficie d’un partenariat avec l’ONE et des documents de référence sont proposés aux centres qui mettent en place un tel espace. Les haltes-accueil ouvrent du lundi au vendredi durant la journée. C’est un système d’accueil pour tout-petits où les parents inscrivent leur enfant spécifiquement pour chaque journée d’accueil souhaitée. Une dizaine d’enfants peuvent être accueillis simultanément : le nombre maximum d’enfants étant défini par l’espace disponible (cela fait partie de la convention avec l’ONE).
En 2024, les centres de Hotton et de Nonceveux ont inauguré leur halte-accueil pour offrir un espace adapté aux tout-petits, portant ainsi à 11 le nombre de centres de la Croix-Rouge ayant ce dispositif. Quatre autres centres envisagent d’ouvrir une halte-accueil prochainement.
Un réseau d’accueil agile
En 2024, la Croix-Rouge s’est efforcée de rendre son réseau d’accueil toujours plus flexible pour répondre au mieux à l’évolution des profils des demandeurs et demandeuses d’asile arrivant en Belgique.
Ainsi, face à la diminution du nombre d’arrivées de MeNA (mineur(e)s étranger(e)s non accompagné(e)s, c’est-à-dire les jeunes qui arrivent ici seul(e)s sans parent ni tuteur ou tutrice à leurs côtés), près de 100 places dédiées à ce public spécifique ont été converties en places pour des familles dans différents centres. Nous avons accueilli en 2024, 406 MeNA dans nos centres, contre 683 en 2023 (soit une diminution de 41 %).
Le réseau d’accueil de la Croix-Rouge comptait, fin 2024, 8.919 places conventionnées. C’est près de 340 places de plus que l’année précédente. Cela a été permis par l’ouverture d’un nouveau centre d’accueil à Ixelles au mois d’août, permettant ainsi d’héberger et d’accompagner jusqu’à 360 personnes.
Trois lieux d’accueil temporaire ont par ailleurs été mis sur pied au cours de l’année 2024 : un centre de vacances proche du centre de Rendeux a accueilli 24 personnes en famille durant quelques mois d’hiver, une ancienne auberge de jeunesse de Schaarbeek a été utilisée comme centre d’accueil pour demandeurs et demandeuses de protection internationale durant les mois où il n’était pas utilisé comme centre d’accueil inconditionnel pour personnes sans-abri et, enfin, un dispositif d’accueil d’urgence (NoodOpvangCentrum) – c’est-à-dire avec un accompagnement plus limité que dans les autres centres – de 83 places a été mis en place dans un hôtel bruxellois à Jette.
Quel que soit le modèle d’accueil proposé, qu’il soit temporaire ou plus pérenne, avec un accompagnement développé ou restreint, les équipes s’efforcent toujours de répondre aux besoins des personnes qu’elles accueillent avec humanité.
Un focus sur la propreté
Dans toute collectivité, la propreté et l’hygiène des lieux sont des enjeux importants. Les centres d’accueil n’échappent pas à la règle, c’est pourquoi une attention toute particulière est portée à cette question.
La mobilisation des équipes et des résidents est constante pour maintenir un environnement sain et propre malgré la sobriété des lieux et la forte concentration de personnes. Les outils à leur disposition sont de plus constamment revus et ajustés. Ainsi, en 2024, les équipes des centres ont eu accès à une nouvelle formation sur le sujet via un « serious game » intitulé « Mission propreté ». Les objectifs : être bien outillées pour accompagner les résidents et résidentes des centres qui effectuent des services communautaires liés à cette thématique et pour repérer ce qui n’est pas en ordre lors des visites des chambres. Les procédures de gestion des nuisibles ont par ailleurs été complétées et approfondies pour agir rapidement et efficacement en cas de détection de nuisibles.
De nombreuses actions pour mettre en lumière les personnes que nous accueillons
Des actions de sensibilisation sur les festivals de l’été
Les équipes du département Accueil des personnes en Demande d’Asile, en collaboration avec d’autres services de la Croix-Rouge de Belgique (la Croix-Rouge Jeunesse, le service Éducation à la Citoyenneté Mondiale et Droit International Humanitaire ainsi que le Service Francophone du Sang), ont organisé des stands de sensibilisation sur plusieurs festivals lors de la saison estivale. Des festivalières et festivaliers d’Esperanzah, LaSemo ou encore des Solidarités ont été sensibilisés aux thématiques de l’accueil et de la migration, au droit international humanitaire, au don de sang ainsi qu’aux questions d’interculturalité et de santé mentale des personnes vulnérables. Plus de 2.700 personnes de tous âges ont été touchées par ces thématiques. L’objectif était d’interpeller un public qui ne connait pas nécessairement les questions d’asile et de migration et, pourquoi pas, lui donner envie de découvrir et de s’investir auprès des centres proches de chez soi.
Une invitation à casser les préjugés sur les personnes en demande d’asile
Le centre de Barvaux a proposé à ses visiteurs et visiteuses de venir « casser les préjugés » lors de sa journée portes ouvertes. La sensibilisation sur le thème des préjugés se faisait en deux parties : tout d’abord, un parcours immersif lors duquel on pouvait écouter le parcours d’un homme, d’une femme et d’enfants hébergés au centre. C’était une façon de comprendre qui sont les personnes qui y vivent. La seconde partie était une exposition photo de membres de l’équipe d’accompagnement et de personnes accueillies au centre. Chaque personne photographiée tenait une pancarte avec un préjugé et, en légende, déconstruisait ce préjugé racontant une partie de son histoire ou son ressenti. Une expo photo qui avait servi aussi, en amont de l’évènement, de campagne de communication sur les réseaux sociaux. Résultat : environ 200 personnes se sont rendues à cette journée pour découvrir le centre, rencontrer ses habitants et habitants, mais aussi profiter d’un moment festif.
L’engagement de la Croix-Rouge dans la diplomatie humanitaire
Au cours de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne au premier semestre de l’année 2024, la Croix-Rouge (Croix-Rouge de Belgique francophone, Rode Kruis Vlaanderen et le Bureau européen de la Croix-Rouge) a saisi l’occasion de contribuer à l’élaboration de l’agenda de l’Union européenne et de renforcer les relations avec les décideurs. Nos efforts de diplomatie humanitaire se sont concentrés sur des thèmes liés à l’asile et à la migration, à la santé, à l’aide humanitaire, au droit international humanitaire et à l’inclusion sociale.
C’est dans ce cadre qu’une visite et un moment d’échange ont été organisés avec des diplomates européens au centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Rocourt. Les diplomates ont pu découvrir l’expertise et les couleurs de l’accompagnement de la Croix-Rouge, à savoir :
- Un accueil adapté aux besoins spécifiques, garantissant sécurité et sérénité ;
- un accueil adapté aux besoins spécifiques, garantissant sécurité et sérénité ;
- le rôle des équipes de la Croix-Rouge dans la procédure d’asile ;
- l’inclusion sociale ;
- l’accueil et l’accompagnement des MeNA.
Nos actions de diplomatie humanitaire et le rayonnement de notre mandat d’auxiliaire des pouvoirs publics se sont par ailleurs déclinés mois par mois, dans des formats et interventions variés (notamment diverses rencontres avec la secrétaire d’État à l’asile et la migration), mais toujours avec le même objectif : plaider pour la protection des personnes vulnérables, le respect des droits et de la dignité humaine.
Une attention portée au soutien des équipes
Pour bien accueillir les demandeurs et demandeuses de protection internationale, il est essentiel de soutenir les équipes qui les accompagnent au quotidien – tant les personnes salariées que les volontaires. Plusieurs projets entamés en 2024 vont dans ce sens. On peut ainsi parler du travail d’analyse de la charge administrative au sein des centres en vue, évidemment, de la réduire et de la simplifier autant que possible.
Dans le même ordre d’idée, les services support et appui du département mettent régulièrement au point de nouveaux outils : cette année 2024 aura permis la mise au point du projet du dossier médical informatisé. Un soutien précieux dans la pratique quotidienne des infirmières, des infirmiers et des aides administratives médicales des centres d’accueil, et, de ce fait, une amélioration de la prise en charge médicale des bénéficiaires.
Un autre travail important visant à améliorer le bien-être des équipes et à faciliter leur travail quotidien a été entamé en 2024 : une révision en profondeur du modèle organisationnel des équipes des centres. Ce travail de longue haleine s’inspire des bonnes pratiques que certaines équipes ont déjà mises en place et veille à consulter toutes les parties prenantes afin de proposer un nouveau modèle qui soit au plus près des besoins et de la réalité de chaque collaborateur et collaboratrice.
Des collaborations et actions transversales
Au sein de la Croix-Rouge de Belgique, les collaborations se sont renforcées entre plusieurs départements autour des publics migrants.
À Bruxelles, un même site a ainsi été piloté tantôt par le département Réseau pour l’accueil inconditionnel de personnes sans-abri, tantôt pour l’accueil de personnes en demande de protection internationale via le département ADA. Ces deux départements ont par ailleurs partagé leurs pratiques d’accompagnement médical, mais aussi plaidé d’une même voix auprès de leurs interlocuteurs privilégiés respectifs pour promouvoir le respect de la dignité et des droits en toutes circonstances, indépendamment de la situation administrative des bénéficiaires.
L’Unité Migration, qui rassemble des acteurs de plusieurs départements de la Croix-Rouge de Belgique, a également revu son mode de fonctionnement pour apporter une réponse toujours plus professionnelle et transversale aux besoins des personnes migrantes.
Nous avons par ailleurs systématisé nos échanges avec la Rode Kruis Vlaanderen et rédigé plusieurs notes de positionnement communes – notamment dans le cadre de l’implémentation du Pacte européen sur la migration et l’asile.
Enfin, le Bureau européen de la Croix-Rouge, qui représente les sociétés nationales (autrement dit « les Croix-Rouge ») européennes, nous a formés aux enjeux de diplomatie humanitaire et nous a permis d’augmenter encore nos liens et échanges avec d’autres sociétés nationales. Citons particulièrement la Croix-Rouge française et la Croix-Rouge luxembourgeoise, avec lesquelles nous partageons régulièrement nos pratiques.
Crédits :
Rédaction : © Louisa Constant Mise en page : © Chloé Grade