La démocratie participative rurale : quand les citoyens redynamisent leur village L’exemple de Volonne (04)

Commune d’environ 1 600 habitants située dans les Alpes-de-Haute-Provence, Volonne a connu, dans les années 2000, un essoufflement démographique et économique avec la fermeture de nombreux commerces de proximité et de plusieurs services publics. Cette situation a conduit la municipalité à s’inscrire dans la démarche Ecoquartier, impliquant la participation des citoyens. Depuis, les initiatives menées par les habitants se multiplient.

Dans un contexte de plus en plus marqué par la crise de la démocratie représentative, pourquoi les citoyens de Volonne s’impliquent ? Quelles relations entretiennent-ils avec la municipalité ? Quelles sont les limites de cette participation ? C’est ce qu’ont cherché à comprendre Séverine Bonnin-Oliveira et Émeline Hatt dans le carnet POPSU Territoires « Un village participatif ? Les initiatives citoyennes : un défi pour l’action publique à Volonne (Alpes-de-Haute-Provence) ».

Séverine Bonnin-Oliveira est maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix-Marseille Université. Ses recherches interrogent l’articulation entre évolution des modes d’habiter, mutations territoriales et institutionnelles et définition des politiques publiques, notamment en matière de planification et d’habitat.

Émeline Hatt est maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme à Aix-Marseille Université. Ses recherches portent sur la transition écologique des territoires, les politiques publiques d’aménagement touristique, la planification et les projets d’aménagement en montagne et sur le littoral.

Leur travail de recherche a été mené entre janvier 2021 et février 2022 en quatre temps :

  • Identification des initiatives citoyennes grâce à une observation de terrain, un travail de documentation et des entretiens menés par des étudiants.
  • Organisation de trois ateliers participatifs : le premier pour identifier les freins, les besoins et les outils nécessaires à la participation, le deuxième pour restituer un benchmark des pratiques d’autres communes et le dernier pour coconstruire un « Livret de la participation citoyenne », conçu comme un guide à l'accompagnement des initiatives citoyennes.
  • Diffusion d’un questionnaire permettant de mesurer la participation citoyenne.
  • Rédaction et publication du Livret

Une participation citoyenne en faveur de la transition écologique et sociale

Pour faire face à la perte de dynamisme du village, l’équipe municipale a saisi l’opportunité de l’installation d’une maison de santé sur le territoire intercommunal, en 2014, pour redynamiser Volonne. Les élus ont inscrit ce projet dans la démarche nationale Ecoquartier qui favorise l’engagement en faveur de la transition écologique et sociale. Cela a fortement mobilisé les citoyens autour d’un système de valeurs communes telles que la protection de la nature, des modes de production et de consommation plus durables et l’importance du lien social et du vivre ensemble.

Il y a eu une vraie dynamique avec la mise en place de l’Ecoquartier. La municipalité a fait preuve d’une écoute active. Elle a fait participer la population grâce à plus d’une cinquantaine de temps d’échange sous la forme de réunions publiques ou d’ateliers restreints. Il y avait une vraie volonté de dialogue, très appréciée par les habitants. »

Séverine Bonnin-Oliveira et Émeline Hatt

Les porteurs de projet

Un foisonnement de projets

Les initiatives citoyennes se sont alors multipliées sur des sujets très divers : street-art sur des postes de transformation EDF, balisage et aménagement d’un parcours de l’eau, ouverture d’une Gratuiterie et d’une Fabriquerie, montage d’une centrale photovoltaïque citoyenne, déploiement de boîtes à livres, Fête du Tricot, Repair Café, Jardin partagé, Poulailler collectif… En tout, 16 projets ont vu le jour en moins de 10 ans.

D’abord initiés au sein de l’Ecoquartier, ces projets ont peu à peu été déployés dans les autres parties de la commune. Les chercheuses parlent alors d’ « essaimage », le déploiement isolé de chaque initiative finit par produire de la complémentarité et du lien sur le territoire.

Différentes formes d’engagement

La recherche a montré qu’il existait différentes formes d’engagement :

  • L’engagement ponctuel autour d’un projet : l’engagement est court et passager, la cause de la mobilisation est plus importante que l’affiliation à un groupe (ex : nettoyage d’un chemin rural, boîtes à livres, confection de masques pendant la crise sanitaire).
  • Le modèle du collectif d’habitants : l’engagement s’inscrit dans la durée avec une mobilisation collective de long terme et nécessitant une organisation plus forte. Sans existence juridique, le groupe est auto-géré et peu structuré et l’engagement est réversible. A Volonne, le Poulailler collectif et la Gratuiterie rentrent dans cette catégorie
  • La structure de l’association : l’engagement est plus important avec un rapport plus fort à la structure, symbolisé par l’adhésion. L’association permet également de se rapprocher des collectivités territoriales et partenaires afin d’avoir davantage de moyens administratifs, financiers, réglementaires, logistiques… C’est le cas par exemple de l'association La Vieille Pierre volonnaise. Cependant, cette forme d’engagement peut être fragilisée par des démarches et une technicité de plus en plus lourdes.

Des rapports divers à l’action publique

Trois configurations ont été observées dans le rapport entre l’action publique et les initiatives citoyennes :

  • l'impulsion par la collectivité de projets poursuivis par les citoyens : la municipalité impulse un projet qui est ensuite géré par les citoyens (ex : centrale photovoltaïque sur le toit de l’école, le projet de street-art)
  • l’accompagnement : il s’agit du cas le plus fréquent à Volonne. Reposant sur le principe du gagnant-gagnant, la prise d’initiative est encouragée et accompagnée par la municipalité. Ainsi, la commune a, par exemple, accompagné le lancement de la Gratuiterie souhaitée par un collectif de citoyens en mettant à disposition un local et en fournissant du matériel.
  • le rattrapage : la municipalité intervient a posteriori sur un projet déjà lancé pour remédier à des problèmes de droit ou de sécurité. On peut citer, entre autres, le cas d’un projet de végétalisation débordant du cadre de l’habitat privé, ce qui a conduit la municipalité à créer un permis de végétaliser.

Les limites

La recherche identifie plusieurs limites à cette participation citoyenne :

Une coordination des acteurs complexe. Les difficultés de coordination se rencontrent à plusieurs niveaux :

  • au sein de la collectivité : la répartition des tâches liées à l'accompagnement de ces initiatives citoyennes peut parfois s'avérer complexe entre les élus et les agents techniques municipaux.
  • entre la collectivité et les porteurs de projets : on constate un décalage entre les temporalités de l'administration et celle des citoyens, ce qui peut entraîner des frustrations.
  • entre les porteurs eux-mêmes : avec l’augmentation des projets, il devient nécessaire de mutualiser les calendriers, les besoins et les moyens.

Une participation qui s’essouffle : un nombre réduit de citoyens impliqués dans les projets, un manque de relais de la part des autres citoyens et des tensions entre les porteurs de projets. L’exemple le plus parlant de ce manque d’engagement : seule une habitante a participé au dernier atelier ouvert à tous, malgré une campagne d’affichage dans le village, un message sur le site internet et l’envoi d’un mail à toutes les associations.

Un manque d’outils :

  • Le « bricolage » des premiers projets semble avoir atteint ses limites et des outils concrets sont désormais indispensables. Deux dispositifs ont été identifiés : l’agenda partagé et la création d’une maison citoyenne.
  • Aussi, une mise en récit de l’engagement citoyen semble nécessaire pour lever la défiance, susciter l’adhésion et répondre au besoin de reconnaissance. C’est l’un des objectifs du Livret de la participation citoyenne.
  • De plus, comme beaucoup de villages, Volonne a un besoin d'ingénierie. La commune a la chance de bénéficier d’un poste de chargé de mission Village nature et Environnement. Il s’agit d'un Volontariat territorial en administration (VTA), soutenu financièrement par l'Etat pour accompagner les villages dans la réalisation de leurs projets. Cependant, la pérennité de ce poste ne peut être assurée.
Les limites n’étaient pas là où on les attendait. On s’attendait à des freins financiers mais la mairie ou le collectif parviennent à trouver les ressources financières nécessaires à la réalisation du projet. »

Séverine Bonnin-Oliveira et Émeline Hatt

La recherche confirme ainsi le rôle clé que peut jouer l’engagement citoyen dans la transition socioécologique en contexte rural. A Volonne, le soutien politique fort a permis à un noyau de citoyens partageant ces valeurs de développer des expériences participatives avancées.

Le contexte rural, par sa taille démographique réduite, une proximité avec les élus et des circuits administratifs plus courts, facilite la capacité à faire ensemble. Cependant, la faiblesse des moyens, le manque d’ingénierie, l’ancrage des routines professionnelles et l’absence de relais habitants peuvent constituer un frein à la coconstruction d’une transition socioécologique pérenne.

La participation peut être facilitée mais elle ne se décrète pas, il ne faudrait pas tomber dans l’injonction à participer. De plus, cette coconstruction entre citoyens et action publique n’efface pas les besoins en ingénierie. »

Séverine Bonnin-Oliveira

Nous avons voulu mettre en évidence les nouveaux modes d’articulation entre l’action publique et les initiatives citoyennes qui se sont nourries mutuellement. »

Émeline Hatt

Vous souhaitez en savoir plus sur l'exemple de Volonne, nous vous invitons à lire le carnet de territoires « Un village participatif ? Les initiatives citoyennes : un défi pour l’action publique à Volonne (Alpes-de-Haute-Provence) » aux éditions Autrement, par Séverine Bonnin-Oliveira et Émeline Hatt dans le cadre du programme POPSU Territoires.

[ Textes : Pauline Manier ] - [ Crédits photos : Paul Lemaire ]

POPSU territoires est un programme de recherche-action qui réunit des chercheurs, praticiens et élus afin d’enrichir les connaissances sur les petites villes et les ruralités. Le programme compte aujourd'hui 51 petites villes et autant de thématiques de recherches abordées sur l'ensemble du territoire français. Au cœur d'un système partenarial diversifié, le programme POPSU Territoires piloté par l'Europe des projets architecturaux et urbains est porté avec le Ministère de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation et le Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, le ministère de la Culture, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, à travers le programme Petites Villes de demain notamment, et la Banque des Territoires.

Crédits :

Ministère de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation et Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche