Réalisée le 13-14 janvier 2024
La neige recouvre désormais la totalité des Alpes en cette mi-janvier. Même les plaines et les basses vallées ne sont pas exclues de cette offensive hivernale d'ampleur. La saison du ski et des raquettes est bel et bien lancée. Alors que les stations de sport d'hiver deviennent les centres névralgiques des activités humaines dans les Alpes françaises : les cols routiers, les petits hameaux d'altitude, les alpages et les fonds de vallées excentrés deviennent quant à eux inaccessibles par voie motorisée.
Le temps de quelques semaines hivernales, ces lieux retrouvent leur quiétude et leur caractère sauvage. Seuls plusieurs kilomètres à pied ou à ski depuis les vallées urbanisées permettront au randonneur et au skieur de bénéficier de cette fraiche mais réconfortante tranquillité. Le Massif du Queyras n'est pas mis à l'écart de ce mouvement. Au contraire, bien moins doté en stations de sport d'hiver intégrée, ce massif a vu se fermer son unique col routier - le Col d'Izoard - et ses fonds de vallées se voient déserter par les touristes. Le GR58 disparait sous d'épaisses couches de neige, les alpages sont délaissés par le bétail et même la vie sauvage part se réfugier à des altitudes moins extrêmes. Bref, le Queyras devient blanc et silencieux en attendant le printemps.
La Vallée de la Cerveyrette est un cas d'école. En période estivale, une route grimpe jusqu'au fin fond de la vallée depuis le village de Cervières pour tâter les premières pentes des 3000 du coin. Mais lors des premières chutes de neige, la route ferme et se transforme en une longue piste de ski de fond traversant divers hameaux et alpages. La vallée retrouve ainsi sa tranquillité, voire même son intérêt.
La Vallée de la Cerveyrette est le départ de nombreuses randonnées : Crêtes de Dormillouses, Col du Malrif, Grand Glaiza, Col de Péas, Lac des Cordes et le GR58 y effectue une halte au niveau du hameau des Fonts de Cervières. Hameau qui, comme son nom l'indique, constitue le dernier patelin de la vallée. Dans la petite dizaine de maisons qui compose les Fonts de Cervières on y trouve un refuge. En cette période hivernale, une annexe de ce dernier est ouverte et sert d'abri aux aventuriers du moment. Le Refuge des Fonts de Cervières nous servira ainsi de premier intermédiaire pour ce week end dans le Queyras.
Il n'y a pas mille solutions pour atteindre les Fonts de Cervières. Si l'on se situe du côté de Briançon, il faut se rendre dans le village de Cervières, perché au pied du Col d'Izoard à un peu plus de 1600m d'altitude. On remontera à pied la Vallée de la Cerveyrette depuis ce village. C'est la dernière vallée française avant l'Italie.
Jour 1 : De Cervières au Col de Péas.
Le froid pétrifie les fonds de vallées. On démarre du village même de Cervières sous des températures largement négatives. Heureusement, on s'échauffe rapidement sur la piste de ski de fond qui relie Cervières et les Fonts. Ce n'est pas moins de 11km qui nous attendent sur cette première partie de la journée.
Le calme au départ de ce village contraste avec l'histoire de ce dernier. Petit village pastoral au début du XXème siècle, ce village a été le témoin d'atrocités pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, il fut incendié et rasé par l'armée allemande lors de la libération du Briançonnais entre août et septembre 1944. L'armée allemande jeta des bombes incendiaires depuis les crêtes surplombant le village détruisant ainsi 90% de ce petit hameau fait de maisons en bois et de fourrages.
Autre époque, autre contexte. Un projet de station de ski émerge durant les années 1960 dans cette zone en accord avec le Plan Neige décidé sous la présidence de Charles de Gaulle. Le but de ce plan ? Investir dans les Alpes françaises pour la création de domaines skiables et ainsi augmenter l'attractivité des montagnes françaises pour le moment excentrées du reste du territoire. Le projet de SuperCervières va vite se confronter à l'hostilité des riverains et des agriculteurs du coin. En 1977, après l'opposition non seulement des habitants mais également de leurs élus locaux, le projet est abandonné et seuls la randonnée et le ski de fond seront les moteurs de l'attractivité de la Vallée de la Cerveyrette.
En quelques instants de marche, on passe le verrou de la vallée et on débouche sur une vaste plaine. Au milieu des alpages, quelques hameaux dispatchés par-ci par-là trônent sur le versant Ouest des montagnes. Au-dessus de la plaine, vers le Sud, on aperçoit les larges Crêtes de Dormillouse qui marquent la frontière entre la France et l'Italie.
On poursuit par la traversée du Marais du Bourget. Il s'agit d'un des plus grands ensembles tourbeux du Briançonnais. Seul résidu des glaciers d'antan, cette zone humide a un rôle extrêmement important pour la vallée. Elle permet la rétention des eaux de crue et abritent également quelques espèces emblématiques comme la Cordulie Arctique.
Une fois la traversée du Marais du Bourget terminée, on poursuit, sous le soleil cette fois-ci, sur la piste menant aux Fonts de Cervières. On aborde encore de nombreux petits hameaux typiquement queyrassins.
Sur les coups des 11h environ, on atteint les Fonts de Cervières et leur refuge. Malgré un bâtiment imposant, le refuge d'hiver n'est composé que de neuf couchages. On en profite pour se délaisser de quelques affaires et réserver nos places. L'accès à ce refuge se fait aisément. Il est donc probable que d'autres randonneurs et skieurs s'y rendent durant la journée.
A partir des Fonts de Cervières, trois choix s'offrent à nous : nous rendre en direction du Col du Malrif et du Grand Glaiza, partir arpenter les alpages du Lac des Cordes ou monter jusqu'au Col de Péas. A la base, c'était l'ascension du Grand Glaiza qui était prévue. Mais l'absence de traces dans la vallée menant au Col du Malrif et la longueur de l'itinéraire entre les Fonts de Cervières et le sommet nous ont conduit à éliminer cette option. D'autant plus que les journées sont courtes ces temps-ci.
On se rabat ainsi sur la vallée menant au Col de Péas et au Lac des Cordes. On fera notre choix durant la montée en fonction du terrain et de l'état du manteau neigeux. On suit donc dans un premier temps les traces de skieurs et l'on remonte toujours le torrent de la Cerveyrette.
Rapidement, le seigneur des lieux apparait au-dessus de nous : le Pic de Rochebrune 3320m. Il s'agit du point culminant du Massif du Queyras. Mais dans l'imaginaire collectif il se fait souvent voler la vedette par les Pics de la Font Sancte 3395m. Cette confusion provient de l'établissement du Parc Naturel Régional du Queyras qui englobe non seulement le Massif du Queyras mais également le Massif d'Escreins. Tout deux séparés l'un l'autre par la Vallée du Guil. Or, géologiquement parlant, le Pic de Rochebrune est le toit du Queyras et les Pics de la Font Sancte ceux du Massif d'Escreins.
Après avoir rétabli l'honneur du Pic de Rochebrune, on poursuit vers le Ravin des Chalmettes, lieu où le GR58 se divise entre son itinéraire classique le menant au Col de Péas et sa variante se dirigeant vers le Lac des Cordes.
En arrivant au Ravin des Chalmettes, on choisit de se rendre en direction du Col de Péas. La présence de traces de skieurs nous rassurent sur la stabilité du manteau neigeux. La vue n'en sera d'ailleurs que meilleure vers le Sud une fois au col.
Pour amplifier le panorama, on décide de grimper sur l'arête du Sommet du Grand Vallon. L'arête est large, peu abrupte et le soleil est encore haut dans le ciel.
On stoppe notre course sur une antécime du Sommet du Grand Vallon, un peu au-dessus des 2700m d'altitude. On se pose brièvement sur l'arête pour contempler le panorama à la fois sur les Alpes du Sud mais aussi sur les Alpes du Nord. Brièvement oui, car les picotements du vent du Nord se font de plus en plus intenses.
Le soleil débute son inexorable chute vers le Sud-Ouest. Il emporte avec lui le peu de chaleur qu'il créait sur les versants Sud des massifs alpins. On amorce donc notre retour sur les Fonts de Cervières en reprenant à l'identique le sentier de l'ascension.
Les Fonts de Cervières sont déjà plongés dans l'obscurité et le froid depuis plusieurs heures. Ils deviennent le carrefour des randonneurs et des skieurs affluant des différentes vallées. Le petit refuge d'hiver se voit envahi par les bipèdes en quête d'un peu de chaleur.
Nous ne serons pas moins de 14 à essayer de trouver refuge dans l'abri d'hiver des Fonts de Cervières. D'où l'intérêt de passer assez tôt pour y réserver sa place. En se serrant, 11 d'entre nous auront un lit pour la nuit, les autres se contenteront du sol.
Jour 2 : L'ascension du Pic de Terre Noire et la traversée des Crêtes de Dormillouse.
Doucement, le jour se lève au-dessus du Massif du Queyras. Le froid est encore piquant et contraste avec les premières lueurs chaudes envahissant le ciel des Fonts de Cervières.
Après ce spectacle céleste, on se lance à l'assaut de l'objectif du jour : le Pic de Terre Noire. La veille, l'analyse du terrain en montant au Col de Péas et celle des cartes topographiques le soir, on permit de savoir comment atteindre ce sommet surplombant de plus de 1000m les Fonts de Cervières.
Nous emprunterons en réalité le sentier estival pour relier l'arête. Sentier est à prendre avec des pincettes car même en été, aucune trace officielle n'est présente sur le terrain comme sur les cartes. Les pentes ne sont pas très abruptes. Il s'agit globalement de gradins herbeux sur une bonne partie de l'ascension. De plus, sur ce versant de la montagne, les quantités de neige sont moindres qu'en face Nord.
Les traces de skis observées lors de l'ascension de la veille sur cette partie de la montagne annulent quasi totalement le risque d'avalanches sur ce versant.
A 8h45, on se met donc en marche, raquettes aux pieds, en direction du Col du Malrif dans un premier temps. On longe ainsi le Torrent de Pierre Rouge.
Après quelques dizaines de mètres dans le vallon, on décide de piquer directement dans les pentes, vers l'Est. On tente ainsi de rejoindre la Bergerie de Terre Noire, quelque part perdue sous les Crêtes de Dormillouse. Par moment les raquettes sont inutiles tant l'inclinaison de la pente est forte mais aussi en raison de la faible quantité de neige. En effet, les inversions de températures ont dégarni les versants les moins pourvus en or blanc et les arêtes les plus soufflées par le vent.
Au niveau de la Bergerie de Terre Noire perchée à plus de 2600m d'altitude, on aperçoit enfin l'arête que nous visons. A droite, il s'agit de la Cime de Chabrières suivie au centre droit par notre objectif du jour : le Pic de Terre Noire.
Pour atteindre ce sommet, nous gravirons l'arête dégarnie du Mont Viradantour pile en face de notre position. Contrairement au sentier estival, qui lui, se situe sur la ligne de crêtes enneigées tout à gauche. D'ailleurs, plusieurs cairns sont positionnés sur cette dernière.
Raquettes à la main, on poursuit vers le Mont Viradantour. Le Pic de Terre Noire se distingue de plus en plus des autres monts des environs.
Bien que l'on ait atteint le Mont Viradantour, l'ascension n'est pas terminée. Il faut encore longer l'arête jusqu'au Pic de Terre Noire. Contrairement aux skieurs qui traversent en balcon sur le versant français, on opte pour suivre le fil de l'arête en reliant les différents chaos de pierres qui jalonnent cette dernière.
Au bout de 5h d'ascension, on atteint le Pic de Terre Noire 3100m. Quelques nuages d'altitude nous accompagnent au sommet sans gâcher toutefois la beauté du panorama qui nous entoure.
On ne perd pas trop de temps au sommet car les nuages, même s'ils sont élevés, se font de plus en plus nombreux. On reprend donc l'arête pour retrouver le Mont Viradantour. De là, on continuera sur les Crêtes de Dormillouse à la recherche d'une des cabanes les plus atypiques de la région.
Du côté Nord de la Cime de Dormillouse 2908m, un des plus célèbres bivouacs italiens : le Bivacco Matteo Corradini perché à 2872m. Ce bivouac a été installé près de la frontière franco-italienne en 2019. Financé par la famille de Matteo Corradini, un alpiniste mortellement tué en montagne, sa coque totalement noire et ses deux baies vitrées permettent d'absorber au maximum la chaleur émise par le soleil.
Il peut accueillir jusqu'à six personnes mais du fait de son attractivité un système de réservation a été mis en place. N'ayant connaissance de ce besoin préalable de réservation, le Bivacco Corradini semble complet selon le site internet. Or, à l'heure où nous l'atteignons, personne n'est sur les lieux. Ce qui nous fait d'autant plus hésiter sur le fait de rester dormir ou non dans ce petit palace d'altitude. Mais après quelques minutes de réflexion, on se décide à ne pas tenter de rester, d'autant plus que la météo du lendemain n'est pas réjouissante. On profite quand même de cette solitude pour immortaliser l'ouvrage.
Les nuages se font de plus en plus envahissant au-dessus du Bivacco Corradini. On se hâte à partir pour éviter le jour blanc sur le restant des arêtes. Surtout que la luminosité commence à diminuer et que l'on est très loin d'avoir terminé cette journée de randonnée. On quitte ainsi le bivouac surplombant le Valle di Thuras et les environs de Sestrières pour reprendre le fil de l'arête et la frontière franco-italienne.
Les Crêtes de Dormillouse se terminent normalement au niveau du Col de Chabaud 2213m. Mais au vu de l'heure avancée, on décide de couper directement dans les pentes suivant le Ravin de Jouan à la côte 2600. Ce court-circuit nous permettra d'atteindre plus rapidement le hameau du Bourget.
Une fois au Hameau du Bourget et son marais, les nuages se dissipent en partie et l'heure bleue prend place sur le Massif du Queyras. Et alors que la Lune prend la place du soleil dans le ciel, la nuit tombe peu à peu sur la vallée. Encore 4-5km globalement à plat pour rejoindre le village de Cervières.
On termine cette randonnée de deux jours dans le Queyras à la frontale, accompagnés par la pénombre, le froid et la Lune illuminant la neige des massifs alpins.
Ce n'est pas la première fois que nous foulons le sol et les pentes de la Vallée de la Cerveyrette. Mais il s'agit bien notre première hivernale dans la région. Les hurlements de la bise et le crépitement de la neige sous nos pas remplacent les bruits des véhicules motorisés présents dans la vallée l'été. En bref, on redécouvre véritablement ce petit bout de France, aux confins des Hautes-Alpes.
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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :