"Vingt ans après, on espère que quelqu’un sait quelque chose” : les proches de Céline Lafargue témoignent

Qu’est-il arrivé à Céline Lafargue ? Les battues, les fouilles, les interrogatoires et huit ans d’enquête n’ont rien donné. Pas un bout de tissu retrouvé. Vingt ans après, la disparition de la Saint-Pierraise de 37 ans reste inexpliquée. Ses proches, qui pensent à un accident, cherchent toujours des réponses. Sa fille, sa sœur, un de ses frères et des amies ont accepté de témoigner. Dans l’espoir que des langues se délient.

Elle était toujours belle Céline, toujours coquette, c’était un peu énervant”, sourit Lolita. Dans ses mains, une photo de sa grande sœur habillée d’une longue robe de soirée en satin rouge, chic. Sa sœur, de cinq ans son aînée, aussi brune qu’elle est blonde, elle en parle avec admiration. “Même en tenue de combat, comme elle disait, c’est-à-dire pour faire de la peinture ou du bricolage, elle était belle.” Et puis “elle savait tout faire.

"Elle était très manuelle, elle s’intéressait et puis elle voulait faire par elle-même, elle était très indépendante."

Lolita

Bricoler, “même de la mécanique s’il fallait”. Coudre, des vêtements, des parures de lit, des déguisements, des décors, “même à partir de rien”. Cuisiner, “de bons petits plats”, ajoute Sandie, la fille unique de Céline, leur goût en mémoire. “Ça manque.

Céline Lafargue et sa fille, Sandie.

Sandie a 38 ans. Un an de plus que sa maman le jour de sa disparition, le 20 novembre 2005. Sandie était alors étudiante à Gap, inscrite en bac sciences et technologies du management et de la gestion. “Je visais un DUT.” Céline, secrétaire médicale à la Caisse de prévoyance sociale, devait la rejoindre pour les fêtes. À plus long terme, elle envisageait une formation et pourquoi pas de s’installer dans l’Hexagone.

Le 21 novembre 2005, Céline Lafargue ne vient pas travailler

Mais le 21 novembre, alors qu’elle est décrite comme une employée modèle, Céline Lafargue ne prend pas son poste. “Parmi ses qualités, elle avait celle d’être ponctuelle, on ne voyait pas pourquoi elle n’était pas arrivée à son heure habituelle”, témoigne Sonia Lefevre, une de ses collègues. Le “binôme” de Céline “n’arrivait pas à la joindre par téléphone, il s’est inquiété, il en a parlé à la direction et il est allé voir chez elle.” Personne.

“On ne se connaissait qu’au travail mais on avait de bonnes relations. Elle était toujours d'humeur égale, très sociable, joyeuse, impliquée dans son travail, aidante. C'était vraiment une collègue appréciée.”

Sonia Lefevre

La veille, elle aurait été vue en train de se promener, route de l’ancien aéroport, route du Cap et en ville. Ses papiers, son téléphone, sa valise “toute neuve”, tout est resté chez elle. Un appel à témoins et une enquête pour flagrance sont lancés le soir-même.

La disparition, sa fille l'apprend "deux ou trois jours plus tard"

Mais Sandie l’apprend “deux ou trois jours plus tard”. À l’époque, les téléphones ne sont pas connectés à Internet, il n’y a pas de réseaux sociaux, pas d’information en continue. Ses proches n’ont pas voulu l’inquiéter trop tôt. “Je n’ai pas voulu y croire, j’ai pensé qu’on voulait me faire une très mauvaise blague”, raconte Sandie. À Saint-Pierre-et-Miquelon, où la délinquance est quasi inexistante, les gens ne se volatilisent pas comme ça.

"Je n’ai pas voulu y croire, j’ai pensé qu’on voulait me faire une très mauvaise blague."

Sandie

Même début décembre, quand son père vient la chercher, alors qu’une information judiciaire a été ouverte pour disparition inquiétante, elle choisit de n’emporter qu’une petite valise. “Dans une semaine, elle sera là”, Sandie en est persuadée. Elle a un billet retour 15 jours après. “Je suis jamais repartie.” Ses études, elle ne les a jamais reprises, comme paralysée. “Tu t’es coupée de toute la famille, tu veux plus voir personne”, pose Lolita.

C'est trop dur, même avec les amis de maman. On va prendre un coup de thé ensemble, ça va me faire du bien. Mais après, je vais être mal pendant deux jours”, explique Sandie. Elle n’ouvre plus la porte de sa maison, celle où elle a grandi, “la maison du bonheur”, où il y avait si souvent du monde.

"'C’est ta sœur, elle a disparu.' Là, tu fais répéter parce que tu comprends pas."

Chez Lolita, qui s’était brouillée avec Céline quelques mois plus tôt, “pour des bêtises”, le 21 novembre 2005, “le monde s'arrête. Moi, j'ai pas pris ça pour une blague du tout. Je l'ai pris comme une claque qui t’achève”. Elle s’apprêtait à coucher sa fille de 2 ans quand son père l’a appelée. “C’est ta sœur, elle a disparu, elle s'est pas présentée au travail et sa voiture est restée garée au Francoforum puis personne ne la retrouve."

Céline, pour sa communion, avec Lolita.

Là, tu fais répéter déjà, parce que tu comprends pas ce qu'il dit”, poursuit-elle. Son plus grand frère, Mimi, vient la récupérer. “On a longé les côtes pour voir si on voyait Céline, je sais pas, tombée quelque part. On s’est dit qu’elle s’était peut-être tordue une cheville, que personne n’avait vu et que la marée était passée.” Ils cherchent “pendant des heures et des heures. Et puis, tous les jours, on est parti ensemble, pareil. Pendant peut-être dix jours.” Y compris “à la montagne, même si c’était pas son terrain préféré”.

Céline avec ses frères, Michel et John, sa soeur Lolita et leur maman.

Des battues, les gendarmes, les sapeurs-pompiers, des chasseurs avec leurs chiens et des volontaires en mènent aussi. “Un certain nombre de salariés de la caisse se sont mobilisés le jour-même. Après, les sapeurs-pompiers ont centralisé, ils attribuaient des zones”, se souvient Sonia Lefevre. L’aéroclub et le club nautique sont mis à contribution. Mais rien. Pas même un bout de tissu.

Une disparition volontaire ou un suicide, ses proches l'écartent

La disparition volontaire ou le suicide semblent aujourd’hui encore impossibles à Sandie et Lolita. “Elle avait trop de projets pour partir comme ça, sans prévenir personne, ça ne lui ressemble pas”, conviennent-elles. Sonia, elle, “se rappelle encore très bien de son au revoir du vendredi soir. Elle est passée devant mon bureau, elle chantonnait, sifflait, comme à l'habitude. Elle était très gaie. (...) Tout la tirait vers le haut, pas vers le bas.

Sonia Lefevre, une collègue de Céline, avec une recette que lui avait offerte Céline et qu'elle a précieusement gardée.

Je suis prête à mettre mes deux mains dans le feu, je sais qu’elle ne s’est pas suicidée”, insiste Anne-Marie Disnard, une très bonne copine de Céline. Les deux femmes se sont rencontrées “sur un chemin, à Langlade. On a discuté et puis on s’est retrouvé pour un café, c’est comme ça que notre amitié est née. Elle portait la petite dans son dos”, se remémore-t-elle.

Quand on avait un problème, elle ou moi, on s'appelait, on n’avait pas besoin de dire qu'on avait un problème, on le savait”, explique Anne-Marie, installée à Miquelon depuis près de trente ans.

Anne-Marie Disnard a gardé des photos et toutes les lettres et cartes envoyées par Céline qu'elle considérait un peu comme sa fille.

Céline se serait confiée si quelque chose n’allait pas : elles s'étaient vues quelques jours avant la disparition. “Elle était heureuse, elle était joyeuse, on a passé un bon moment ensemble.” Et puis “c’était quelqu’un de prudent, elle ne faisait pas n’importe quoi”, ajoute Anne-Marie.

Elle considérait Céline comme sa fille. “Elle me manque énormément, tous les jours. C’était quelqu’un de très important pour moi. Ça fait vingt ans et quand je regarde sa photo, je me mets à pleurer. Elle me manque”, répète-t-elle. Devant cette photo, presque tous les matins, elle lui demande : “Céline, dis-moi où tu es ?

Elle aurait au moins laissé une lettre à Sandie, “la prunelle de ses yeux”. “C’était une maman poule”, confirme Lolita en couvrant Sandie du regard.

Oui, ça pouvait lui arriver d’avoir “des coups de mou, comme tout le monde, on a perdu notre mère jeune”, admet Lolita. Mais “elle avait trop envie de vivre”.

"Elle était déterminée, fonceuse, drôle. Elle vivait la vie à pleines dents."

Elle la voit en train de danser, “avec sa façon à elle”, un peu mécanique, “c’était drôle”. De marcher le long de la mer, “toujours avec ses écouteurs”. De rouler, la musique à fond. De rire. Ou de “sortir les griffes”, pour se défendre ou défendre quelqu’un, “ça la dérangeait pas de se battre”, se souvient Lolita. “Elle était très indépendante, Céline. Personne ne la tenait”, poursuit-elle. “C’était une boule d’énergie.” Toujours entourée d’amis “de tous âges”, même petite.

Céline, au fond, lors d'une soirée avec les copines.
"Elle a toujours été là pour moi et c’est bien peu dire, sans jamais attendre un retour. Elle savait écouter avec son cœur. Elle me manque tant."

John

Céline et John, son petit frère.

Si quelqu’un avait besoin d’aide, elle réfléchissait pas, elle y allait.” Prête à dégainer un des “pouvoirs” que Sandie lui prête, celui de “redonner le sourire”.

"Elle faisait toujours en sorte qu'on retrouve le sourire."

La petite cousine a le cafard ? “Elle nous a conduit sur la route en terre en dessous du cimetière, où il n’y avait personne. Elle s’amusait à accélérer d’un coup sec jusqu’à ce qu’on éclate de rire. Et elle s’arrêtait plus”, se souvient Sandie. Elle oubliera jamais “le bruit du dragon” pour la réconforter. Et “ses câlins. C’était mon coussin favori. Quand je me sentais pas bien, elle avait juste à me coller à elle ou à poser sa main sur moi et ça allait mieux.

“Tu soupçonnes des gens et tu t’en veux parce qu’ils le ressentent et qu’ils n’ont peut-être rien à voir.”

Lolita

Ça fait mal au cœur de voir sa fille sans réponse vingt ans après”, confie Sonia. “Elle a le droit à la vérité, tout le monde a le droit de savoir. (...) Est-ce qu’elle a été percutée ? On peut tout imaginer.” Pour elle, comme pour Sandie et Lolita, l’hypothèse la plus probable est celle d’un accident, peut-être avec une tierce personne, peut-être involontaire. Des maisons et des véhicules ont été fouillées. Sans résultat.

Mais “l’imagination travaille. Tu soupçonnes des gens et tu t’en veux parce qu’ils le ressentent et qu’ils n’ont peut-être rien à voir. C’est compliqué, pour nous, pour les gens autour de nous”, confie Lolita.

“Tu te promènes plus pareil : le long de la mer, tu cherches, même vingt ans après. Le soir, tu regardes derrière toi.”

Au supermarché, dans la rue, Lolita ne laissait jamais sa fille en liberté, de peur qu’on l’enlève. Elle a refusé qu’elle aille chez certaines copines. “Tu fais attention. Le soir par exemple, tu regardes derrière toi. Tu te promènes plus pareil : le long de la mer, tu cherches, même vingt ans après”, décrit Lolita.

On espère qu'il y a encore quelqu'un qui sait quelque chose. Qui a vu ou entendu quelque chose et qui n’a pas osé le dire. On n'en veut à personne”, assurent Lolita et Sandie. “Il y a tellement d’envie de réponse, même de bribes de réponse. Il est temps de parler, de se libérer.” Pour les libérer elles, au moins un peu.

CRÉÉ PAR
Cecile Rubichon

Crédits :

Saint-Pierre-et-Miquelon la 1ère