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Troisième disque de Nathanael Gouin, "Caprice" sortira officiellement sous le label Mirare le 13 octobre 2023. Ce nouvel opus rassemble des pièces de Bach à Ohana, inspirées par une grande liberté et virtuosité musicale, comme dans la superbe Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, qu'il a enregistrée avec le Sinfonia Varsovia sous la direction de son chef Aleksandar Markovic. L'album intègre en prime une composition inédite de Reynaldo Hahn, Mignouminek, en premier enregistrement mondial.

Entretien avec Jean-Michel Molkhou à l'occasion de la sortie du disque (extrait du livret)

Que veut dire « Caprice » pour vous ? Fantaisie, liberté, exubérance ?

C’est un peu tout cela. Dans le caprice, il y a une forme de liberté affranchie de toute pesanteur. Que tant de compositeurs se soient intéressés à ce genre en se détachant de la forme sonate démontre leur volonté de s'affranchir des cadres. Chacun y marque son identité de façon très différente, depuis Bach jusqu’à Ohana. La fantaisie est souvent plus dense... le caprice, lui, reste empreint de légèreté. C'est précisément cela qui me séduit. A partir de cette idée, j’ai composé un programme cohérent de musique à la fois allemande, russe et française, en choisissant des œuvres qui, bien que n’en portant pas systématiquement le titre, épousent l’esprit du caprice.

Le caprice est-il obligatoirement lié à la notion de virtuosité ?

Pas forcément, notamment dans les Capriccios opus 76 de Johannes Brahms, où l’écriture est dense, profonde et peu démonstrative, bien que Clara Schumann ait trouvé « horriblement difficile » le premier d’entre eux, qui lui avait été offert en cadeau. C’est d’explorer toutes les formes que pouvait revêtir le caprice qui m’a intéressé. On pourrait d’ailleurs imaginer que, dans certains cas, c'est en s’apercevant de la dimension très "libre" de son œuvre que le compositeur a choisi de lui donner le nom de Caprice. La tendresse qu’exprime J.-S. Bach dans le Capriccio sur le départ de son frère bien-aimé est infiniment touchante. Œuvre de jeunesse composée entre 1704 et 1706, c'est une sorte de suite en six mouvements, tableaux pittoresques indiquant les scènes d’adieu autour du départ de son frère Johann Jacob : des cajoleries aux lamentations, jusqu’à la fugue finale.

L’ombre de Paganini plane manifestement sur une partie de votre programme.

Oui bien sûr, son 24e caprice est devenu l’emblème même du genre, son thème ayant inspiré de nombreux compositeurs. J’ai choisi deux d’entre eux, Brahms et Rachmaninov. Dans ses Variations sur un thème de Paganini opus 35 (1862-1863), Brahms démontre à quel point il fut fasciné par le génie du maître génois. Elles sont à l’évidence centrées sur la virtuosité, en explorant chacune un aspect technique particulier, la toccata finale concluant de façon éblouissante le premier livre. Clara Schumann, impressionnée par leur caractère diabolique, les avaient surnommées « Variations de sorcier » (Hexen-Variationen). Quant au Rondo Capriccioso opus 14 de Mendelssohn, il allie virtuosité, fraîcheur et légèreté, dans le pur style de l’auteur du Songe d’une nuit d’été.

Pourquoi avoir inclus une œuvre avec orchestre au sein d’un récital ?

Avant tout pour proposer un programme qui traduise cette forme de liberté associée à la notion de caprice, et sortir ainsi du cadre monolithique du récital pour piano seul. De plus, la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov me semble incarner tellement l’idée du caprice, que j’ai souhaité qu’elle figure en ouverture. Datée de 1934, il s’agit de sa dernière œuvre concertante, et en quelque sorte de son 5e concerto pour piano. Très originale, puissante et dramatique, elle comprend 24 variations, plusieurs d’entre elles faisant apparaître le thème du Dies Irae.

Quel lien voyez-vous entre ces différentes œuvres ?

J’ai eu envie de bâtir un disque éclectique et personnel. Le Caprice n°1 de Maurice Ohana par exemple a une signification particulière pour moi ; j’ai toujours été fasciné par l’originalité du compositeur. Quant à Charles-Valentin Alkan, qui est un peu le Liszt français, c’est un personnage que j’admire, en particulier pour sa virtuosité orchestrale. Son Festin d’Esope, publié en 1857, m’accompagne depuis l’enfance et j’en apprécie l’humour comme la profondeur. Il ne porte pas le titre de caprice mais en revêt le caractère. J'ai inclus également les quatre Valses-caprices de Fauré qui, si elles ne comptent pas parmi ses pages les plus connues, révèlent des harmonies subtiles. C'était également l'occasion de faire découvrir une composition inédite de Reynaldo Hahn, Mignouminek, dont le manuscrit est conservé à l'Abbaye de Royaumont. Je ne crois pas avoir trahi son auteur, tant cette petite friandise de quatre minutes, datée de 1943, reflète l’esprit du caprice !