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Crédits : Téa ZIADE, avec la participation de Nataliia Borodkina et Laura Przybył
Depuis 1993, le droit à l’avortement en Pologne n’a cessé d’être restreint. Déjà limité aux cas de viol, d’inceste, de danger pour la mère et de malformation du fœtus, une décision du tribunal constitutionnel en octobre 2020 a supprimé cette dernière exception. Cinq ans plus tard, rien n’a changé. À l’approche de l’élection présidentielle du 18 mai, alors que le sujet reste pratiquement absent des débats, des activistes témoignent de leur lutte et de leurs espoirs face au prochain tournant politique.
Retour sur quelques dates sur l’accès à l'avortement en Pologne :
- 1956 : L’avortement est légalisé en Pologne en cas de danger pour la santé de la femme, de malformation fœtale ou de viol. Une interprétation large permet aussi l'avortement pour des raisons sociales et économiques (famille monoparentale, pas ou peu de revenus, une situation de pauvreté générale).
- 1993 : Après la chute du communisme, une loi très restrictive est adoptée sous l’influence de l’Église catholique. L’avortement n’est autorisé que dans trois cas : danger pour la vie ou la santé de la femme, grossesse issue d’un viol ou d’un inceste, ou malformation grave du fœtus.
- 2020 (22 octobre) : Le Tribunal constitutionnel, dominé par des juges proches du pouvoir, invalide la possibilité d’avorter en cas de malformation grave du fœtus, rendant l’avortement quasi impossible en Pologne. Les manifestations commencent dans la rue pour revendiquer le droit à l’avortement.
- 2021 (27 janvier) : Entrée en vigueur de la décision du tribunal, provoquant une vague de protestations massives.
- 8 mars 2025 : Le collectif pro-avortement Abortion Dream Team ouvre à Varsovie « AboTak » (« L’IVG, c’est oui »), un local où il sera possible de procéder à des IVG médicamenteuses.
Aleksandra Sudolska, fondatrice de l’association féministe Local Girls Movement à Poznań, a été l’une des figures majeures des manifestations d’octobre 2020. À l’époque directrice d’un club électronique, elle organise un blocus techno à Poznań pour mobiliser les manifestants et donner une dimension festive à la protestation. “J'ai grandi en pensant que l'avortement devrait être autorisé. Personne ne devrait prendre une décision à votre place”, affirme-t-elle aujourd’hui. Pourtant, à l’approche de la présidentielle du 18 mai, elle peine à croire à une révision de la loi sur l’avortement.
J'ai grandi et j'ai décidé que l'avortement devait être autorisé, et c'est important pour moi parce que les autres femmes sont importantes pour moi. Personne ne devrait prendre une décision à votre place.
Karolina Bachorowicz travaille au Schron, l’ancien club d’Aleksandra à Poznań, tout en étant DJ lors d’événements à travers la Pologne. En octobre 2020, en pleine vague de manifestations contre la restriction du droit à l’avortement, elle est montée sur scène, casque sur la tête et platines allumées. Contactée par Aleksandra, elle a mixé lors du blocus techno. "Il est essentiel de se mobiliser et d’aller manifester", confie-t-elle. "On a parfois tendance à penser : Ça ne me concerne pas, ce n’est pas mon combat. Mais on ne sait jamais comment les choses évolueront."
Depuis 2021, l’accès à l’avortement est extrêmement limité, et certaines femmes meurent faute de soins appropriés. Ce fut le cas d'Izabel, décédée en à 30 ans, en 2021, suite à choc septique après le refus de médecins d'interrompre sa grossesse. De nombreuses Polonaises se rendent à l’étranger pour avorter. Des ONG et des réseaux clandestins aident les femmes à contourner la loi.
Niko Doroshenko est membre de l’association Martynka, un collectif dédié à l’accompagnement des femmes réfugiées dans l’accès aux soins de santé reproductive. Toute personne ayant besoin de soutien, qu'il s'agisse de questions liées à l’avortement ou aux violences sexistes et sexuelles, peut contacter Martynka via une messagerie sur Telegram. Une dizaine de bénévoles y répondent, orientant les demandes et offrant un soutien psychologique ainsi que des services de traduction.
Niko s’emporte lorsqu’on lui demande si l’avortement devrait être une priorité : “Pour moi, ce n’est pas une question de priorité, c'est le strict minimum.”
Martynka soutient particulièrement les femmes ukrainiennes réfugiées en Pologne après l'invasion russe du 24 février 2022. Beaucoup d’entre elles ont été victimes de violences sexuelles en Ukraine, où des soldats russes ont commis des viols. Une fois sur place, la barrière de la langue et la méconnaissance des lois polonaises compliquent encore leur accès à l’IVG. Martynka les accompagne tout au long du processus et les oriente vers des associations comme Avortement sans frontières, qui fournit des pilules abortives.
Monika Ray dirige depuis quelques années la Fondation pour les Femmes de Poznań, un centre d’accompagnement psychologique et juridique dédié aux femmes de la ville. Récemment, cette militante a lancé un projet en collaboration avec plusieurs pharmacies locales afin de faciliter l’accès à la pilule du lendemain. Bien que son utilisation ne soit pas interdite en Pologne, elle reste soumise à une réglementation stricte.
La coalition pro-UE, au pouvoir depuis décembre 2023, a adopté une loi autorisant l’accès à la pilule du lendemain dès 15 ans. Désormais, les pharmaciens peuvent eux-mêmes délivrer des ordonnances, simplifiant ainsi l’accès à ce contraceptif d’urgence.
A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2025, le collectif féministe, Abortion Dream Team, a inauguré à Varsovie un local où il sera désormais possible de procéder à des IVG médicamenteuses.