Le plafond peint de la danse macabre d’Albi

A la fin du Moyen Âge, la ville d’Albi était dotée de nombreux plafonds peints dont plusieurs ont disparu lors des travaux d’urbanisme à partir du XIXe siècle.

Plan d’Albi par Laroche (1776) mis à jour par Lannie Rollins (2018).

Une maison située dans le quartier des chanoines

Les chanoines de Saint-Salvi ne vivaient plus en communauté depuis le XIVe siècle, mais dans des maisons individuelles mitoyennes qui constituent le quartier dit de la Canourgue – issu du mot canonge « chanoine » en occitan – situé autour de la collégiale.

Vue depuis le cloître de la collégiale Saint-Salvi.

Ils ont fait orner les plafonds de leurs demeures dans la deuxième moitié du XVe siècle lors d’une période d’enrichissement grâce aux donations des fidèles. Nous connaissons trois plafonds peints datant de cette période, dont un qui a été démonté et vendu aux enchères avant que la Mairie n’arrête la vente. Les closoirs de ce plafond sont aujourd’hui conservés dans le musée Toulouse-Lautrec à Albi.

Closoirs démontés provenant du quartier de la Canourgue, conservés au musée de Toulouse-Lautrec (Albi).

Un plafond exceptionnel

Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, la façade orientale de l’immeuble qui abrite l'un de ces plafonds a été reculée, ce qui a entraîné la perte de plusieurs closoirs et a occulté les décors à une extrémité des poutres. Le plafond peint se trouve au rez-de-chaussée. Il est aujourd’hui dans la réserve d’un restaurant, où il a été découvert sous un faux plafond lors de travaux en 1972.

Ce plafond peint dit « de la danse macabre » est orné de personnages, d’animaux et d’hybrides. Il est difficile à dater malgré la présence d’armoiries.

Plusieurs de ces armoiries peintes désignent le roi de France (écu avec trois lis) et son fils aîné, le dauphin.

Les armoiries du roi de France et du dauphin (vue 2 en haut à droite).

Des bustes d’hommes et de femmes surmontent des écus, malheureusement encore non identifiés, parmi lesquels se cachent peut-être les armoiries du commanditaire du plafond.

Le plafond est exceptionnel à plusieurs égards. D’abord, toutes les surfaces de la charpente sont peintes, chose plutôt rare car très coûteux à réaliser. De plus, il s’agit de la seule danse macabre médiévale peinte sur un plafond dans la région. Enfin, on y trouve de nombreuses inscriptions en Occitan, dont un dialogue virulent entre Mort et la Nature.

Sur la poutre centrale, on voit deux allégories, Nature et Mort, s’affronter dans un dialogue où chacune accuse l’autre de l’empêcher d’accomplir son œuvre. Cela n’est pas sans rappeler l’opposition des deux allégories dans la seconde partie du Roman de la Rose (v. 15881-16031), composée vers 1269-1278.

Dialogue entre la Nature à droite et la Mort à gauche.

Entre les solives, l’inscription je suis prez (« je suis prêt ») renvoie aux Ars moriendi, ouvrages qui se développent à partir du premier tiers du XVe siècle, et prodiguent des conseils pour bien mourir, laissant le croyant imaginer à son chevet une lutte entre les saints et les démons pour son âme.

Les chanoines jouaient un rôle important dans la préparation du croyant à la mort puisqu’ils recevaient les ultimes confessions.

Sur plusieurs plafonds de l’aire albigeoise, on trouve ce rappel de notre mortalité, Memento mori. Dans la maison Saunal (années 1520), au centre d’Albi, on lit Mori rodient (« les morts en font leur pâture » ) tandis que dans la commanderie de Rayssac, à l’extérieur de la ville, on peut lire Panses a la mort (1515). Si le thème est bien représenté dans la région, il s’inscrit dans une vaste modification du rapport à la mort qui touche toute l’Europe au XVe siècle.

Ci-contre : Ars moriendi, version courte, bois gravé (4a), Pays Bas, vers 1460.

Crédits :

Textes : Maud Pérez-Simon, Université Sorbonne Nouvelle, Institut universitaire de France et Lannie Rollins, Université de Toulouse II Jean-Jaurès.

Photographies : David Maugendre et Philippe Poitou © Inventaire général Région Occitanie ; Lannie Rollins © RCPPM ; Maud-Pérez-Simon © RCPPM

Gravure : Digital Library of Medieval Manuscripts, Freie Universität Berlin.

Conception et carte : Christelle Parville, Service Occitan et Catalan, Transversalité, Numérique et Territoires, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie.

Remerciements : L’équipe du restaurant Au nom du père, Gérard Alquier, Pierre-Olivier Dittmar, L'Association de Recherche sur les Charpentes et les Plafonds Peints Médiévaux (RCPPM), Hadès archéologie et l'Institut universitaire de France, la Mairie d'Albi.

En savoir plus :

Bibliographie :

  • Adrien Belgrano, Pierre-Olivier Dittmar, Lannie Rollins, « Danses de mort et de vie au plafond d’une maison d’Albi », Sociabilités en images, Images du jeu et jeux d'images dans les plafonds peints, 11e Rencontres de la RCPPM (Toulouse, 2018), Cécile Bulté, Laurent Macé et Maud Pérez-Simon (dir.), PULM [à paraître].
  • Roland Chabbert, Christian Mullier, Céline Vanacker, La collégiale Saint-Salvi : Albi, Toulouse, Région Occitanie, 2013 (Collection Patrimoines Midi-Pyrénées).
  • Jean-Louis Biget (dir.), Histoire d’Albi, Toulouse, Privat, 2000.
  • Maurice Greslé-Bouignol, « La mort et la nature : un curieux plafond peint à Albi », dans Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres du Tarn, tome XXXII, 1974, pp. 8-45.

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