Mars 1974 : La naissance de l’ANFD Première partie de l'exposition numérique « À juste titre : une histoire archivistique de l'Association nationale des femmes et du droit »

Image de couverture : Photographie en noir et blanc d'un événement de l'ANFD, Winnipeg (1987), 10-036-S8-F5-I4, Fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Couverture du programme de la conférence de Windsor de 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Le 14 mars 1974, des femmes de la faculté de droit de l’Université de Windsor sont entrées dans l’histoire en organisant le tout premier Congrès canadien sur la femme et le droit. Dans une déclaration d’introduction à la conférence, la coordinatrice Gabriella Lang en a souligné les objectifs et les motivations, notant que le traitement du sujet serait « exploratoire, éducatif et sensibilisateur ». En faisant référence à la « sensibilisation », les remarques préliminaires de Lang reprennent la terminologie militante popularisée par les féministes américaines à la fin des années 1960 ; Lang souligne ainsi le rôle de la conférence non seulement en tant qu’espace de réseautage pour les avocates et les professionnelles du droit, mais aussi en tant qu’appel à l’action féministe visant à rectifier le statut des femmes au sein de la société canadienne : « Les remèdes au malaise qui imprègne le système juridique canadien n’ont pas encore apportés », a déclaré Lang, ajoutant que « les femmes occupent la deuxième place au sein de la race humaine, qu’elles partagent avec les minorités raciales. Ce statut n’est pas seulement reflété dans les lois de ce pays, mais il est préservé par ces lois . » [1]

Introduction au programme de la conférence de Windsor de 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Les participantes à la conférence ont incarné le point de vue de Lang lorsque Sydney Robins, panéliste et trésorier du Barreau du Haut-Canada, a prôné la patience pour parvenir à l’égalité des femmes dans le domaine du droit. « Que voulez-vous de plus ? », a-t-il demandé à 300 étudiantes en droit, qui ont répondu « DES ACTIONS ! » [2]

Lang a conclu ses remarques introductives en déclarant que « les résultats dépendront de la manière dont cette occasion sera exploitée » et que « cette conférence devrait ultimement contribuer à la reconnaissance de la femme en tant qu’être humain méritant la dignité et le respect ». [1] En fait, le résultat de la conférence de sa faculté sera la création de l’Association nationale Femmes et Droit (NAWL), un réseau national de femmes de la profession juridique qui se consacre à la recherche, à l’éducation et à l’action. Depuis sa création par Shirley Greenberg, Lynn Kaye et Peggy Mason en 1974, l’ANFD milite sans relâche pour démanteler les obstacles juridiques à l’égalité des femmes.

Cette année, en partenariat avec l’ANFD, les Archives et collections spéciales de l’Université d’Ottawa célèbrent le 50e anniversaire de l’ANFD en plongeant dans l’histoire de l’organisation, y compris ses réalisations marquantes, ses interventions juridiques, ses défis organisationnels et son influence indéniable sur la société canadienne. Bien que cette section porte sur le congrès fondateur de l’ANFD en 1974, vous pouvez cliquer sur les liens suivants pour en savoir plus sur le travail de l’ANFD dans diverses affaires et sur diverses questions : les femmes et le travail, les violences faites aux femmes, la justice reproductive et l’égalité dans le mariage.

Kathleen Rex, "Law Society opposes sex bias in articling jobs", The Globe and Mail (18 mars 1974), boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

En organisant le Congrès national sur la femme et le droit en 1974, les femmes de la faculté de droit de l’Université de Windsor ont cherché à mettre en évidence les violations des droits des femmes par le droit et à faire la lumière sur la discrimination fondée sur le sexe au sein de la profession juridique. Selon la panéliste Eileen Mitchell Thomas, bien que les femmes aient accédé à la profession juridique depuis la fin des années 1800, des inégalités généralisées ont persisté, les tribunaux canadiens sanctionnant fréquemment la discrimination à l’égard des femmes. Thomas a cité aux participant·es l’exemple de l’affaire Beckett v. City of Sault Ste Marie Police Commissioners et al. en 1968, au cours de laquelle le juge de la Cour supérieure de l’Ontario a statué que « [la plaignante] ne fait pas l’objet d’une discrimination du fait qu’elle reçoit un salaire différent, par rapport à celui des agents de police masculins, car cette différence est conforme à toutes les règles de l’économie, de la civilisation, de la vie familiale et du bon sens ». [3] Plus d’une décennie plus tard, l’ANFD jouera un rôle déterminant dans l’élaboration de l’article 15 de la Charte des droits et libertés, qui interdit explicitement la discrimination fondée sur le sexe.

[La plaignante] ne fait pas l’objet d’une discrimination du fait qu’elle reçoit un salaire différent, par rapport à celui des agents de police masculins, car cette différence est conforme à toutes les règles de l’économie, de la civilisation, de la vie familiale et du bon sens."

- Juge Robert Irvin Ferguson, Haute Cour de justice de l'Ontario, 1968

Dépliant pour le forum de l'OCSW sur l'affaire Murdoch c. Murdoch (février 1974), boîte 1, dossier 4, fonds Marjorie Griffin Cohen (10-153), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

L’affaire Murdoch c. Murdoch de 1974 a encore galvanisé les participantes au congrès lorsque la Cour suprême du Canada a rendu une décision sur le droit des biens matrimoniaux que de nombreuses femmes considéraient comme inéquitable. Dans cette affaire, l’épouse réclamait sa part d’intérêts dans les biens-fonds qui étaient au nom de son mari et sur lesquelles elle effectuait des travaux pour plusieurs ranchs appartenant à ce dernier. D’après les preuves, son travail dans ces ranchs consistait à « [faire] la fenaison, le râtelage, le fauchage, la moisson; [conduire] des camions, des tracteurs et des attelages; [apaiser] les chevaux, [sortir et ramener] le bétail à la réserve, [s’occuper] de décorner le bétail, [le] vacciner, [le] marquer au fer, tout ce qu’il y avait à faire ». Elle effectuait souvent ce travail alors que son mari était absent pendant des mois. Néanmoins, quatre des cinq juges ont rejeté sa demande, déclarant que « son travail dans les champs correspondait simplement au travail attendu de toute femme de ranch ». [4] Pour de nombreuses militantes pour les droits des femmes, cette affaire illustre l’extrême dévalorisation par la société canadienne du travail des femmes à la maison, en dépit de sa valeur économique incontestable.

Photographie de secrétaires juridiques manifestant devant leur cabinet d'avocats, The Globe and Mail (20 septembre 1974), boîte 68, dossier 24, collection CWMA (10-001), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Soulignant encore la dévalorisation du travail des femmes dans la société canadienne, le congrès de 1974 a invité la secrétaire juridique Joan Sullivan à participer à un panel sur « Les femmes dans les facultés de droit, les cabinets d’avocats et la profession juridique ». Sullivan avait mené la campagne de syndicalisation des secrétaires juridiques de Windsor dans leur lutte pour la sécurité d’emploi et un salaire équitable. Six mois plus tard, Janet Martin et Mary Anne Fox entreront dans l’histoire en lançant la première grève de secrétaires juridiques syndiquées contre un cabinet d’avocat·es au Canada, le cabinet Weingarden and Hawrish de Windsor . Martin et Fox ont dû faire face à de nombreuses difficultés, notamment des partenaires qui ont franchi la ligne de piquetage qu’elles formaient à deux, des briseur·euses de grève et la réticence de leurs collègues cols blancs à se syndiquer. [5] Néanmoins, leur action historique a démontré l’effet revigorant que le Congrès national sur la femme et le droit a eu sur les professionnelles du droit de Windsor et d’ailleurs.

La création de l’ANFD elle-même est tout aussi inédite. Selon la cofondatrice de l’ANFD, Shirley Greenberg, « aucun groupe auparavant » n’avait été « formé spécifiquement pour traiter des aspects juridiques de l’existence des femmes ». [6] Dans un article intitulé « Saving Our History (Sauver notre histoire) », Greenberg relate la création de l’ANFD lors d’une réunion ad hoc à l’heure du dîner au congrès de la faculté de droit de Windsor, au cours de laquelle une poignée de femmes se sont engagées à créer un réseau national axé sur les femmes et le droit. Reprenant les termes de l’allocution d’ouverture de Gabriella Lang, Greenberg note que la conférence a été « une prise de conscience pour plusieurs », les femmes ayant pu parler entre elles de pratiques professionnelles discriminatoires, notamment de questions invasives sur la régulation des naissances lors des entretiens, de restrictions à certains domaines du droit et, dans un cas particulier, de licenciement pour port d’un tailleur-pantalon. [2] Toutefois, selon Greenberg, « les conflits ont également été exposés », notamment en réponse à la défense de la décision Murdoch par le ministre de la Justice, Otto Lang. Le ministre a provoqué les sifflements et les huées d’une partie de son auditoire, tandis que d’autres participants à la conférence « désapprouvaient fortement ce comportement peu féminin ». [7]

Notes de la réunion ad hoc au cours de laquelle l'ANFD a été créée (16 mars 1974), boîte 2, dossier 1, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Image de gauche : Notes de la réunion ad hoc au cours de laquelle l'ANFD a été créée (16 mars 1974), boîte 2, dossier 1, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Indépendamment de ces différends, les femmes de l’ANFD se sont réunies pour travailler à un objectif commun : rectifier le statut juridique inférieur des femmes consacré par des siècles de patriarcat judiciaire. Méditant sur les principes fondateurs de l’ANFD dans un article intitulé « Why Bother? », Greenberg résume cette histoire et son effet durable sur la vie des femmes canadiennes dans le passage suivant :

Il était courant de considérer que les femmes n’étaient aptes qu’à un seul rôle et une seule fonction, par nature ou par décret de la Providence. Leur monde était le monde privé de la vie de famille, où elles devaient fournir des services domestiques et sexuels. Exclues par la loi et la coutume de la participation aux affaires publiques, liées à un mari pour la vie et incapables de s’échapper jusqu’à ce que le divorce devienne possible, les femmes n’avaient pas d’autre choix. Pour garantir leur enfermement, les lois visaient à contrôler le comportement des femmes, en particulier dans le cadre du mariage. La négation de la valeur économique de leur travail a été particulièrement paralysante, comme elle l’est encore aujourd’hui.
...Pendant très longtemps, les femmes ont subi ce joug de l’enfermement au foyer et de l’étiquette d’infériorité. Est-ce que cela a pris fin ? Pas dans la loi. Il suffit de penser au droit relatif à la relation entre mari et femme, au viol et à l’avortement, à l’absence de reconnaissance de la contribution des femmes, que ce soit au sein du mariage ou sur le marché du travail. Dans tous ces domaines, les conséquences des lois et pratiques discriminatoires sont quotidiennes et font partie de notre réalité objective. Les faits sont là, si l’on est prêt à les reconnaître.

- Shirley Greenberg, "Why Bother ?" (1977), boîte 9, dossier 19, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

La priorité accordée par l’ANFD au travail reflétait l’affirmation de Greenberg selon laquelle la négation de la valeur économique du travail des femmes avait été « particulièrement paralysante ». Dans l’année qui a suivi le congrès novateur de l’Université de Windsor, l’ANFD a organisé sa première conférence bisannuelle sur « Les femmes et le travail » à Winnipeg, en 1975. Lors de cette conférence inaugurale, les membres ont ratifié les résolutions qui allaient former la base de leurs objectifs à long terme, travaillant « tard dans la nuit pour construire les prémices d’un ensemble de politiques qui donneraient forme et direction au désir de changement et constitueraient une base d’action [dans les caucus locaux] ». [8]

Image de gauche : Photographie de Shirley Greenberg, tirée de l'article " Women in Business," Ottawa Magazine (mai 1981), boîte 6, dossier 14, fonds Shirley E. Greenberg (10-185), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Shirley Greenberg, « Saving Our History » (février 1977), boîte 9, dossier 19, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Image de droite : Photographie en noir et blanc d'un événement de l'ANFD, Winnipeg (1987), 10-036-S8-F5-I%, Fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

Au nombre des résolutions adoptées lors de cette conférence figurent une philosophie de solidarité avec toutes les femmes qui travaillent ; la création d’une constitution qui servira de modèle et de guide pour les femmes cherchant à organiser des syndicats ; une stratégie pour mettre en œuvre de meilleures lois en matière d’égalité salariale ; l’appui à l’action positive ; la promotion des droits et des protections pour les travailleuses domestiques et à temps partiel ; l’affirmation du droit des secrétaires juridiques de s’organiser et de négocier collectivement ; l’amélioration de la législation existante sur les droits de la personne ; le soutien aux droits des femmes métisses et autochtones sans statut ; l’engagement à étudier les problèmes rencontrés par les travailleuses immigrantes ; les demandes d’égalité juridique au sein du mariage et la reconnaissance des contributions économiques des femmes au foyer ; l’approbation de la gratuité des services de garde d’enfants financés par l’État ; la reconnaissance de l’avortement comme « droit inaliénable de toutes les femmes » ; et l’insistance pour que les antécédents sexuels d’une plaignante ne soient pas admissibles dans l’évaluation de sa crédibilité au cours des procès pour infraction sexuelle. [8]

Ces résolutions reflètent « l’intégration de l’expérience communautaire et de l’expertise juridique » de l’ANFD, ce qui la distinguait des autres organisations, notamment en raison de son intérêt pour les travailleuses et le travail domestique. Après sa conférence fondatrice sur « Les femmes et le travail » en 1975, l’ANFD a été à l’origine de changements législatifs positifs dans de nombreux domaines décrits ci-dessus, transformant ainsi concrètement le système judiciaire canadien et son traitement des femmes en tant que sujets de droit. Pour en savoir plus sur la conférence « Les femmes et le travail » et sur l’influence de l’ANFD sur la législation relative à la discrimination en milieu de travail, cliquez ici.

Cette exposition a été créée par Meghan Tibbits-Lamirande, conteuse en résidence de l'ARCS

**L'Université d'Ottawa a obtenu, dans la mesure du possible, l'autorisation d'afficher et de partager le contenu d'articles pour lesquels elle ne détient pas de droits d'auteur. Toutefois, l'Université d'Ottawa ne déclare ni ne garantit que c'est le cas pour chaque article. Vous acceptez que toute utilisation de ce contenu se fasse à vos risques et périls, et que l'Université d'Ottawa ne soit pas responsable de tout dommage pouvant survenir à la suite de votre utilisation. Si vous êtes le propriétaire d'un contenu qui, selon vous, a été incorrectement attribué ou est utilisé sans autorisation, veuillez nous contacter par courriel à l'adresse suivante : arcs@uottawa.ca. Vous pouvez également remplir le formulaire de demande de reprise de documents de bibliothèque et d'archives.

WORKS CITED

[1] Lang, Gabriella. Introduction au programme de la conférence. Conférence nationale sur le droit et les femmes. Windsor, ON, 14-16 mars 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[2] Rex, Kathleen. "Law Society opposes sex bias in articling jobs", The Globe and Mail, 18 mars 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[3] Thomas, Eileen Mitchell, "Sisters-in-Law". Présentation à la Conférence nationale sur le droit et les femmes, Windsor, ON, 14-16 mars 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[4] Payne, Julien D., et Wuester, Terrance J. Présentation à la Conférence nationale sur le droit et les femmes, Windsor, ON, 14-16 mars 1974, boîte 9, dossier 11, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[5] Platiel, Rudy. "Two Windsor legal secretaries launch the profession's first strike", The Globe and Mail, 20 septembre 1974, boîte 68, dossier 24, Collection CWMA (10-001), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[6] Greenberg, Shirley. "Why Bother?" Projet d'article, février 1977, Fonds de l'ANFD (10-036), boîte 9, dossier 19, Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[7] Greenberg, Shirley. "Saving Our History". Projet d'article, février 1977, Fonds de l'ANFD (10-036), boîte 9, dossier 19, Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.

[8] Association nationale de la femme et du droit, Programme de la conférence sur les femmes et le travail. Winnipeg, MB, 30 janvier-2 février 1975, boîte 9, dossier 12, fonds de l'ANFD (10-036), boîte 9, dossier 19, Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.