Image de couverture : Photographie couleur de la marche pour la Journée internationale de la femme à Toronto (1983). Photographié par Nancy Adamson, de la collection CWMA (10-001), boîte 134, dossier 5, Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
***Remarque sur le langage : Pour éviter tout anachronisme historique, cette section de l'exposition utilise le terme « femmes/femme » pour décrire les objectifs de la législation en matière de reproduction. L’auteur souhaite reconnaître que les questions de justice reproductive affectent également les personnes trans, non binaires et de genre non conforme.
Bien que la législation en matière de reproduction n’ait été abordée que brièvement lors du tout premier congrès sur les femmes et le droit en 1974, l’année suivante, l’ANFD a organisé un atelier d’urgence sur l’avortement au cours de sa conférence inaugurale sur les femmes et le travail. Preuve de l’intérêt des participantes pour cette question, le rapport de la conférence qui suivit nota que l’atelier d’urgence rassemblait « un très grand nombre de personnes ». [1]
Au fil du développement de l’ANFD, la législation en matière de reproduction est devenue l’une de ses principales préoccupations et ses caucus ont souvent servi de guides législatifs indispensables pour les organisations et les militantes pro-choix. Le débat houleux autour de l’avortement a également engendré de nouveaux défis, entraînant parfois des conflits entre les membres qui étaient farouchement pro-choix et les membres qui mettaient en garde contre le risque que l’ANFD ne devienne une organisation à but unique.
Cette année, en partenariat avec l’ANFD, les Archives et collections spéciales de l’Université d’Ottawa célèbrent le 50e anniversaire de l’ANFD en se plongeant dans l’histoire de l’organisation, y compris ses réalisations marquantes, ses interventions juridiques, ses défis organisationnels et son impact indéniable sur la société canadienne. Bien que cette section de l’exposition soit consacrée à l’influence de l’ANFD sur la justice reproductive, vous pouvez cliquer sur les liens suivants pour en savoir plus sur la fondation de l’ANFD et sur ses importantes contributions à la législation relative aux femmes et au travail, aux violences faites aux femmes et à l’égalité dans le mariage.
Les résolutions adoptées lors de l’atelier de 1975 sur l’avortement réaffirmaient l’engagement de l’ANFD à supprimer l’avortement du Code criminel. Cet atelier d’urgence a également conduit l’ANFD à voter « massivement » en faveur de la démission immédiate du ministre de la Justice de l’époque, Otto Lang . À cette époque, les militantes pour les droits des femmes étaient souvent mécontentes de Lang, qui avait d’ailleurs été l’orateur principal du congrès de l’année précédente sur les femmes et le droit (bien que son discours ait été accueilli par des sifflements et des huées de la part de l’auditoire). En 1974, Lang avait déclaré publiquement que les avortements étaient trop facilement disponibles au Canada, ce qui avait donné lieu à une campagne épistolaire organisée par le Comité canadien d’action sur le statut de la femme (CCA), qui avait inondé son bureau de plus de 20 000 réponses. [2]
Image de gauche : Article de journal et image vandalisée du ministre de la Justice de l'époque, Otto Lang, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
Lors de la conférence inaugurale en 1975, les membres de l’ANFD ont une fois de plus été confrontées à des frictions idéologiques entre elles et la conférencière d’honneur, affiliée au gouvernement. Le discours de la ministre fédérale de l’Environnement, Jeanne Suave, a été accueilli par des huées et des sifflements lorsqu’elle a déclaré qu’elle avait « de sérieuses réserves quant à toute proposition visant à libéraliser les lois sur l’avortement » et qu’elle a demandé à l’auditoire si « l’avortement et l’euthanasie [sont] vraiment si éloignés l’un de l’autre ». Certaines membres ont répondu en criant : « Oui, ils le sont ! » [3]
En 1977, l’ANFD a ratifié plusieurs déclarations politiques claires concernant la liberté de choix dans sa constitution officielle, telles que l’affiliation à l’Association canadienne pour le droit à l’avortement (ACDA), le lobbying pour l’abrogation de l’article 251 du Code criminel et la compilation et la diffusion d’informations sur le droit à l’avortement. Cette dernière politique avait pour but de sensibiliser les politicien·nes aux niveaux fédéral, provincial et local et de lutter contre la mauvaise interprétation des règles de droit par les groupes anti-avortement. [4]
Crédit photo : Pelletier, Johanne. Participantes sur le campus de l'Université de Toronto lors de la manifestation de la Journée internationale de la femme (JIF) à Toronto en 1987. De la collection CWMA (10-001) © Archives et collections spéciales.
À cette époque, la loi canadienne stipulait qu’un avortement ne pouvait être pratiqué que dans un hôpital accrédité, sous réserve de l’approbation du comité d’avortement thérapeutique de cet hôpital et uniquement si la grossesse présentait un risque important pour la santé de la mère. Cette loi « libéralisée » sur l’avortement avait été adoptée en 1969, en remplacement d’une législation qui n’autorisait l’avortement que si la vie de la mère était en danger. En 1982, Sharon Walls, du caucus de l’ANFD de Victoria, a rédigé un document de discussion intitulé « Abortion Law and Improved Abortion Services (Loi sur l’avortement et amélioration des services d’avortement) », qui mettait en évidence les problèmes juridiques et bureaucratiques inhérents au système « libéralisé » d’approbation par les comités.
Tout d’abord, selon Walls, la législation a permis aux hôpitaux de décider de la mise en place d’un comité d’avortement thérapeutique, ce qui a conduit à un accès dispersé et sporadique pour de nombreuses Canadiennes. Walls a noté que 51 % des hôpitaux éligibles à la création d’un comité d’avortement en 1976 ont choisi de ne pas le faire sur la base de « l’éthique professionnelle, de l’affiliation religieuse de l’hôpital et d’un désir d’éviter les conflits ». De même, Walls affirmait que le transfert de ces décisions au niveau local était une « tactique courante du gouvernement lorsqu’il s’agit de traiter des questions qui soulèvent une controverse morale ». [5]
« Un autre problème lié à l’option locale », déclarait Walls, « est celui des tentatives relativement fréquentes de groupes anti-avortement, petits mais bien organisés, de prendre le contrôle du conseil d’administration d’un hôpital et de limiter ou d’abolir la pratique de l’avortement. Bien que les membres du conseil d’administration ne puissent pas intervenir dans la décision médicale d’un comité d’avortement thérapeutique, il leur appartient de déterminer si un comité sera nommé et, dans l’affirmative, qui en seront les membres. Si une majorité de membres du conseil d’administration est opposée à l’avortement, elle peut donc mettre un terme à la plupart, voire à la totalité, de ces activités au sein de l’hôpital ». Selon Walls, la législation fédérale était délibérément imprécise, permettant au gouvernement de refiler la responsabilité des droits des femmes à des comités d’hôpitaux locaux dont les définitions de ce qui constituait la « santé » étaient très divergentes. [5]
Image de droite : Un dépliant publié par le Comité sur l'avortement et la contraception de Toronto qui décrit les problèmes liés au système des comités thérapeutiques (1977). Provenant de la collection CWMA (10-001) des Archives et collections spéciales de l'Université d'Ottawa
Malgré ces défis, Walls a également mis en garde les militantes contre la tentation de se concentrer sur la simple abrogation de l’interdiction en droit pénal :
La rhétorique populaire consiste à demander l’abrogation de la loi sur l’avortement depuis sa promulgation en 1969. Les partisanes de la réforme de la loi sur l’avortement oublient parfois le fait que cette question relève, au Canada, de la compétence fédérale pour les aspects pénaux et de la compétence provinciale pour les aspects sanitaires. En raison de cette répartition des responsabilités, l’abrogation de la législation fédérale ne rendrait pas nécessairement l’avortement plus facilement accessible. En l’absence de réglementation fédérale, les provinces se sentiraient certainement obligées de réglementer la pratique de l’avortement dans le cadre de leurs compétences en matière de santé. Bien que certaines exigences soient généralement acceptables, comme le fait d’exiger que les avortements soient pratiqués par un médecin, les règlements provinciaux actuels sur la prestation de services d’avortement ne sont pas encourageants. Dans de nombreuses provinces, ces règlements sont conservateurs et dépassés [...]. Si la législation fédérale était supprimée, certaines provinces imposeraient aux femmes des critères à remplir et des procédures administratives à suivre, ce qui entraînerait une plus grande restriction et une plus grande disparité des services d’avortement." [5]
Tout au long de cette période, les membres de l’ANFD ont pris part à des caucus locaux et provinciaux pour lutter contre la législation sur l’avortement qu’elles qualifiaient de « vague et ambiguë », en particulier parce que le terme « santé » dans la législation fédérale était mal défini et permettait des interprétations à la fois libérales et conservatrices de l’article 251. En 1979, le caucus manitobain de l’ANFD a contribué à la création de la Coalition in Support of the Manitoba Center for Reproductive Health, en réponse à l’annonce faite par un hôpital de Winnipeg de refuser les services d’avortement à 95 % des femmes à partir du 1er juillet. [4]
De même, en 1980, le caucus de l’Île-du-Prince-Édouard s’est opposé à l’organisation anti-choix Right to Life dans la bataille pour l’établissement d’un comité d’avortement thérapeutique à l’hôpital de Charlottetown, en exerçant des pressions et en recueillant des signatures . Comme Walls l’expliquera plus tard dans son rapport, une législation fédérale vague a conduit à des inégalités bien ancrées entre les femmes des différentes provinces, dont certaines se font encore sentir aujourd’hui. En réponse, l’ANFD a déployé sa connaissance des législations fédérales, provinciales et locales pour aider les groupes militants, tels que l’ACDA, à naviguer dans les méandres législatifs et bureaucratiques de la loi sur l’avortement.
Image de gauche : Communiqué de presse de l'ANFD, « Atlantic Women Denied Abortion Services », 22 juin 1989, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
Au début des années 80, la publicité accrue faite autour du Dr Henry Morgentaler, médecin et défenseur du droit à l’avortement, a fait de la justice reproductive une question très controversée et volatile dans tout le pays. Le caractère litigieux de la législation sur l’avortement s’est reflété dans le débat au sein même de l’ANFD ; en 1983, l’organisation a adopté une résolution sur les « Conditions préalables à l’adhésion », qui exigeait que les candidates à l’adhésion signent une déclaration affirmant leur croyance en la liberté de choix. La résolution était libellée comme suit :
ATTENDU que le droit des femmes au choix en matière de reproduction est un principe fondamental de la politique de l’ANFD ;
ET ATTENDU que la croyance en ce principe devrait être une condition préalable à l’adhésion à l’ANFD ;
IL EST RÉSOLU que toutes les candidates à l’adhésion à l’ANFD soient tenues de signer une demande d’adhésion indiquant qu’elles croient au principe du « droit des femmes à la liberté de choix en matière de reproduction » et qu’elles s’y engagent, comme condition préalable à l’adhésion à l’ANFD.
Reflétant les préoccupations et les débats plus généraux au sein des membres, le bulletin d’information de l’ANFD de novembre 1984 a publié deux points de vue opposés sur la résolution mentionnée plus haut. Mona Brown, membre de l’ANFD, a soutenu la condition préalable à l’adhésion, en invoquant des préoccupations relatives à l’infiltration de membres pro-vie :
Image de droite : Formulaire d'adhésion à l'ANFD avec la condition préalable d'adhésion à la justice reproductive surlignée en jaune, c. Années 1980, boîte 37, dossier 2, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
Une figure dominante du mouvement pro-vie a assisté à une réunion générale du caucus local où il était notamment question de plans et de stratégies de collecte de fonds pour la défense de Morgentaler, de plans concernant le dépôt d’une demande introductive d’instance visant à faire déclarer que l’article 251 violait la Charte des droits, d’un rapport aux membres sur une analyse des chances de Morgentaler et d’une analyse de la contestation de Borowski. La présence et l’adhésion de la membre pro-vie ont été remises en question. Elle était, en fait, membre en règle, mais n’avait pas signé la déclaration et a refusé de la signer lorsqu’elle a été confrontée à la question. Par conséquent, son adhésion a été remboursée et on lui a demandé de partir (lorsqu’on l’a interrogée sur les raisons de sa présence, elle a ouvertement admis qu’elle était là pour espionner nos plans et faire un rapport au camp pro-vie). Si l’ANFD n’avait pu s’appuyer sur la déclaration, notre réunion aurait été complètement perturbée." [5]
Dans le même bulletin d’information, Phyllis McRae, membre de l’ANFD, a présenté une opinion alternative, arguant qu’une déclaration publique en faveur de l’avortement exclurait des membres qui, à d’autres égards, adhéraient aux objectifs de l’ANFD.
En fait, le nombre de membres de l’ANFD a diminué entre 1983 et 1984 et McRae a fait valoir que nombre de ces anciennes membres trouvaient l’exigence de signature « répugnante ». La plupart de ces anciennes membres, selon McRae, étaient des personnes pro-choix qui ne se sentaient pas enclines à signer une déclaration publique de leurs convictions personnelles. Selon elle, « l’idée que l’ANFD risque d’être envahie et subvertie par des guérilleras pro-vie est une absurdité qui relève de la paranoïa. Si les forces pro-vie voulaient infiltrer l’ANFD, elles ne seraient certainement pas dissuadées par une simple déclaration sur les formulaires d’adhésion ». [5]
Image de gauche : Association nationale Femmes et Droit, « Projet de rapport sur la politique historique de l'ANFD concernant la liberté de reproduction des femmes », boîte 37, dossier 2, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
En outre, selon elle, de telles déclarations entravent l’objectif de l’ANFD de diversifier ses membres en excluant celles qui ont d’autres croyances culturelles, comme les femmes autochtones qui sont attachées à leur rôle culturel de chef de famille, de membre de la communauté et de donneuses de vie. McRae a finalement déclaré que :
l’ANFD n’aide pas la cause pro-choix en réduisant ses effectifs à un noyau dur de personnes à vocation unique dont l’idéologie est pure mais dont l’influence est minime. L’ANFD n’est pas et n’a jamais été une organisation à vocation unique. Elle ne pourra pas lutter efficacement pour les droits des femmes si elle le devient.” [5]
Ce conflit interne sur la résolution relative à la condition d’adhésion démontre la difficulté pour l’ANFD de trouver un équilibre entre ses autres valeurs et engagements et la question de l’avortement, qui fait l’objet d’une vive controverse. L’ANFD s’efforcera de maintenir cet équilibre malgré la condition préalable d’adhésion et renouvellera fréquemment son engagement en faveur de la justice reproductive lors des rassemblements et conférences ultérieurs. En 1983, le caucus de Toronto a fait pression pour obtenir une clinique d’avortement indépendante dans sa ville, en travaillant étroitement avec la Coalition ontarienne pour les cliniques d’avortement et en exerçant des pressions pour obtenir un appui. La même année, une clinique d’avortement à Winnipeg (que le caucus du Manitoba avait aidé à établir) a dû être fermée à la suite d’une série de descentes de police. Au cours de ces descentes, le Dr Morgentaler, le Dr Scott (un autre médecin pro-choix) et six employées furent accusés de complot avec l’intention de procurer des avortements. [4]
Deux ans plus tard, l’ANFD a organisé une conférence sur le thème de la justice reproductive, intitulée « Who’s in Control ? Legal Implications of Reproduction and Technology (Qui a le contrôle ? Les implications juridiques de la reproduction et de la technologie) », au cours de laquelle Mary O’Brien, sage-femme et docteure en sciences politiques, a donné une conférence sur « L’État et la liberté reproductive » (sans le moindre sifflement ou la moindre huée de la part de l’auditoire de l’ANFD rassemblé). [6]
En 1985, l’organisation nationale a adopté une autre résolution en appui au Dr Morgentaler et à son personnel, qui faisaient l’objet de procédures judiciaires et de contestations devant les tribunaux dans ses cliniques partout au pays. De même, le caucus de la Saskatchewan s’est activement impliqué dans la lutte contre le projet de loi 53, un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par un député d’arrière-ban conservateur, qui aurait exigé qu’un mari consente à l’avortement de sa femme. [4]
Image de gauche : Programme de la conférence. Qui contrôle ? Implications juridiques des technologies de reproduction, Ottawa, ON, 21-24 février 1985, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
En 1986, Joe Borowski a contesté les lois canadiennes en matière d’avortement devant la Cour d’appel de la Saskatchewan, faisant valoir que la législation de 1969 sur l’avortement était en fait trop libérale et que le fœtus humain devait être protégé par les articles 7 et 15 de la Charte. Plus tard cette même année, le député Gus Mitges a déposé un projet de loi d’initiative parlementaire visant à modifier l’article 7 de la Charte pour y inclure le « fœtus humain ou l’enfant à naître ». Or, l’article 7 garantit « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » à toutes les personnes vivant au Canada et l’inclusion de la vie fœtale aurait des ramifications majeures pour les citoyennes enceintes du pays. En réponse, l’ANFD s’est mobilisée au niveau national et a écrit à tou·tes les membres du Parlement, les exhortant à voter contre la motion et affirmant que le projet de loi servirait à faire d’une femme la « captive biologique et légale de sa propre grossesse ». [4]
L’affaire Borowski sur le statut de personne du fœtus s’est finalement rendue jusqu’à la Cour suprême du Canada, où elle a été rejetée comme étant sans objet après la conclusion de l’affaire Morgentaler en janvier 1988, lorsque la CSC a estimé que l’article 251 du Code criminel violait les droits des femmes garantis par la Charte. Bien que l’ANFD et ses collègues militantes aient célébré la victoire de la légalisation de l’avortement au Canada, l’ANFD a continué à lutter contre les tentatives législatives visant à codifier le statut de personne du fœtus. Par exemple, en 1989, la Commission de réforme du droit du Canada a recommandé au gouvernement fédéral de créer une nouvelle infraction criminelle pour préjudice causé au fœtus ou destruction du fœtus. Réagissant par voie de communiqué de presse, Brigitte Morneau, membre du comité directeur de l’ANFD, a déclaré :
À droite : Communiqué de presse de l'ANFD, « L'ANFD s'oppose aux recommandations de la Commission de réforme du droit sur le foetus », 23 février 1989, boîte 24, dossier 8, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
Cette tendance à considérer la femme enceinte et son fœtus comme des entités distinctes est très inquiétante. En fait, la femme et son fœtus ne peuvent pas être séparés [en tant qu’entités juridiques] ... il est plus raisonnable de considérer que le préjudice subi par le fœtus est un préjudice subi par la mère. La femme ne doit pas être traitée comme une simple couveuse vivante.” [7]
Outre les contestations juridiques visant à définir le statut de personne du fœtus, l’ANFD a également commenté plusieurs affaires judiciaires visant à codifier les « droits des pères » : Au Manitoba, en Ontario et au Québec, en 1989, d’anciens petits amis ont tenté d’obtenir des injonctions judiciaires afin d’empêcher l’avortement de leurs anciennes petites amies. [4]
La plus célèbre de ces affaires s’est déroulée au Québec, lorsque Chantale Daigle s’est vu refuser un avortement en vertu d’une injonction à la demande de son ancien petit ami, Jean-Guy Tremblay, qui avait des antécédents de violence conjugale et d’abus . Le caucus québécois de l’ANFD a préparé de nombreux mémoires et commentaires publics sur la décision du tribunal et a contribué à la préparation du mémoire qui allait être utilisé pour intervenir au nom du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes (FAEJ). [4]
Image de gauche : Notes sur le statut de « délinquant dangereux » de Jean-Guy Tremblay, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
Un communiqué de presse de l’ANFD publié en juillet 1989 décrit l’affaire Daigle comme une « aberration dans la loi » qui « remet en question l’intégrité du système judiciaire » et « place les femmes enceintes du Québec hors de la protection de la Charte canadienne des droits et libertés ». [9]
Lors de l’audition finale de l’affaire Daigle devant la CSC en août, le tribunal a appris que Daigle s’était déjà rendue aux États-Unis pour obtenir un avortement, mais il a néanmoins annulé l’injonction demandée par son ex-petit-ami. En fin de compte, la conclusion de l’affaire Daigle reflétait l’affirmation de la porte-parole de l’ANFD, Judith Allen, dans son communiqué de presse de juillet 1989 :
Vous pouvez harceler les femmes devant les cliniques et les hôpitaux ; vous pouvez obtenir des décisions illégales et inconstitutionnelles ; vous pouvez tenter de forcer les gouvernements à adopter des lois illégales et inconstitutionnelles. Vous pouvez imposer des votes libres et des référendums et payer pour des rapports de la Commission de réforme du droit, mais aucun homme, aucun tribunal, aucun gouvernement et aucun dieu ne peut forcer une femme à porter un fœtus à terme contre sa volonté.” [9]
En faisant référence à des « lois inconstitutionnelles », la déclaration d’Allen ciblait la présentation par le gouvernement fédéral du projet de loi C-43, défendu par la ministre de la Justice de l’époque, Kim Campbell, qui cherchait à rétablir la loi de 1969 en recriminalisant l’avortement à moins que la grossesse ne constitue une menace pour la santé de la femme. En mai 1990, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-43 et l’a envoyé au Sénat pour approbation . Il a été rejeté de justesse à égalité des voix en 1991. [10]
Pendant cette période, l’ANFD a déployé des efforts considérables pour lutter contre le projet de loi C-43, écrivant que « l’avortement est à la fois une question morale et une question de santé, mais la moralité des uns et des unes ne doit pas être opposée à celle des autres. Il s’agit là d’un des principes les plus fondamentaux d’une démocratie libérale. Une nouvelle initiative législative du gouvernement fédéral témoignerait d’une profonde méfiance à l’égard des femmes canadiennes de manière générale, et de leur capacité à prendre une décision morale plus particulièrement. Le droit pénal n’est pas approprié pour réglementer les domaines de la santé et de l’autonomie des femmes. » [11]
Image de droite : Communiqué de presse de l'ANFD, « Government Claims on Abortion Law Debunked », 4 mai 1990, boîte 24, dossier 8, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
L’ANFD a vivement critiqué le document de la Commission de réforme du droit intitulé « Crimes contre le fœtus », sur lequel le projet de loi C-43 était basé, le décrivant comme « une insulte aux Canadiennes ». Dans un autre communiqué de presse sur le projet de loi, Freya Kristjanson, membre du groupe de travail de l’ANFD, a déclaré que « la portée de la responsabilité pénale proposée est si vaste et si vague que de nombreuses personnes entrent dans le champ d’application du crime [...]. Les articles proposés permettraient d’accuser les femmes enceintes de crimes liés à leur mode de vie, tels que la consommation d’alcool ou le tabagisme. Le traitement médical forcé ou l’incarcération des femmes enceintes serait une possibilité très réelle en vertu de cette législation. » [12]
Le rejet du projet de loi C-43 en 1991 allait conduire à ce que l’avortement soit traité par la loi comme une procédure médicale comme les autres. Cependant, l’ANFD a continué à faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il facilite l’accès à l’avortement et qu’il empêche les provinces de violer les droits des femmes garantis par la Charte en restreignant la procédure. Près d’une décennie plus tard, l’ANFD se battra à nouveau contre la possibilité très réelle que les femmes enceintes puissent être contrôlées et détenues sur la base du concept délicat des droits du fœtus, comme l’avait prédit Freya Kristjanson.
Cristin Schmitz, « La CSC to grapple with controversé spring docket », The Lawyers Weekly, 18 avril 1997, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
En 1997, une coalition de groupes de femmes du Manitoba, dont le Centre de transition des femmes autochtones, l’Association des femmes métisses, l’Association manitobaine des droits et libertés et la Clinique de santé des femmes, a demandé à l’ANFD de préparer une déclaration concernant l’affaire Winnipeg Child and Family Services c. G. Dans cette affaire, une ordonnance du tribunal a accordé à l’Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg le statut de parens patriae à l’égard du fœtus d’une femme autochtone de 22 ans, ce qui lui a donné le pouvoir de la détenir et de diriger son traitement médical et thérapeutique pendant toute la durée de sa grossesse. [13]
L’ANFD a estimé que cette affaire créait un précédent juridique extrêmement dangereux pour les femmes enceintes et en particulier pour les femmes autochtones et les autres femmes marginalisées, qui sont surreprésentées dans les affaires de services à la famille dans l’ensemble du pays. L’ANFD a fait valoir que cette décision donnait aux tribunaux un pouvoir excessif pour dicter la façon dont une femme doit vivre sa vie pendant sa grossesse et que « le droit de refuser un traitement médical persiste pendant la grossesse et s’étend à toutes les formes de traitement, y compris celles qui peuvent être bénéfiques pour le fœtus ». Dans un communiqué de presse publié le 17 juin 1997, l’ANFD a expliqué l’importance de l’affaire G. pour le droit à l’égalité des femmes au Canada :
L’ANFD est depuis longtemps d’avis que l’autonomie juridique des femmes ne peut être compromise au moment de la grossesse. Assouplir ce principe reviendrait à diminuer son statut de personne juridique pendant la grossesse et à placer le droit d’intervention de l’État au-dessus des droits de la mère, en la cantonnant dans le rôle restreint de “porteuse d’enfant”. Puisque les femmes sont les seules à pouvoir porter des enfants et donner naissance, suspendre leurs droits pendant la grossesse revient à pratiquer une discrimination fondée sur le sexe.” [14]
La Cour suprême s’est finalement rangée à l’avis de l’ANFD et a conclu que « l’extension de la compétence parens patriae afin de permettre à la cour d’assurer la protection de l’enfant à naître implique une modification fondamentale des règles de droit relatives à la compétence parens patriae [...]. La femme enceinte et l’enfant à naître ne forment qu’une seule personne, et rendre une ordonnance visant à protéger le fœtus empiéterait radicalement sur les libertés fondamentales de la mère, tant en ce qui concerne le choix d’un mode de vie que sa manière d’être et l’endroit où elle choisit de vivre. » [15]
Comme le montrent ces affaires, même après l’arrêt historique de 1988 de la CSC qui a supprimé l’avortement du Code criminel, l’ANFD et d’autres groupes de femmes ont dû naviguer sur un terrain juridique complexe qui cherchait à accorder des droits légaux au fœtus humain. Cependant, ces affaires illustrent également la profonde importance de la Charte des droits et libertés dans l’obtention et la préservation du droit à l’égalité pour les femmes canadiennes.
Tout au long de ses batailles juridiques portant sur les droits des travailleuses, les violences faites aux femmes et l’autonomie corporelle des femmes, l’ANFD a dû veiller à ce que les protections juridiques accordées aux femmes n’excluent pas d’autres groupes marginalisés, tels que les femmes autochtones, les femmes racialisées, les lesbiennes et les femmes trans. Bien que cette section ait été consacrée à la justice reproductive, vous pouvez cliquer ici pour lire la conclusion de notre exposition, qui examine le travail de l’ANFD autour de l’égalité dans le mariage, et notamment le statut des femmes autochtones et la légalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Cette exposition a été créée par Meghan Tibbits-Lamirande, conteur en résidence à l'ARCS
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OUVRAGES CITÉS
[1] Programme de la conférence. National Conference on the Law and Women. Windsor, ON, 14-16 mars 1974, boîte 9, dossier 11, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[2] Université du Nouveau-Brunswick, “Milestones in Canadian Women's History: the 1970's,” PAR-L, PAR-L (unb.ca)
[3] Hryciuk, Dennis. "Jeanne Sauvé jeered at conference," The Ottawa Journal, 3 février 1975, boîte 2, dossier 2, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[4] Association nationale Femmes et Droit, « Draft Report on NAWL’s Historical Policy Regarding Reproductive Freedom for Women », boîte 37, dossier 2, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[5] Walls, Sharon. “Abortion Law and Improved Abortion Services,” fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[6] Association nationale Femmes et Droit. Programme de la conférence. Who’s In Control? Legal Implications of Reproductive Technology, Ottawa, ON, 21-24 février 1985, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[7] Communiqué de presse de l'ANFD, "NAWL Opposes Law Reform Commission Recommendations on Fetus," 23 février 1989, boîte 24, dossier 8, fonds de l'ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[8] Mahoney, Jill. “Judge Rules Tremblay not Dangerous Offender,” Alberta Bureau, 4 août 2000, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[9] Communiqué de presse de l'ANFD, "Daigle Case: Aberration in Law," 27 juillet 1989, boîte 24, dossier 8, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[10] The Pro-Choice Action Network, “A History of Abortion in Canada,” imprimé, boîte 44, dossier 11, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[11] Communiqué de presse de l'ANFD, "For Immediate Release: No New Legislation," 2 October 1989, box 24, file 8, NAWL fonds (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[12] Communiqué de presse de l'ANFD, "Law Reform Commission's 'Crimes Against the Foetus' An Insult to Canadian Women," 29 novembre 1989, boîte 24, dossier 8, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[13] Association nationale Femmes et Droit. “Notes on Winnipeg Child and Family Services (Northwest Area) v. G (D. F.) Supreme Court of Canada on Appeal from the Court of Appeal for Manitoba,” boîte 36, dossier 7, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[14] Communiqué de presse de l'ANFD, The "G" Case, 1er novembre 1997, boîte 24, dossier 8, fonds ANFD (10-036), Archives et collections spéciales, Université d'Ottawa.
[15] SJugements de la Cour suprême, “Winnipeg Child and Family Services (Northwest Area) v. G. (D.F.),” 31 octobre 1997, https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/1562/index.do